Rapport du CNT sur l’Affaire Issa N’Djim : ‘’La confusion grave est de confondre le titre du pouvoir et la compétence d’exercer ce pouvoir… ‘’

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Les membres  du  Conseil National de Transition  (CNT) au cours de leur session ordinaire d’octobre 2021 ont tenu une séance plénière, le jeudi 4 novembre dernier. Le projet d’ordre du jour était l’examen du rapport de la Commission Ad hoc relative à l’affaire Issa N’Djim , 4èmevice président de l’organe législatif de la Transition.

A l’issu de la séance plénière le CNT a adopté une résolution demandant la suspension de la détention de Issa N’Djim avec 101 voix pour,  7 contre voix et 5 abstentions.

Qu’est ce qui a fait que le CNT à demander la suspension de la détention d’Issa  N’Djim ? Que dit le rapport de la Commission Ad hoc présidé par Dr Souleymane DE ?

Nous avons pu obtenir un exemplaire de ce rapport de 13 pages que nous nous proposons en résumé.  

 De l’avis des membres de la commission dont le Rapporteur  Me. Kadidia SANGARE et le président Dr. Souleymane DE , à la lumière de tout ce qui précède, il apparaît que la procédure correctionnelle conduite contre l’Honorable Issa Kaou N’DJIM pèche tant dans la forme que dans le fond. Cependant, le tribunal ayant été saisi, il est bienséant de le laisser se prononcer sur les faits. L’article 62, dernier alinéa, de la Constitution permet à l’organe législatif de requérir et d’obtenir la suspension de la détention ou de la poursuite d’un de ses membres en ses termes « La détention ou la poursuite d’un membre de l’Assemblée Nationale [du Conseil national de Transition] est suspendue si l’Assemblée Nationale [le Conseil national de Transition] le requiert  » . En l’espèce, pour éviter de cultiver un esprit d’impunité, la Commission a recommandé à la Plénière l’adoption d’une résolution demandant la suspension de la détention de l’Honorable Issa Kaou N’DJIM, membre du Conseil national de Transition. La Commission ad hoc préconise que cette mesure de suspension de la détention ne puisse être remise en cause jusqu’à la fin du mandat du Conseil national de Transition.

Sur l’existence ou non de l’immunité au bénéfice des membres du CNT

La commission Ad hoc par rapport à l’immunité parlementaire des membres du CNT expliquera que pour toutes les questions non régies par la Charte, ce sont les dispositions de la Constitution qui s’appliquent mutatis mutandis, c’est-à-dire en l’espèce en substituant aux expressions de «Assemblée nationale » et « Député» respectivement celles de « Conseil national de Transition » et « membre du Conseil national de Transition ». Il s’ensuit alors que pour toute la durée de la Transition, l’article 62 de la Constitution doit se lire convenablement en ces termes: Article 62: Les députés [les membres du Conseil national de Transition] bénéficient de l’immunité parlementaire. Pour cela aucun membre de l’Assemblée Nationale [du Conseil national de Transition] ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé du fait des ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Aucun membre de l’Assemblée Nationale [du Conseil national de Transition] ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale [du Conseil national de Transition], sauf en cas de flagrant délit. Aucun membre de l’Assemblée Nationale [du Conseil national de Transition] ne peut, hors sessions, être arrêté qu’avec l’autorisation du bureau de l’Assemblée Nationale [du Conseil national de Transition], sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation.

 

La détention ou la poursuite d’un membre de l’Assemblée Nationale [du Conseil national de Transition] est suspendue si l’Assemblée Nationale [le Conseil national de Transition] le requiert. Il faut préciser que malgré le fait qu’il ait été rappelé au préambule de la Charte que celle-ci complète la Constitution, le titre de député et l’exercice du pouvoir législatif ont juste fait l’objet d’une dissociation par l’arrêt de la Cour Constitutionnelle n°2020-07/CC du 18 décembre 2020. Cette dissociation e remet nullement en cause la compétence de l’exercice du pouvoir législatif  par les membres du Conseil national de Transition. Ce qui explique et justifie l’existence de lois votées par l’institution.

