En décidant de donner un congé de fin d’année à la rédaction, le directeur de publication, Aliou Badara Haïdara avouait que la rubrique “Que sont-ils devenus ?” a un coût, mais n’a pas de prix. Il ne s’agissait pas de faire l’éloge de cette chronique. Il a plutôt instruit un déplacement à Ségou, pour rencontrer l’une des anciennes voix de Radio-Mali et de l’ORTM, Amaïguéré Ogobara Dolo, également correspondant de l’Amap, de sa profession d’enseignant, l’amour de la région de Ségou le fit migrer dans la presse. Comment ? C’est la principale interrogation qui a servi de plat de résistance lors de notre entretien avec ce passionné du quatrième pouvoir. Qui est cet homme ? Comment est-il devenu journaliste ? Ce Dogon bon teint nous a reçu le 31 décembre 2022, à son domicile à Pélengana. C’est dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”
Nous quittâmes Bamako à 16 h à bord d’un car de transport en commun, pour arriver dans la Cité des Balanzans aux environs de 21 h. Un moto taximan (Telimani) nous conduit dans un grand hôtel. Ce qui nous permet de nous défaire de la fatigue d’un voyage contraignant lié à la mauvaise prestation de la compagnie de transport.
Le lendemain matin notre guide à partir des explications au téléphone nous conduit “les yeux fermés” dans la famille Dolo à Pélengana. L’un des fils du vieux lui dit de ne pas nous attendre comme convenu. Déjà la ville respire l’ambiance du Réveillon : de la musique par-ci, des jeunes avec les poulets par-là. Bref la population s’apprête à accueillir la nouvelle année dans la ferveur. Surtout que les autorités politiques et administratives ont déployé un important dispositif sécuritaire dans la ville.
Après les salutations d’usage, le jeune Dolo nous indique un salon, où Amaïguéré Ogabara Dolo est confortablement installé dans une posture qui lui permet d’observer la cour dans toute sa superficie. Le salon est la confluence de quatre grandes chambres. Celles des deux épouses se font face. Un téléviseur de dimension “32” connecte le maître des lieux à l’actualité.
L’accueil chaleureux de la famille, nous rappelle celui d’Aminata Coulibaly dite Waraba 10 en octobre 2017 (ancienne internationale de basket ball). L’émotion est à son comble. L’entretien peut commencer. Entre-temps l’aide-ménagère nous apporte un verre de bon thé, et place un bidon d’eau minérale à nos côtés.
Dans notre société, des prénoms comme Niamangolo, Fala, Sounounkoun, Niamanto sont significatifs, et même liés aux valeurs cardinales des communautés respectives. Généralement les sages du village conseillent de donner un de ces prénoms à un enfant pour assurer sa survie.
C’est le cas de notre héros de la semaine Amaïguéré Ogobara Dolo. Avant sa naissance en 1949, sa mère avait perdu beaucoup d’enfants. C’est ainsi qu’il prit le prénom dont la signification met en évidence l’épreuve difficile que sa mère a vécue. Ama veut dire “Dieu” en dogon, Ïguéré, la station debout, c’est-à-dire que Dieu le garde actif sur pied. Ogo signifie pouvoir, Bara que Dieu l’accroisse avec une autorité de la famille.
Hygiène de vie
Dieu soit loué, car Amaïguéré Ogobara Dolo âgé de 74 ans, est marié à deux femmes et père de cinq enfants. Aujourd’hui, il ne souffre d’aucune pathologie chronique, seulement à la suite de son opération du pied, les médecins lui ont conseillé des médicaments pour prévenir la tension.
Qu’en est-il de son régime alimentaire ? Sa deuxième épouse qui vient juste de nous servir à manger, répond que le Vieux ne mange pas beaucoup. Le matin elle lui donne un peu de fruit, et un bol de café. A midi c’est le riz et la nuit le poisson ou le tô lui permettent de bien dormir.
