Nous rencontrions un grand cinéaste, Sidi Diabaté, au même moment où l’information relative à l’invitation du Mali, comme membre d’honneur du Fespaco tombait. En plus d’être panéliste à ce grand événement, notre pays compétira dans quatre disciplines avec une dizaine de films. Mieux trois de nos compatriotes seront membres du jury. A chaud notre invité de la semaine pour l’animation de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”, avoue que cette invitation du Mali est la récompense du mérite. Parce que notre pays s’est toujours distingué dans les différents Fespaco, par la qualité de ses films. Oui l’homme qui apprécie cet honneur accordé à notre pays, est un passionné du cinéma malien. De son statut de professeur d’enseignement secondaire, il devient journaliste-réalisateur et affecté au CNPC. Il consacre ainsi le reste de sa carrière (1979-2012) au cinéma comme assistant-réalisateur. Une expérience qui lui servira de pont pour réaliser des films, des séries, des documentaires : Sidi Diabaté a aujourd’hui à son actif le célèbre film “Da Monzon, la conquête de Samayana” qui a remporté le premier prix de la décoration au Fespaco en 2011, et celui de l’Uémoa. Il a aussi reçu des prix de reconnaissance à tous les festivals : San Francisco, Hambourg, Corée du Sud, Egypte, Maroc. En plus de ce chef d’œuvre, il a réalisé : “Transport urbain à Bamako”, “Veillée à Bolongué”, “Le filon d’or”, “Le Mali, pays au féminin” (film documentaire), “Le Tombeau des Askia”, “Le Mali en marche”, “Commissaire Balla” (trois épisodes : la demoiselle au volant, la chasse, un gang en transit). Qui est cet homme de cinéma ? Quelle fût sa carrière ? Son avis sur la chute du cinéma malien ? Sa recette pour lui donner un nouveau souffle ? C’est un bon orateur que nous avons rencontré dans l’un des amphithéâtres de l’EN Sup.
a transition est toute trouvée pour expliquer le contexte qui nous a conduit à un lieu, qui a soulevé en nous une vive émotion, liée au souvenir de la lutte estudiantine de l’AEEM en 1991. A quelques semaines des événements du 26 mars 1991, il a fallu le charisme du Ségal Oumar Mariko pour éviter un affrontement entre deux tendances au cours d’un comité directeur. La tension était vive, mais notre grande frayeur s’est dissipée avec l’arrivée de Mariko, accompagné de certains membres de son bureau dont Yaya Karembé, Hamadoun Bah, Moussa Balla Diakité. Le déroulé de ce souvenir s’arrête par l’arrivée de notre héros de la semaine devant l’Amphithéâtre Kary Dembélé.
Sidi Diabaté est un cinéaste, et ancien directeur général adjoint du CNPC. Pourtant à l’origine il était professeur d’enseignement Secondaire. Mais, à l’en croire, les agissements de la junte en 1978 vis-à-vis du personnel enseignant le contraignent à abandonner un métier qu’il a embrassé par une sorte d’idolâtrie de son maître du premier cycle, lequel par son dorlotement lui a inculqué la passion de la craie.
Jusqu’en 1998, le cinéma malien n’avait aucune soutenabilité juridique pour sa garantie, sa protection et ses orientations. Il a fallu un procès entre un réalisateur et ses techniciens au cours d’un tournage à Kayes pour décanter la situation. Le premier a abandonné les seconds en pleine activité pour s’envoler pour la France, où il travaillait. Les seconds portent plainte contre leur employeur. A l’absence d’un contrat et de textes pour soutenir leur action, les techniciens ont dû abandonner la partie. Voilà comment l’idée d’une loi a germé.
Sidi Diabaté fait partie des initiateurs de cette démarche qui réussira grâce à la volonté politique du président de la République à l’époque, Alpha Oumar Konaré. C’est ainsi qu’au terme d’un travail collégial piloté par notre héros de la semaine, que la loi n°98-037 du 20 juillet 1998, régissant l’industrie cinématographique est votée. Malgré tout le cinéma malien n’a-t-il pas chuté ?
