Il est indéniable que la Radio Kayira a dominé par le passé l’espace médiatique à Bamako. Véritable station d’opposition, elle critiquait le pouvoir à visage découvert. Ce qui l’a rendue dérangeante. Or le pouvoir cherchait ses équilibres face au mouvement estudiantin, qui a précipité le départ de deux Premiers ministres : feus Younoussi Touré et Me Abdoulaye Sékou Sow. Derrière le micro dans cette radio de jeunes animateurs et journalistes, parmi lesquels un certain Tiambel Guimbayara. Qui ne se rappelle en son temps de sa voix radiophonique suave sur les ondes des radios Kayira et Djekafo. Depuis 2003, il s’est installé en France, pour devenir aujourd’hui un grand journaliste, un consultant exceptionnel des chaînes de télévision internationale : France 24, TV5-Monde, Télé Sud, Africa 24, la RT et RFI. Tiambel est présentement à Bamako dans le cadre des Etats généraux organisés par le ministère des Maliens de l’extérieur, nous l’avons rencontré dans le cadre de “Que sont-ils devenus ?”. Quel fut le parcours de cet homme ? Son histoire n’est pas extraordinaire, mais elle est passionnante. Pour la découvrir chers lecteurs, veuillez embarquer dans le bateau de la chronique “Que sont-ils devenus ?”
En 1994, animateur à Radio Kayira, Tiambel Guimbayara réalise un entretien que les services secrets maliens ne comprennent pas. Il parvient à extraire feu Yéhia Ould Zarawana, alors secrétaire général de l’AEEM, de la maison centrale pour l’interviewer en direct sur les ondes de la radio. Etudiant à l’époque nous n’avons pas compris les déclarations fraîches de notre leader. Alors qu’il était censé être en prison. Comment tout cela s’est passé ?
“Vous permettrez que je fasse l´économie des dessous de la sortie momentanée de Zarawana de la prison. Le compromis ? Le leader a promis de retourner, et je me suis engagé à honorer cette promesse. L’interview s’est bien déroulée. Mais l’on se posait la question au sein de l’opinion sur son caractère direct ou différé. Parce que tout le monde savait que Zarawana était en prison. La Sécurité d’Etat s’est intéressée au ‘dossier’, à travers une filature dont elle a l´art. Au moment de ramener Zarawana à la prison centrale, un véhicule 4×4 noir sans immatriculation nous a renversés dans un ravin d’à côté. Tout de suite, j’ai compris ce qui se passait, et voilà que je fis un bond pour me sauver. Les occupants du véhicule armés ont récupéré le leader estudiantin. Je ne sais pas quel a été la suite des événements. J´ai pris la tangente”.
La présence de Tiambel Guimbayara sous le temple de la rubrique “Que sont-ils devenus ?” ne relègue-t-elle pas les questions standards au second plan? Parce que l’homme est cultivé avec une rhétorique séduisante. Il faut discuter de l’actualité : les coups d’Etat et le statut de gendarme que se donne la Cédéao. Alors quel est son jugement sur les coups d’Etat ces dernières années dans l’espace Cédéao ?
D’emblée Tiambel Guimbayara en tant que démocrate condamne les coups d’Etat même s’ils résultent de la mauvaise gouvernance, des crises institutionnelles, la mauvaise gestion de l´insécurité. Quelles que soient ces raisons, il est formel que le coup d’Etat n’est pas raisonnable parce que la démocratie est le meilleur système de gouvernance jamais créé.
Est-ce à dire qu’il cautionne les agissements de la Cédéao sur le coup d’arrêt des régimes démocratiques dans son espace ? Tiambel Guimbayara soutient que la Cedeao a été créée pour une intégration sous-régionale : le commerce libre, et la circulation sans difficulté des différents peuples. C’est le Protocole d’Abuja en 2000 qui a changé son visage. Cette prise de position était justifiée en son temps même si dans certains cas, des militaires convertis en civil appliquent les sanctions, cela peut être mal perçu.
Concernant une éventuelle intervention de la Cédéao, Tiambel affirme que par le passé, la Cédéao a montré ses limites malgré la réussite des cas sierra-léonais et gambien. A l’opposé, son intervention militaire au Libéria fut un fiasco. Pour remuer le couteau dans la plaie, il dénonce les sanctions injustes et irréfléchies de la Cédéao, qui pénalisent plutôt les populations. Intervenir militairement au Niger serait une catastrophe, soutient-il.
Tiambel Guimbayara est né à Dily dans le cercle de Nara. Admis au bac, il est orienté à l’EN Sup, pour devenir enseignant. Le destin le fait dérouter en 2e année et le dirige vers le micro. Cela peut paraitre paradoxal et incompréhensible. Lui-même se justifie par la fièvre de la démocratie et de la presse privée. Il dit que ses interventions lors des assemblées générales de l’AEEM l’ont doté d’une grande capacité de harangueur de foules. Il était fier de manier la langue de Molière à la perfection.
