Selon nos confrères de «La Nouvelle Alliance» (N°051-14 février 2025), la mendicité à Bamako est devenue un fléau inquiétant car elle ne cesse de prendre de l’ampleur au fil des ans. Avec la pauvreté grandissante, ont-ils écrit, le nombre de mendiants ou de talibés a aussi proportionnellement augmenté dans les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) où les Forces de défense et de sécurité (FDS) doivent faire aujourd’hui face à des enfants armés dans leur lutte contre le terrorisme. Ce qui fait de l’insertion voire de la réinsertion socioprofessionnelle des enfants talibés, de plus en plus utilisés par les Groupes armés terroristes (GAT) comme chair à canon, une donne négligeable dans la stabilisation de nos Etats.
Agés de 6 à 17 ans et vivant dans une précarité extrême, ils font aujourd’hui partie des équations à résoudre pour la quiétude de nos communautés et la stabilité de nos pays. Les talibés, ils s’agit d’eux, sont plus que jamais nombreux à entraver la circulation routière de nos centres urbains ou à passer de maison en maison pour quémander leur pitance. Leurs lieux d’apprentissage, de travail et d’hébergement les exposent à toutes sortes de risques. N’ayant accès ni à un logement décent ni à suffisamment de nourriture, ils sont également vulnérables à toutes les maladies, à toutes les menaces… Pis, ils sont exploités par ceux qui sont censés les protéger : les maîtres coraniques ! Ceux-ci, dans les zones agricoles comme l’Office du Niger, les «louent» même aux populations locales pour des «travaux champêtres pénibles et mal rémunérés».
En effet, selon certains observateurs, les talibés consacrent à peine 25 % de leur temps à leurs études coraniques. Ne bénéficiant pas d’un enseignement général diversifié, hormis la mémorisation du Coran, la plupart d’entre eux sortent de l’école coranique analphabètes, sans qualification professionnelle ni diplôme et avec des perspectives d’avenir extrêmement restreintes. Les plus «chanceux» (les plus doués) deviennent à leur tour des maîtres coraniques tandis que les autres sont livrés à eux-mêmes, avec peu d’opportunités d’emploi.
Dans la réalité, très peu d’élèves coraniques peuvent réellement rêver d’un meilleur avenir en suivant le droit chemin tracé par les études coraniques. «Tels des blessés de guerre, ils se sentent abandonnés au bord de la route de la vie et vivent un drame dans le silence», ont rappelé nos confrères de «La Nouvelle Alliance» qui ont consacré un dossier complet au phénomène (N°051-14 février 2025). Et d’ajouter «déjà, dans leur instruction, ils rencontrent d’énormes difficultés, les plus vulnérables ne sachant ni ce qu’ils apprennent ni pourquoi».
Des proies faciles pour les réseaux criminels du Sahel
Coupés de toutes relations avec leurs parents et villages, la majorité des talibés n’ont pas d’autres choix pour survivre que de continuer à mendier. Isolés et vulnérables, ces enfants et jeunes mendiants deviennent alors des proies faciles pour les réseaux criminels risquant de les faire sombrer dans un cercle vicieux de délinquance. À leur sortie de l’école, beaucoup se retrouvent ainsi impliqués dans le charlatanisme, le vol, la vente et/ou la consommation de stupéfiants, la prostitution… Et ces dernières années, ces talibés en rupture avec tout lien familial et en manque de perspective d’avenir, sont des cibles privilégiées des recruteurs des Groupes armés terroristes (GAT). Ceux-ci leur offrent ainsi un semblant de raison d’être. Assurés d’être payés pour leurs crimes et armés de fusil pour terrifier les populations, ils se sentent enfin revivre.
Ce qui donne raison aux ONG qui ont toujours attiré l’attention des décideurs sur le fait que l’abandon de ces enfants entre les griffes des présumés maîtres coraniques sans scrupule doit être considéré par les responsables politiques et acteurs humanitaires comme de réelles «bombes à retardement» au niveau géopolitique. C’est la triste réalité que les pays du Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad…) affrontent malheureusement de nos jours avec des bambins de 10 à 15 ans qui sèment la terreur dans nos villages et bourgades depuis près d’une décennie.