Pour cela , la commission explique qu’il explique : « La confusion grave qui est commise par le Procureur de la République est de confondre le titre du pouvoir et la compétence d’exercer ce pouvoir. Si l’on est d’accord que les membres du CNT exercent, conformément à la Charte, le pouvoir législatif, il va de soi que l’on doit tirer toutes les conséquences de l’exercice d’une telle fonction. En marquant sa désapprobation du fait que la Cour Constitutionnelle, tout en ne reconnaissant pas le titre de députés aux membres du CNT, «paradoxalement », a, dans le même arrêt, déclaré conforme à la Constitution l’article 44 du Règlement intérieur qui consacre l’immunité parlementaire aux membres du Conseil national de Transition, le Procureur de la République remet en cause directement ou indirectement le dogme de l’autorité de la chose jugée que revêtent les arrêts de la Cour Constitutionnelle. En effet, l’article <le 94 de la Constitution du 25 février 1992 dispose que « les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles/ d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales ».

De la lecture combinée des articles 62 de la Constitution du 25 février 1992 et 44 du Règlement intérieur du Conseil national de Transition, il apparait clairement que les membres du CNT sont sous la protection de l’organe législatif suivant les dispositions de la Charte et conformément à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle portant sur le Règlement intérieur du CNT.

Analyse de l’affaire par le CNT

En la forme : Le parquet du Tribunal de Grande Instance de la Commune IV a justifié son action en avançant qu’en l’espèce il s’agissait d’un flagrant délit et que dans cette hypothèse le bénéfice de l’immunité parlementaire ne pouvait être invoqué. L’article 62 alinéa 3 de la Constitution dispose: «Aucun membre de I’ Assemblée Nationale ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale, sauf en cas de flagrant délit ». On retient de l’examen de ce texte que, pendant les périodes de sessions de l’organe législatif, comme c’est le cas présentement, aucun de ses membres être poursuivi ou arrêté, tant en matière criminelle qu’en matière correctionnelle, sans l’autorisation de cet organe. Il est cependant indiqué que cette prescription ne s’applique pas en matière de flagrant délit.

Qu’est-ce que le flagrant délit ?

Selon l’article 65 du Code de procédure pénale: « Est qualifié crime ou délit flagrant, le crime ou le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit. Est assimilé au crime ou délit flagrant tout crime ou délit qui, même non commis dans les circonstances prévues à l’alinéa précédent, a été commis dans une maison dont le chef requiert le Procureur de la République ou un officier de police judiciaire de le constater » .

A la lumière de cette disposition, il apparait que les infractions auxquelles la procédure de flagrant délit s’applique sont : les infractions qui sont en train de se commettre;  les infractions qui viennent juste de se commettre; celles supposées commises dans un temps très voisin de l’action de telle sorte que la personne soupçonnée : soit est poursuivie par la clameur publique ; soit est trouvée en possession d’objets laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit; soit présente des traces ou indices laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit.

Enfin, la procédure de flagrance est applicable en cas de commission d’une infraction à l’intérieur d’une maison dont le chef a requis le Procureur de la République ou un officier de police judiciaire de la constater. Le recours à la procédure de flagrant délit est-il judicieux dans le cas d’espèce ? Les circonstances qui autorisent l’application de la procédure de flagrance  objectives. Elles ne peuvent donner lieu à aucune interprétation subjective. Ce qui semble pourtant être le cas puisqu’il ressort de la note technique d’information du Procureur de la République en date du 28 octobre 2021 qu’il a été amené à « ré-instruire » une enquête préliminaire de juillet 2021.

Les agissements reprochés à l’Honorable Issa Kaou N’DJIM n’ont été commis dans l’une quelconque des circonstances prévues à l’article 65 du Code de procédure pénale.

A l’évidence, le recours à la procédure de flagrance ne semble avoir été opéré que dans le dessein unique de faire échec à l’immunité dont bénéficie l’intéressé en sa qualité de membre du Conseil national de Transition, organe législatif de la Transition.

