Comme tous les coups d’Etat, le renversement du duo exécutif Bah N’Daw – Moctar Ouane renferme son lot d’énigme. Elle est d’autant plus difficile à décrypter que ses acteurs se perdent en conjectures dans les tentatives de justifications de leur acte, de son opportunité.
Et Dieu sait combien l’effort de persuasion a été si laborieusement déployé. La salve déclenche au lendemain de l’arrestation du président et de son Premier ministre avec une première sortie du porte-parole de Assimi Goïta, qui brisa le silence par un pénible exercice de clarifications de leur démarche. S’en est suivi une rencontre de décrispation de l’atmosphère avec les grévistes de l’Untm avant que les putschistes n’enchaînent par des offensives de charme tous azimut en direction de la classe politique ainsi que de diverses composantes de la société civile dont les notabilités traditionnelles et religieuses, les jeunes et les femmes, les représentants de la presse, et tutti quanti.
Avec chacune de ces entités ayant tour à tour défilé à Koulouba – pour répondre à l’appel du vice-président confortablement installé bien avant d’être confirmé à la place de Bah N’Daw -, la démarche était motivée par le même objectif : convaincre de l’opportunité d’une interruption consommée de la Transition, à mi-chemin de parcours. Sauf que pour ce faire les arguments varient selon la nature des cibles et frisent même la contradiction par leurs fluctuations. À d’aucuns, le coup de force est présenté comme un acte salutaire intervenu pour circonscrire une fragilisation des forces armées maliennes et leur dislocation programmée, au nom d’un confort personnel alors que les FAMa ne sauraient être distraites de l’équation sécuritaire de grande envergure à laquelle fait face le pays. L’allusion pointe manifestement du doigt le président déchu et détenu de la Transition, implicitement accusé de dresser les unes contre les autres les composantes des FAMa, dont les représentant au gouvernement paraissaient pour les cibles miraculeuses d’un projet malveillant de liquidation physique concocté par l’ancien président. Toutes choses qui expliqueraient son arrestation ainsi que celle de nombreux autres responsables impliqués dans ledit projet, au risque de donner lieu à un bain de sang très plausible. En définitive, ni plus ni moins qu’un coup démantelé que la junte impute à Bah N’Daw.
Ainsi proprement lapidé pendant qu’il se trouve en détention et sans possibilité par conséquence de se défendre, la réaction du président déchu est vivement attendue. Toutefois peut-on d’ores et déjà relever le paradoxe de déjouer un coup d’Etat au plus haut sommet dans une sérénité aussi déconcertante : pas de mesures de précautions usuelles, pas de fermeture temporaire des frontières, pas de couvre-feu, etc.
Plus convaincante donc la version donnée par les mêmes acteurs du putsch à d’autres interlocuteurs face auxquels Assimi Goita a laissé s’échapper une explication plus plausible, à savoir : une détérioration progressive des rapports avec un président. Devant les confrères journalistes conviés à Koulouba dans le même sillage, il n’a pas fait mystère, par exemple, de sa frustration en rapport avec de nombreuses décisions et mesures régaliennes qui lui passaient par-dessus la tête, y compris dans le secteur qu’il estime lui revenir de droit par la Charte de Transition. De même Assimi Goïta n’a-t-il apparemment jamais toléré l’interruption de sa participation au Conseil des Ministres où les promotions administratives ou militaires de frères d’arme en souffrance retentissent comme un malaise difficile à juguler dans les rangs. Tel qu’en attestent les grincements de dents consécutifs à l’annonce du chronogramme des élections, l’ancien vice-président et ses compagnons ne paraissent pas moins offusqués par la cadence qu’a prise la Transition et la détermination de l’Exécutif déchu d’en finir dans le délai retenu dans la Charte.
Hissé au sommet de l’Etat pour jouer un rôle de marionnette, Bah N’Daw fait visiblement les frais de son refus d’être régenté par un quatuor tout aussi déterminé à tirer les ficelles de la Transition en étant plus aux périphéries qu’au sommet du pouvoir. Putschistes sans aucun gage d’exonération de responsabilité pénale, ils n’en manque pas de raison à leur posture, mais les motivations déclarées s’éloignent manifestement de la réalité et aux dépens d’une victime sans défense
A KEÏTA