Il est rare de rencontrer dans notre société un griot grand intellectuel qui fait du “griotisme” son métier. Mamadou Ben Chérif Diabaté est une exception en la matière. L’homme est détenteur d’un Master en communication et en protection de l’environnement. Fils de Kélè Monzon Diabaté, qui fut le premier grand griot généalogiste et historien, oncle de l’écrivain Massa Makan Diabaté, sa famille à Kita fait l’exception sur le plan intellectuel avec des professeurs sortis de la Sorbonne de Paris, des docteurs en médecine, en linguistique. Le nom de Ben Chérif nous renvoie à l’antenne de Radio-Mali, avant l’avènement de la télévision au Mali, où un animateur disait fréquemment dans son générique : “A la régie d’antenne, Ben Chérif Diabaté”. Griot-communicateur de son état, il fait pourtant le distinguo entre les deux concepts. Selon lui, le griot définit mal le djéli en ce sens que le djéli est à la société malienne ce que le sang est au corps humain. Une société sans djéli n’est pas une bonne société, seulement la volonté de ce qu’ils l’ont créée. Quant au communicateur traditionnel, il est de la grande famille des hommes de caste qui regroupe le djéli, le boulou, le founè, le garanké, le labo, le saké, le gawlo, etc. Ceux-ci ont chacun un rôle spécifique de communicateur bien défini conformément à son statut. Et son avis sur la fièvre de coup d’Etat ces derniers temps dans la zone Cédéao ? Pas très politique, dit-il compte tenu de son statut. Mais Ben Chérif souligne que la gouvernance dans la zone Cédéao n’est pas la même compréhension que l’on sait d’un chef, du patron et du leader. Admis au DEF en 1968, et au terme des études en communication, il rentre à Radio-Mali en septembre 1976 comme ingénieur du son. Il deviendra plus tard journaliste-réalisateur, après des études de spécialisation à l’université. C’est lui qui retrace l’histoire de l’Empire Manding dans la K7 de Mandekalou. Un opus qui a regroupé des artistes maliens et guinéens. Qui est cet homme ? La rubrique “Que sont-ils devenus ?” répond à cette interrogation, à la suite de l’interview qu’il nous a accordée.
Expert en genre et communication, Mamadou Ben Chérif Diabaté a plusieurs cordes à son arc : ingénieur du son, journaliste-réalisateur, président du festival de Kita, fondateur du Recotrade, artiste auteur compositeur, chef des griots du district de Bamako, président de la Coalition nationale des chefs traditionnels et leaders religieux de plaidoyer contre les VBG, président de la Société civile du cercle de Kati, ambassadeur de la paix, fondateur du Recotrade Afrique au Burkina avec dix pays de la Cédéao.
Nous avons croisé Mamadou Ben Chérif Diabaté le 22 décembre 2021 aux obsèques d’un vieux magistrat. Et c’est là où nous l’avons abordé pour prendre ses contacts. Sans commentaire. En bon conservateur, il désapprouva notre façon de faire. Pour lui, la bonne manière était une présentation et une explication de l’intérêt que nous portons pour lui.
Face aux accusations d’un aîné, le cadet se tient coi. Finalement tout est rentré dans l’ordre dans la plus grande convivialité. A partir de ce jour, nous n’avons cessé de communiquer, jusqu’à l’interview devant la Maison de la presse. Cependant une précision : l’entretien s’est déroulé dans son véhicule. Parce qu’il avait des urgences à gérer. Il ne fallait pas rater cette occasion, au risque de le perdre.
Parfois dans l’animation de la rubrique «Que sont-ils devenus?», la logique nous impose une certaine honnêteté intellectuelle, de dire ce que nous ressentons réellement. L’attitude de Ben Chérif Diabaté, son respect et sa simplicité démontrent à suffisance qu’il est issu d’une grande famille traditionnelle où le maître des lieux n’a pas lésiné sur les principes pour inculquer la bonne éducation à ses enfants. En demandant à Ben Chérif, ce qu’il retient de la période post-indépendante, sous la forme de bons souvenirs, il se rappelle de :
– la bonne éducation et la meilleure formation parce qu’elles étaient de qualités ;
– du regroupement éducatif de la jeunesse, dont les colonies de vacances, les semaines de la jeunesse ;
– l’amour pour la famille et pour le pays dans les années 1960.
