Au début des années 1980, nous faisions le ramasseur de balle lors de la Coupe Corpo au stade Mamadou Konaté. C’était une occasion, pour nous, de revoir dans cette compétition certaines vedettes des grands clubs après la fermeture de la saison officielle. Parmi ceux-ci un certain Cheick Oumar Diabaté. Avant-centre de l’AS Biton de Ségou, il animait l’attaque de la Compagnie malienne du textile (Comatex). Nous ignorions l’autre facette de sa vie, à savoir qu’il est un grand guitariste et l’époux de la cantatrice Naïny Diabaté. L’avènement de la télévision en 1983 et la création de l’émission “L’Artiste et sa musique” comblèrent ce déficit d’information. Cheick Oumar Diabaté est notre héros de la semaine pour l’animation de la rubrique “Que sont-ils devenus ?” Quelle fut sa carrière ? Quel a été l’impact de la musique sur sa carrière footballistique ? Comment a-t-il rencontré son épouse Naïny Diabaté ? Les coulisses des préparatifs de leurs concerts ? Les qualités d’un bon guitariste ? Sa vision sur la musique malienne ? L’ancien joueur de l’AS Biton de Ségou au milieu de ses disciples n’a pas fourni trop d’efforts pour répondre à toutes ces questions. Signalons que cette interview s’est déroulée dans un grand salon de la ravissante Naïny Diabaté. Elle observait jusqu’à notre départ la grâce matinée.
Un bon guitariste doit être rapide pour être en phase avec le chanteur. En cela, Djélimady Tounkara, Mama Sissoko, Sambou Diakité dit Mince et Manfila Kanté de la Guinée-Conakry sont des références. A ces sommités de la musique, nous ajoutons Cheick Oumar Diabaté dont les viatiques en l’occurrence sont son calme, sa grande sérénité lors des spectacles. Mieux il maîtrise non seulement la guitare, mais aussi les chansons. Son secret ? Son attachement aux répétitions, l’amour de son instrument de musique. Sa complémentarité avec son épouse Naïny Diabaté sur une scène est facile à comprendre parce qu’ils discutent de tout dans leur foyer.
Comment interprète-t-il l’état d’âme de sa femme en plein concert ? “Je sais que Naïny est impulsive, dynamique et très chaude sur la scène, donc si par hasard je ne sens pas cette vivacité, je devine que les gammes ne lui conviennent pas. Il me revient alors de chercher à savoir ce qui ne va pas dans le rythme pour lui donner sa dose de bon moral. Une anecdote : chaque fois que cela arrive Naïny en profite pour glisser mon nom dans le morceau et magnifie du coup mon savoir-faire sur la guitare”, répond-il.
Griot de naissance les impressions de Cheick Oumar Diabaté sur la musique malienne sont sans équivoque. Si dans un premier temps il révèle un bon niveau, il admet dans une seconde analyse qu’il faut corriger les lacunes, les buttes parce que pour lui les nouvelles technologies ont eu un impact négatif sur les anciennes mélodies. Le temps ne change pas avec la musique, mais c’est plutôt le comportement de la jeunesse qui n’est pas constant, soutient-il. C’est pourquoi Cheick conseille aux jeunes artistes et musiciens maliens de ne pas se perdre dans la modernité. Autrement dit les valeurs musicales traditionnelles devraient être conservées.
Demandez à Cheick Oumar Diabaté le nombre de ses enfants, il vous répondra en avoir plusieurs sans plus de précision. Pourquoi ? Il suffit de lui rendre visite pour comprendre sa réponse, relevant des principes fondamentaux de la tradition malienne. Son absence remarquable sur la scène s’explique par le recul qu’il a pris ces derniers temps pour se consacrer uniquement à la formation. Sinon il est formel que le musicien n’a pas de retraite tant que le cerveau commande le corps.
A la lumière d’une analyse de sa carrière, il révèle qu’on ne saurait faire son temps et celui de ses enfants. C’est pourquoi il a changé de fusil d’épaule. Ce qui explique la présence des adolescents chez lui tous les jours pour des séries de répétition. Des jeunots disciplinés qui dès leur arrivée s’affairent aux instruments de musique, en attendant que leur maître ne prenne place. Ils l’appellent tous “Tonton Cheick” et leur familiarité crée la confusion pour faire la différence avec ses propres enfants.