Comment inverser cette situation périlleuse ?
Pour l’éradication de la mendicité forcée des talibé, des experts consultés ont requis le lancement d’un «vaste chantier de réforme de l’enseignement coranique dont les modalités auront été définies préalablement au cours d’un processus de consultation large et inclusif». Comme l’ont souligné les auteurs d’une étude sur le cas nigérien (Souffrances sous silence : Enquête sur la mendicité forcée des enfants talibé au Niger Mars 2020), dans une société majoritairement musulmane, «l’abrogation pure et simple de cette forme d’enseignement» n’est même pas à envisager. Il faut plutôt réfléchir à des stratégies de réglementation des écoles coraniques par l’État qui en fixerait ainsi les conditions d’ouverture et de fonctionnement, y mènerait des inspections régulières et rigoureuses et pourrait subventionner les maîtres coraniques qui respectent les normes minimales préalablement établies.
Et pour ce faire, en parallèle, «il est important d’initier un dialogue au niveau communautaire et d’appuyer les communautés et les maîtres coraniques dans la recherche de solutions fortes, adaptées et pérennes à la problématique de la mendicité». Cela peut passer notamment par le développement d’activités génératrices de revenus, la sensibilisation et la formation des maîtres coraniques aux droits de l’Enfant ou, encore, la création de réseaux de «parents adoptifs» dans les communautés. Ce système de parrainage a d’ailleurs existé dans certains milieux où les enfants étaient confiés à une famille le temps de leurs études coraniques dans certaines localités du pays.
Mais, d’après le dossier de nos confrères de «La Nouvelle Alliance», Djenné peut aussi nous donner matière à réflexion pour trouver des solutions pérennes à ce phénomène devenu aujourd’hui une menace sécuritaire pour presque tous les pays du Sahel. Centre religieux depuis le 12e siècle, la ville de Djenné a abrité des universités islamiques qui recevaient des étudiants venant de toutes les contrées d’Afrique et du Maghreb. Il est vrai que la localité n’échappe pas aujourd’hui pas la difficile équation de prise en charge efficiente des talibés et aussi de leur insertion socioprofessionnelle à une certaine étape de leur vie. Mais, dans le temps, le problème ne se posait pas tel que nous le connaissons aujourd’hui.
En effet, la rédaction de notre cher Lévy Dougnon nous rappelle que, à la fin des études, tous ceux qui sont de Djenné apprenaient d’autres métiers comme la couture, la menuiserie ou le petit commerce. Des métiers qui leur permettaient de gagner leur vie. Et sans doute que leurs étrangers repartaient chez eux une fois leur formation spirituelle bouclée. Nous pensons que cela peut être toujours expérimenté. Comme critère d’ouverture d’une école coranique ou d’un centre de mémorisation du Saint Coran, il faudra exiger qu’à partir de 15 ans par exemple, le maître d’école accepte que les élèves intègrent ( même à temps partiel) des ateliers pour être formés. Nous pensons que le gouvernement (ministère de l’Education nationale ; ministère de l’Entrepreneutiat national, de l’Emploi et de la Formation professionnelle ; ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille ; ministère des Affaires religieuses, du Culte et des Coutumes) peut mener une réflexion avec la Fédération nationale des artisans (FENAM) afin d’initier un projet dans ce sens.
Tout comme dans les nouveaux centres qui sont en train de s’ouvrir (Sikasso et Markala), il doit être possible d’initier des modules spéciaux pour former les talibés en vue de leur réinsertion socioprofessionnelle à la fin de leur cursus d’apprentissage du Coran. Il est en tout cas urgent d’aider tous ces adolescents et jeunes à trouver les moyens de vivre décemment et honnêtement. Abandonnés à eux-mêmes, ils sont des proies faciles pour les réseaux criminels, donc une menace pour eux-mêmes et pour… la Nation dont la stabilité dépend aussi en partie de l’occupation saine et judicieuse de sa jeunesse !
Moussa Bolly