Au fond : les faits reprochés à l’Honorable Issa Kaou N’DJIM peuvent-ils, juridiquement, recevoir la qualification d’atteinte au crédit de l’État ? L’atteinte au crédit de l’État ou de la Nation se définit selon Gérard CORNU, « Vocabulaire juridique »,comme :« a) fait de répandre sciemment dans le public de faux faits ou des allégations mensongères de nature à ébranler directement ou indirectement sa confiance dans la solidité de la monnaie ou la valeur des fonds publics. b) fait d’inciter le public à des retraits de fonds de caisses publiques ou à la vente, le non achat ou la non-souscription de titres de rentes ou autres effets publics». L’atteinte au crédit de l’État est une infraction spécifique, instaurée afin de combattre les comportements susceptibles d’ébranler la confiance des citoyens relativement en ce qui concerne l’économie, notamment la monnaie, les impositions, les contributions et les taxes. Il s’agit là essentiellement d’une infraction économique.

En droit malien, l’infraction d’atteinte au crédit de l’État est soutenue par le Code pénal en son Chapitre 2 – Des crimes et délit contre la propriété, Section 9 – Des atteintes au crédit de l’État et du refus de payer les impositions, contributions et taxes assimilées. Il est difficile d’établir un lien entre les charges retenues contre l’Honorable Issa Kaou N’DJIM et l’infraction « atteinte au crédit de l’État ».

De toute évidence, le Procureur de la République semble une fois de plus opérer une confusion entre le vocabulaire littéraire et le vocabulaire juridique. En effet, l’atteinte à l’image de l’État admise sur le plan du vocabulaire littéraire ne peut se confondre avec l’infraction « atteinte au crédit de l’État » prévue à l’article 167 du Code pénal, qui le définit en ces termes : «seront punis d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de 24.000 à 240.000 FCFA.

1º) ceux qui, par des voies et moyens quelconques, ont sciemment propagé dans le public des fausses nouvelles ou des allégations mensongères de nature à ébranler directement ou indirectement sa confiance dans le crédit de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, de tous organismes où ces collectivités et établissements publics ont une participation.

2°) ceux qui, par des voies et moyens quelconques, ont incité le public à des retraits de fonds des caisses publiques ou des établissements obligés par la loi à effectuer leurs versements dans les caisses.

3°) ceux qui, par les mêmes moyens et dans le but de provoquer la panique, ont incité le public à la vente de titres de rente ou autres effets publics, ou l’ont détourné de l’achat ou de la souscription de ceux-ci, que ces provocations aient été ou non suivies d’effet.

Dans tous les cas, le jugement sera publié dans deux journaux désignés par le tribunal et aux frais du condamné .

C’est d’ailleurs pourquoi, pour mieux préciser et éviter toute confusion, l’article 172 du Code pénal subordonne les poursuites en la matière à une plainte du ministre en charge des Finances, ou, le cas échéant, à la demande des représentants légaux de tout organisme intéressé. En l’espèce, le Procureur de la République ne s’est pas assuré de cette plainte. Son action ne doit donc pas prospérer pour la raison toute évidente que la procédure est irrégulière.

Bokoum Abdoul Momini/maliweb.net

 

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1 commentaire

  1. ‘’La confusion grave est de confondre le titre du pouvoir et la compétence d’exercer ce pouvoir… ‘’ comment peut-on même pense comme ça? On ne met pas en poste des personnes qui n’ont aucune connaissance sur le poste, si nous voulons un avenir radieux pour no enfants. Les cadres et élites maliens font de tel comportement pour se jouer de leur personnel et c’est tout. Au Mali, dans tous les domaines, nous voyons des travailleurs qui sont très loin de leur domaine de connaissance, c’est regrettable pour ce pays, comment construire un tel pays? Tant que les responsables maliens ne mettrons pas l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, nous resterons très longtemps comme ça, cela est indéniable. Un pays ne doit pas se jouer de ses cadres comme le fait l’autorité malienne. Mais, les conséquences serons largement partagées, nous pleurerons encore très longtemps.

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