La vente des salles en est-elle l’un des facteurs déterminants ? Sidi, pour sa part, a une autre explication. “J’attribue l’hibernation du cinéma malien aux acteurs principaux. Parce que le secteur ne s’est pas organisé pour définir de nouvelles orientations en 1991, à cause des divergences entre les uns et les autres. Le clanisme a eu raison de notre cinéma.
L’Etat aussi ne s’est impliqué dans sa gestion. Le Mali n’était pas le seul Etat à avoir vendu ses salles de projection, tous les pays francophones l’ont fait. Paradoxalement, des Maliens se sont battus pour l’ouverture des salles à Ouagadougou, pendant que celles du Mali ont été vendues dans un silence radio”.
Le tournant décisif
Qui est cet homme devenu par le pur hasard homme de cinéma pas par vocation, mais plutôt se sauver d’une situation ?
Sidi Diabaté est né à Bamako en 1950 à Bamako. Il passe son enfance à Oussoubidiagna, dans la Commune de Tomora, région de Kayes. Inscrit à l’école en octobre 1957, il décroche la deuxième partie du baccalauréat (lettres modernes) au lycée Askia Mohamed à la session de juin en 1970. Il sort de l’EN Sup en 1974, option histoire-géo. Destiné à enseigner pour gagner sa vie, Sidi Diabaté passe trois ans au lycée Notre Dame du Niger, avant d’être affecté à la direction nationale de l’enseignement général, technique et professionnel. Selon lui, la gestion de l’école, les brimades contre certains enseignants par la junte au pouvoir le contraignent à revoir son avenir dans la corporation. Il profite de la première opportunité qui s’est offerte : le concours de recrutement des réalisateurs et des caméramans qu’il passe avec brio pour se retrouver dans le domaine du cinéma.
Devenu journaliste-réalisateur après deux ans d’exercice, il occupe les fonctions de chef de division scénario et commentaire au CNPC, de directeur général adjoint de 2009 à 2012. Date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite. Durant sa carrière, Sidi Diabaté s’est beaucoup illustré dans le tournage de films comme réalisateur ou assistant réalisateur. Avec ce second rôle comme son nom l’indique, il assiste le réalisateur aux séances technico artistiques : choix des techniciens, des acteurs, l’appréciation du décor par rapport au scénario.
Bref l’assistant réalisateur est le juge suprême du plateau de tournage, étant entendu que le réalisateur n’a pas le temps de gérer les petits détails. Un écrivain et un réalisateur de film ont le dénominateur commun de l’inspiration et de l’imagination. Au bout du compte, quelle est leur différence ?
Pour faire le distinguo entre les deux, le cinéaste Sidi Diabaté soutient que l’écrivain laisse libre court à son imagination, alors que cette même imagination chez le réalisateur est limitée par les contraintes du cinéma. Parce qu’il met en application ce qui peut être présenté en images et sons.
D’autre part, il s’offusque de la chute du cinéma malien par rapport aux potentialités de ses acteurs. Pour redresser cette barre, il sollicite la volonté politique. Parce qu’il ne suffit pas d’être un cadre, mais il faut aussi la connaissance et la spécialité pour diriger un domaine multidimensionnel comme le cinéma.
Cela fait plus de 10 ans que Sidi Diabaté a fait valoir ses droits à la retraite. Mais il soutient que tant que son cœur marchera, il ne cessera d’inspirer pour la réalisation de films. Pour parler de ses bons souvenirs, il retient la promulgation de la Loi sur l’industrie cinématographique, et le fiasco lors du tournage du film Falato à Kayes est son seul mauvais souvenir. Dans la vie il aime l’homme et déteste la solitude. Sidi Diabaté est marié et père de quatre enfants.
O. Roger Janjo
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