Inscrit à l’école primaire de Sangha en 1953, il finit par être un professeur de lettres/histoire-géo, à sa sortie du Centre pédagogique régional de Mopti en 1967. Malgré le fait qu’il soit très jeune au moment de prendre la craie, il se rappelle de la première définition qu’il a enseignée à ses élèves, c’est-à-dire que l’instituteur est celui qui éduque l’enfant. Et l’enseignant transfère la connaissance aux enfants. Ils vont de pair parce que l’enseignant est inclus dans l’instituteur.
Après des pérégrinations entre Tarkint (cercle de Bourem) et Fourou, région de Sikasso (en passant par Berah, Tessalit, Mory, Goundaka, Lofiné), il est muté lycée régional de Ségou le 24 octobre 1983, pour occuper les fonctions de surveillant général adjoint. C’est à ce niveau qu’il dépose la craie pour de bon. Comment ?
Avant toute explication, nous parlons plutôt de sa demande de mutation sur Tessalit, qui a fait couler beaucoup d’encre. L’inspecteur général Bamoye Touré surpris par une telle demande pour une zone de punition fait intervenir l’un des aînés d’Amaïguéré Dolo, pour non seulement comprendre les tenants et les aboutissants de la demande, mais aussi le convaincre de revenir sur son intention de quitter. Que s’est-il passé ?
“Au bout d’un an à Berah, j’ai demandé une affectation sur Tessalit. Ce qui a créé une confusion dans la tête de l’inspecteur. Il convoque mon grand frère Habib Diombélé (le père de l’actuel directeur de l’ORTM) pour lui demander de me convaincre de rester à mon poste. Parce que le besoin était là. J’ai dit à mon aîné qu’avec mon statut de fonctionnaire débutant, il est mieux que je commence par la brousse pour ensuite finir par la ville. Diombélé me félicita tout en m’invitant de le contacter pour toute fin utile”.
“Feu à volonté”
A ce souvenir se greffe une anecdote. Au Réveillon de 1972 il est invité au cercle pour une fête avec un buffet garni étiqueté de la mention “Feu à volonté”. Une telle retrouvaille de la crème de l’administration du cercle est synonyme de liberté. L’ambiance attire certains élèves qui viennent assister au festin. Le 2 janvier 1973, Amaïguéré Ogobara a des difficultés pour dispenser sa leçon de morale sur l’alcool parce qu’un élève lui rappelle qu’un maître ne devrait pas interdire l’alcool à ses élèves alors que la veille il en a bu au cercle. A la question de savoir ce qu’ils entendent par buveur, les enfants répondent que “boire, c’est boire”, et le prient de ne plus toucher à l’alcool.
Pour revenir à la migration d’Amaïguéré Ogobara Dolo, la réalité est qu’il est choqué par le fait que les informations de Ségou ne passent pas en direct sur Radio-Mali lors des festivités du 22 septembre. La raison ? Le correspondant local, Djibril Dembélé est un bègue. Ce handicap l’oblige à transmettre les informations à Bamako, et un journaliste narre l’événement au journal télévisé.
A la suite de ce constat, selon lequel la région de Ségou ne s’identifie pas sur l’actualité nationale, il introduit une demande au niveau du cercle d’où relèvent les correspondants de presse. Sa démarche ne consiste pas à démettre son aîné Djibril, mais à le suppléer. Le commandant de cercle prend acte de sa demande, et lui conseille de s’adresser directement au directeur général de l’Agence malienne de presse et de publicité (Amap), Cheick Moctary Diarra.
Les choses vont très vite après le passage d’Amaïguéré Ogobara Dolo à Bamako. Immédiatement il reçoit sa décision de recrutement et sa carte de presse, après une brève présentation au directeur adjoint Gaoussou Drabo. L’autre étape va le conduire à Radio-Mali pour rencontrer le directeur général.