Le poil à gratter du régime
Il est donc recruté en 1992 à Radio Kayira comme chroniqueur soninké. Il devient au fil du temps reporteur, animateur de débats et directeur par intérim de la Radio. Avec les Bandiougou Tounkara dit Djougouss, Fousseyni Diarra, Oumou Diarra dite Dièma, Cheick Oumar Tall, Nouhoun Kéita, Mamadou Kaya, Ina Tall, Tiambel contribue à asseoir la notoriété de Radio Kayira, à travers sa ligne éditoriale.
La station qui ne connaissait pas de sujet tabou, est devenue dérangeante pour le pouvoir. Surtout qu’elle consacrait des émissions spéciales aux actions de l’AEEM. Les autorités décident de sa fermeture, au même moment l’année blanche s’est dessinée par les mesures fortes du Premier ministre feu Ibrahim Boubacar Kéita.
Soutenus par les populations de Djélibougou, et les fidèles auditeurs, les “guerriers de la Radio Kayira” résistent face à une sanction au petit matin de notre jeune démocratie ? C’est plutôt une crise inattendue qui provoque une saignée au niveau de la station. Tiambel Guimbayara et d’autres quittent en 1995, pour créer la Radio Djekafo . Là il s’illustre par le journal en direct, la revue de la presse en bambara, et le débat politique.
En 2001, il débarque en France, après un premier séjour en décembre 2000 en sa qualité de chargé de communication de l’artiste Oumou Sangaré. Dans l’Hexagone, il suit une formation d’un an au service Afrique de Radio France Internationale (RFI). C’est à ce titre qu’on lui confie le reportage pour parler de la vie de Me Demba Diallo, décédé le 7 juin 2001.
Le 29 août 2003 il retourne dans l’hexagone pour un deuxième stage à RFI et suit des cours à l’Ecole supérieure de journalisme de Paris, pour ensuite rejoindre l’Allemagne où il suit un stage de six mois à la Deutsch Welle. Maître de cérémonie de tous les événements de la diaspora malienne en France, Tiambel Guimbayara est depuis 2004 consultant international, intervenant régulièrement sur les différentes chaines de télévision et radios internationales, pour analyser l’actualité en Afrique et dans le Sahel.
En 2006, il crée avec quatre compatriotes “La Voix du Mali”, un journal d’informations générales orientées sur la diaspora. Depuis le 3 août 2015, il est le chargé de communication de la Délégation permanente du Mali à l’Unesco. Sa passion pour la presse est liée logiquement à de bons souvenirs : l’intégration à la Radio Kayira avec à la clef le reportage sur le procès crimes de sang en 1992, l’audience accordée par le président Alpha Oumar Konaré au personnel de la Radio quand l’administrateur Oumar Mariko fut arrêté à Abidjan en mai 1994 (il était accusé d’avoir rencontré des leaders étudiants de la Fesci pour la création d’une Association africaine de mouvements étudiants de gauche), l’inauguration de Radio Djékafo en 1995. Le seul mauvais souvenir est la fermeture de Radio Kayira en 1994, parce que pour lui cela constituait un recul pour un pays qui venait juste d’instaurer la démocratie.
L’accueil chaleureux du doyen Daba Tounkara
Il faut quand même révéler un détail. L’interview a eu lieu au domicile du doyen et confrère Daba Tounkara, où Tiambel nous a fixé rendez-vous. Reconnu pour sa convivialité et son sens élevé de l’humour, Daba a encore séduit par l’accueil chaleureux. Ami fidèle et complice de notre héros de la semaine, il ne cessait de le chahuter pendant l’entretien.
Au moment de tourner le talon, nous demandions au doyen Daba Tounkara ce qu’il pense de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”. Il dit apprécier la chronique et a salué l’esprit de créativité du directeur de publication, Alou Badara Haïdara. Une brèche pour avoir les derniers mots de Tiambel Guimbayara sous la forme d’un jugement sur la presse malienne et la diversité des médias : “L’exemple palpant de la réussite de la presse dans toutes ses dimensions, est celui de mon cas. Petit animateur de la bande FM de Bamako au départ, devenu par la suite un grand journaliste, un consultant des chaînes internationales, aujourd’hui le constat est que la presse malienne à fait du chemin. Le Mali est un modèle naturel sur le plan intellectuel à travers ses hommes de média. Mais un état des lieux s´impose, pas seulement la relecture des textes. Les acteurs de la presse doivent se parler pour faire le bilan de la diversité médiatique occasionnée par l´ère démocratique. Cela permettra de juger le passé, diagnostiquer le présent et se projeter dans l’avenir. Sinon la seule école de journalisme ne suffit pas. Une communication dans le monde de la presse est plus que nécessaire”.
Tiambel Guimbayara est marié et père de trois enfants, dont deux filles. Dans la vie, il aime la lecture, les débats passionnants. Il déteste le mensonge, la trahison, les bêtises.
O. Roger Tél : (00223) 63 88 24 23