Gros plan
Guitariste chevronné, il est une icône de la musique malienne pour avoir fait ses preuves dans la discrétion. Sans complaisance, il affirme que la musique a assuré son indépendance, et lui a permis de découvrir le monde, de côtoyer les personnalités et comprendre beaucoup de choses.
Pourtant, il aurait pu être un grand joueur de l’équipe nationale du Mali. L’enfant de Ségou a eu le cœur au football au moment où la musique s’est chevillée à son corps. De l’Africa Sports, il transfère à la Jeunesse sportive de Ségou et finit à l’AS Biton suite à la fusion des équipes régionales en 1979-80.
Avec les Paul Koné, Bréhima Guèye, Vital Ky, Kabirou Bah il joue et perd la finale de la Coupe du Mali en 1982 contre le Stade malien de Bamako. Attaché à son Ségou natal, Cheick Oumar Diabaté ne daigne pas rejoindre un club de Bamako comme certains de ses camarades. En ce temps, la musique commençait à le passionner. Et l’entraîneur Kidian Diallo ne lui a-t-il pas fait des remarques ?
“Oui c’est vrai ! Il m’a interpellé un jour dans l’avion en provenance de Dakar. Il m’a dit qu’il est au regret de constater que je suis toujours en tournée avec Naïny, chaque fois qu’il veut me convoquer en équipe nationale. Il m’a conseillé de donner une chance à ma carrière footballistique à travers un passage dans la sélection. Mais j’étais convaincu que mon avenir et mon indépendance résidaient dans la guitare”.
Est-il décent de demander à un Diabaté pur-sang comment il est venu dans la musique ? Certes en temps normal le griot et la musique sont indissociables, mais tous les griots ne font pas la musique. Cheick Oumar Diabaté a respecté la tradition de son statut de griot.
C’est l’admiration pour son grand frère, Modibo Kouyaté (époux de feue Tâta Bambo Kouyaté) qui explique ce penchant. Celui-ci jouait la guitare et sa dextérité à manier l’instrument de musique a fait vibrer son cœur. Il lui chipait sa guitare et s’amusait dans un désordre de notes. Un autre grand frère guitariste du quartier conditionnait ses services à quelques mèches de cigarettes.
Cheick Diabaté se débrouillait à remplir les conditions de son maître improvisé, afin de maîtriser et coordonner les notes musicales. C’est en ces moments qu’il forgea son talent. Piqué par le virus de la guitare, il réalise son premier coup d’essai devant son grand frère Modibo Kouyaté. Celui-ci en tant que griot s’est réjoui de l’audace et des bonnes notions annonciatrices de son jeune frère. Il l’encourage et lui offre plus tard une guitare. Il fallait alors exploiter la matière pour tirer profit.
L’enfant de Ségou se perfectionna, et devint pratiquement le guitariste attitré de tous les griots et artistes de la Cité des Balanzans, tout rythme confondu. En son temps, Cheick Oumar Diabaté faisait également des sauts à Bamako pour accompagner Ami Koïta dans ses prestations. Ce qui boostera à sa carrière. Parce que les concerts et les cérémonies de mariage se succédaient et débouchaient sur son union avec la ravissante Naïny Diabaté.
Il explique les circonstances : “J’ai accompagné Naïny au cours de sa prestation. Mais il n’y avait aucune relation particulière entre nous, sauf que nous sommes tous des griots. Après la cérémonie, j’ai été séduit par son talent, l’idée m’est venue de chercher sa main pour le mariage. J’en ai parlé à mon père. Les démarches ont commencé et le mariage fut célébré”.
Après cette union, le couple gagne en notoriété, accentué par des concerts à Bamako, et les tournées en Europe, aux Etats-Unis, et au Gabon, entre autres. Mieux, Cheick Oumar Diabaté a participé à plusieurs festivals internationaux.
Sa riche carrière est aussi liée à de bons souvenirs : sa première guitare, la réussite de la formation inculquée aux jeunes artistes devenus aujourd’hui les sommités de la musique malienne, et la victoire du Biton sur le Réal en demi-finale de la Coupe du Mali de 1982. Au tableau des mauvais souvenirs, il retient deux contreperformances : la défaite à la fameuse finale contre le Stade et l’élimination du Biton par FC Bassam de Côte d’Ivoire en Coupe Ufoa.
O. Roger
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