Générosité incarnée
C’est plutôt l’adjoint Seydina Oumar Dicko qui le met à l’épreuve en studio avec un texte. A ce niveau aussi tout est calé pour une collaboration fructueuse. Alors problème ! Deux correspondants pour une seule région. Gaoussou Drabo tranche avec la bonne formule : Amaïguéré Ogobara devient correspondant attitré, Djibril Dembélé est placé sous l’angle social selon notre héros de la semaine.
Ce n’est pas du goût de l’aîné, mais il ne l’a pas manifesté ouvertement. Pour ne pas le frustrer davantage, Ogobara fait le travail et lui laisse les avantages. Comme cette situation confuse ne saurait continuer, Amaïguéré Ogobara Dolo soutient avoir proposé à Gaoussou Drabo la création de postes de correspondants régionaux.
Cela consiste à donner le statut de correspondant régional à Djibril Dembélé, et Amaïguéré Ogobara Dolo devint le représentant de presse local. A partir de cet instant l’aîné se contente de la correction des articles avant que le cadet n’entre en studio pour la station nationale. Ils continuent dans cette dynamique jusqu’à l’avènement de la démocratie dans notre pays.
Très fréquent à Bamako pour les montages de ses articles de presse, les autorités de la Radio lui demandent d’opter pour un transfert au ministère de l’Information. Parce que jusque-là il continue d’assumer les fonctions de surveillant général adjoint au lycée de Ségou.
Chargé de l’accueil, de la santé et de l’information a-t-il le temps maximal pour les reportages ? Au besoin le gouverneur instruit au proviseur de mettre Ogobara à sa disposition. Las de ces pressions incessantes, il conseille à son agent de commencer tous les jours par le gouvernorat avant de venir à l’école. Transféré au ministère de l’Information et de la Communication, il est affecté à l’ORTM pour servir à la direction de la télé dirigée à l’époque par Daouda Ndiaye.
Ainsi Amaïguéré Ogobara Dolo travaille pour l’Amap, l’Essor, la radio et la télé avec des textes contractés, développés et compressés selon l’organe et le contexte. Il prend sa retraite en 2009. Mais le directeur de la station régionale de Ségou, Dougoufana Traoré le retient comme collaborateur extérieur avec les mêmes missions, jusqu’en 2016. Le nouveau directeur n’ayant pas renouvelé son contrat et pour des soucis de santé il se retire définitivement de la scène pour s’occuper de sa famille. Regrette-t-il d’avoir choisi la presse ? “Je l’ai aimée et cela m’a permis de vendre l’image de ma région. Bref j’ai épousé la communication pour combler un vide lié à l’identification de la Cité des Balanzans”, soutient-il. Mieux aujourd’hui il a la satisfaction morale du devoir accompli vis-à-vis de la société, et de façon désintéressée. Avec la ferme conviction que la reconnaissance et la récompense sont liées au travail bien fait, il se réjouit de n’avoir jamais monnayé ou conditionné ses prestations. Il s’est toujours contenté des émoluments offerts dans le cadre normal de ses fonctions.
De cette longue riche carrière, il retient un seul mauvais souvenir : “J’ai reçu une lettre d’explication de la direction de la Radio sur instruction du ministre de la Communication Bakary Koniba Traoré. Mes deux reportages sur la mise en place de l’Association des pionniers du Mali et une activité du général ATT sur la dracunculose n’ont pas plu à un membre du cabinet, affirmant que l’élément d’ATT est plus long que l’activité même du département. Bakary Koniba interpelle le Directeur Général de l’ORTM Sidiki Konaté. Celui-ci appelle le directeur de la télé, Bally Idrissa Sissoko. Voilà que le problème devient une affaire d’Etat. La vérification prouve le contraire des allégations du conseiller technique. Le ministre n’est pas content de cette fausse accusation, mais le mal était déjà fait”.
Dans la vie, Amaïguéré Ogobara Dolo aime la communication, la lecture. Il déteste la paresse et tout ce qu’elle engendre.
O Roger
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