“Mandekalou” : le chef
d’œuvre qui lui survivra
Quel est alors le revers de la médaille ? Autrement est-ce qu’il est offusqué par rapport à certains détails ? Lesquels pourraient être étiquetés comme mauvais souvenirs dans leur fond. “Je ne chercherai pas loin. D’emblée, je rappelle le complot dont mon pays a été l’objet de la part de la France en affaiblissant le système éducatif, à travers la réforme de l’éducation en 1962. Tout le problème de l’école malienne est parti de là. Mieux l’administration n’est pas une continuité, parce que j’ai un mauvais souvenir du mécanisme de fonctionnement de mon pays, qui ne respecte pas la continuité de l’administration. D’un coup d’Etat à l’autre, les fonctionnaires de l’administration qui occupaient des postes sont systématiquement enlevés, souvent le matériel de service de l’administration dilapidé. Enfin l’absence de la solidarité de l’unité nationale autour de l’intérêt national, pour la construction nationale”. Un réquisitoire.
A son intégration à Radio-Mali en 1976, Ben Chérif Diabaté a assuré les fonctions d’ingénieur du son. En 1980, il est nommé directeur régional à Kayes, où il passa dix ans. Son retour à Bamako était surtout motivé par son ambition de poursuivre ses études dans une université de la place.
Devenu journaliste-réalisateur, il s’est distingué dans les reportages et émissions culturelles jusqu’à sa retraite en 2019. Entre-temps, en 1999 il a créé le Réseau des communicateurs traditionnels pour le développement (Recotrade) en vue de réunir les communicateurs traditionnels de toutes les régions du Mali afin d’accompagner les projets et programmes de développement du gouvernement, notamment en matière de communication dans un pays dont la population est environ 90 % analphabète.
Cette initiative, selon lui, visait à apporter sa contribution à l’amélioration de la connaissance de la population malienne sur les sujets et problèmes qui la concerne, mais qui sont exprimés en français.
Paradoxalement, il démissionne en 2010 parce qu’il a senti la déliquescence de l’Etat et le mauvais comportement de certains communicateurs, soutenus par certains administrateurs. Comment peut-il créer un réseau et jeter l’enfant avec l’eau du bain? Ben Chérif conseille à la chèvre de se sauver lorsqu’elle se retrouve par hasard au milieu des hyènes. Autrement dit sa démission est un repli stratégique et non une fuite en avant.
Faudrait-il rappeler qu’il a donné un cachet historique à l’épopée mandingue contée par les griots maliens et guinéens dans la cassette “Mandekalou” (habitants du Mandé), et dont les morceaux plongent dans les méandres du manding profond. Justement, comment Ben Chérif s’est retrouvé au centre de cet opus ? “J’ai été approché par le producteur pour une cassette sur Soundiata Kéita. Je lui ai donné des directives par rapport à tous ceux qui pouvaient contribuer à sa réussite. Lorsque tout était fin prêt, j’ai rédigé mon texte qui a d’ailleurs été approuvé par le producteur. Immédiatement il a fait appel aux différents artistes pour la production de ladite cassette. Ensuite les tournées africaines et européennes ont commencé”.
Mamadou Ben Chérif Diabaté est marié et père de quatre enfants. Dans la vie, il aime le Mali, et son village Kita. Il déteste le mensonge et la vanité.
O. Roger
griot
Dire “Griot intellectuel” est péjoratif. Un griot par son sens dans la société mandingue, est un nomme doté de savoir “très intelligent et subtil”. J’aurai voulu que l’auteur emploi un autre mot différent de “intellectuel”…
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