Guerre, rébellion, occupation, exécutions, trahisons, pillages, viols, vols, voiles, amputations, coup d’Etat, transition, arrestations sommaires et exactions sont les douleurs du peuple malien.
Seuls le temps et la volonté de revivre ensemble pourront un jour les estomper. Tous les peuples déchirés par le conflit doivent entamer un long processus de «mise à plat» des actes, des accusations, des responsabilités et des culpabilités. La liste des victimes et des auteurs présumés doit être établie afin que les victimes soient reconnues comme telles et retrouvent leur dignité. Les accusés doivent être jugés et punis, ou pardonnés par leurs victimes elles-mêmes si elles estiment que leur repentir le leur permet. La justice joue un rôle primordial car, face au crime, l’impunité est le poison humain et social dont un peuple ne se remet jamais. L’Afrique du Sud comme le Rwanda et bien d’autres pays déchirés par les souffrances de longues années de violation des droits humains ont mis en place des commissions afin de retrouver l’unité nationale grâce à un long processus de vérité et de dialogue pour la réconciliation. Le pays, les régions, les villes, les villages, les familles ne peuvent retrouver la sérénité du vivre-ensemble que lorsque la vérité a été dite, que chacun a reconnu ses actes et que justice a été rendue. Ceci permet la reconstruction d’une mémoire exacte des faits, et aux communautés d’évoluer naturellement sans que les rancœurs de l’injustice ne couvent, toujours prêtes à ressurgir.
Jeudi dernier, dans une des salles de l’Assemblée nationale à Paris, Pierre Buyoya, l’ancien Président du Burundi, a conclu le colloque «Quelle nouvelle gouvernance pour le Mali ? » en rappelant que tout processus de réconciliation est long et douloureux, mais que c’est l’unique chemin que le Mali doit prendre pour que les souffrances s’apaisent.
Les invités à cette journée de réflexion étaient nombreux et variés. Plusieurs organisations financières et humanitaires internationales étaient présentes. Des représentants de la société malienne avaient fait le déplacement. Des élus de Bamako et des élus et notables de villes du Nord ont rappelé les projets passés et actuels de décentralisation. Des déplacés et réfugiés en Mauritanie et au Burkina avaient été invités à témoigner. Des Maliens de l’extérieur, responsables d’association, journalistes, artistes et simples citoyens, étaient là aussi.
Les «invités maliens» ont parlé de ce qu’ils avaient subi et de ce qu’ils vivent encore, chacun selon sa propre lecture de l’Histoire de sa communauté culturelle et de ses relations avec l’Etat malien et les autres populations. La tension est vite montée car dans la salle, les Maliens n’en avaient pas tous la même interprétation. Ils ont exprimé leurs inquiétudes sur ce qui se passe actuellement à Kidal et redit leur volonté absolue de continuer leur combat pour un Mali Un et Indivisible, sous les vert, jaune, rouge du seul drapeau malien. Le représentant du MNLA, venu de Ouagadougou, a été vivement interpellé. Fantani Touré, artiste malienne, militante des droits des femmes et pour la paix au Mali et dans le monde, a appelé ses sœurs et frères du MNLA «à déposer les armes et à venir s’asseoir pour retrouver leur dignité perdue depuis longtemps».
Loin du thème de cette journée, ces échanges, vifs et éprouvants, ont été les prémices de ce qui se passera au Mali lorsque la Commission Dialogue et Réconciliation aura commencé son travail. Ils ont prouvé, une fois de plus, que les divergences d’interprétation de l’Histoire et de la situation économique et sociale du pays, sont grandes.
À l’heure de la reconstruction, il faut, cette fois-ci, que les populations puissent faire un travail de fond pour se réconcilier. Les traditionnelles alliances trans-communautaires et le principe de Sanankouya, les fameuses plaisanteries de cousinage, si chers au cœur des Maliens, ne suffiront pas à guérir les plaies, car il reste trop de pus à l’intérieur, et depuis trop longtemps, pour qu’elles puissent se refermer définitivement. Il faudra que les responsabilités, historiques et récentes, soient reconnues, commune par commune, région par région, afin d’éviter toute nouvelle tentative de réécrire l’Histoire. Une vigilance absolue sera nécessaire, afin que cette volonté de réconciliation ne soit manipulée politiquement pour écarter tel ou tel groupe ou opposant, ou pour amnistier certains «amis».
L’autre condition essentielle à la réconciliation est «l’effacement progressif des différences entre le Nous et les Autres», comme l’a dit Rehana Vally, au sujet de l’Afrique du Sud, car il permettra à chaque Malienne, à chaque Malien, de comprendre que ce que le sociologue John Brown Childs appelle «l’action commune des différentes populations, fièrement enracinées dans la richesse de leur propre identité» est le seul moyen de lutter efficacement contre la détresse économique, la corruption et l’injustice sociale dont ont toujours souffert toutes les populations, de Kayes à Kidal.
Françoise WASSERVOGEL