Vouloir une chose et son contraire est une aberration qui ne peut conduire qu’à une dérive certaine. Ce qui se passe présentement au Mali en est l’illustration parfaite. Si le concept et les exigences de d’Etat de droit riment avec ceux de la démocratie, chez nous l’ère démocratique aura plutôt favorisé une pernicieuse prééminence du pouvoir public sur les normes juridiques. En effet, depuis belle lurette la constitution de 1992, garante et fondement de notre jeune démocratie, est vilipendée et même piétinée selon les volontés et desseins des seigneurs du jour. La fameuse justice des vainqueurs, corollaires des coups d’Etat, s’est trop fréquemment invitée pour torpiller et violer les textes en vigueur en République du Mali. Or il est ainsi de notoriété publique que toute démocratie qui se veut effective et sérieuse décevrait reposer sur des institutions fortes, pérennes et crédibles dans l’optique d’éviter toute ingérence démocratique et autres formes d’instrumentalisations institutionnelles malveillantes. Le Mali, hélas , est allé à contre-courant de cette logique bienséante et cohérente. Et la preuve criante de la marginalisation et la violation des principes de l’Etat de droit est la récente exhumation inopinée du dossier judiciaire relatif aux présumés détournements de fonds ayant émaillé l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires. Ce scandaleux dossier, qui fait caqueter la nation toute entière depuis presque huit ans, n’en finit pas encore de nous tenir en haleine. Si l’arrestation et la poursuite judiciaire contre des hautes personnalités éclaboussées par l’affaire créent des débats entre citoyens lambda quant à la forme de la procédure judiciaire en cours, on demeure aphone face à la confrontation d’arguments juridiques qui opposent les syndicats des magistrats, et cela au moment où on ne sait plus réellement si le pays est régi par la constitution ou par la charte de la Transition qui sont toutes deux violées sans ménagement. Et que dire de l’épisode du vendredi 3 septembre 2021, qui prouve s’il en était besoin le grand mépris pour l’Etat de droit dans notre pays. N’ayons pas peur de le dire au Mali on a voulu la démocratie et l’Etat de droit en s’abstenant d’en respecter les principes et autres contraintes. Résultat : on flirte constamment avec des coups d’Etat dont la pertinence est loin d’être évidente, des règlements de comptes politiques qui engouffrent le pays, l’acerbe rivalité entre syndicats dont le nombre pullule à tort, la violation des acquis syndicaux, l’impression nette de la population de se croire souvent en régime théocratique, les errements des contre-pouvoirs, l’inféodation des pouvoirs parlementaire et judiciaire à l’exécutif pour ne citer que ces fléaux.
Sur tout un autre plan, le penchant acrimonieux et revanchard de certains politiques maliens retourne souvent contre eux-mêmes. Selon un proverbe africain «A force de dessiner le diable sur la porte de ta maison il finira par rentrer». Si le président déchu avait souhaité à un moment envoyer son prédécesseur démocratiquement élu devant la Haute cour de justice, qu’il avait installée pour les besoins de ce dessein, conformément aux articles 95 et 96 de la constitution, lui-même n’est plus à l’abri de subir un tel scenario. En tout cas au Mali les faits sont têtus et la justice des vainqueurs est la vérité du jour. Quant à l’Etat de droit on peut aller voir ailleurs.
Ousmane Tiemoko Diakité