Prostitution au Mali : Les contours d’un commerce florissant

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La prostitution est l’accomplissement d’un acte sexuel avec autrui, motivé par un intérêt pécuniaire. Condamnée par les religions, nos us et coutumes, de nos jours, elle a atteint un seuil critique qui pour diverses raisons menace l’existence même de notre société.

Autrefois financière, la prostitution est aujourd’hui infiltrée par les crimes organisés. Ses conséquences sont désastreuses aussi bien pour les prostituées elles-mêmes que la société. À l’aube de ce troisième millénaire, elle constitue l’un des plus grands fléaux qui bafouent la dignité humaine et précarisent la société. La prostitution est plus que jamais le reflet de la misère morale et physique qui caractérise l’Afrique en général et le Mali en particulier. Elle est surtout considérée comme un moyen de survie pour les populations victimes de discrimination et d’exclusion dans les grandes villes. Ce commerce est une forme d’esclavage inacceptable qui doit être combattu et proscrit, car il réduit les victimes à l’état d’objet et de marchandise humaine.

Les différentes formes de prostitution

Il existe, aujourd’hui, deux formes de prostitution : les unes sont volontaires les autres ne le sont pas. Au Mali, elle est essentiellement causée par les conditions économiques déplorables, mais aussi la facilité. Pour la prostitution de ‘’plein gré’’, il est question de choix personnel lié à une rationalité économique. Les causes sous-jacentes sont : la pauvreté, le chômage, le manque d’éducation et celui d’accès aux ressources.

Les femmes sont dans une position de vulnérabilité particulière en raison de la féminisation de la pauvreté, de la discrimination généricité et de l’absence d’occasion éducative et professionnelle. S’ajoutent la précarité sociale et l’absence de moyens alternatifs d’existence. Plus grave, un autre cas est en train de prendre de l’ampleur au Mali et en Afrique. Il s’agit de la prostitution enfantine.

Le système des prostituées

La plupart des filles qui se prostituent dissimulent leur identité. Elles ne sont pas des prostituées permanentes comme certaines femmes (surtout étrangères) à Bamako qui exercent leur sale métier de jour comme de nuit. Concernant les maliennes, elles sont souvent prostituées la nuit et font autre chose le jour. Elles ne s’y donnent pas à plein temps. Elles sont des serveuses de bars, coiffeuses, couturières, élèves, étudiantes, petites commerçantes, ouvrières, secrétaires, agents de services, aides ménagères, vendeuses ambulantes ou portefaix. Bref, elles exercent d’autres métiers le jour et la nuit se livrent au commerce du sexe. Le phénomène prend de l’ampleur au Mali et, par conséquent, suscite l’inquiétude des uns et des autres qui malheureusement sont souvent acteurs ou clients.

Leur système est simple : souvent les soirs, les filles sortent avec de petits sacs contenant pagnes, objets de beauté et se mettent debout au bord de la rue, carrefours ou lieux habituels. Les coins les plus chauds à Bamako se trouvent à l’hippodrome, notamment la rue princesse. Aussi, des nouvelles zones de prostitution se créent dans tous les quartiers du district de Bamako avec la bénédiction des promoteurs chinois. Les prostituées attirent l’attention des hommes qui passent en leur promettant ‘’une partie de plaisir inoubliable à un prix défiant toute concurrence’’. Certaines jeunes filles ont laissé leur numéro de téléphone dans des hôtels, auberges, près des conducteurs de taxi qui les appellent en cas de besoin.

Les filles qui s’habillent d’une façon indécente laissant voir leur slip, poils ou leurs seins quittent leur quartier résidentiel pour d’autres zones de la ville en vue de se prostituer. Souvent, elles ne sont pas difficiles à identifier. La question que les uns et les autres se posent est de savoir comment peut-on arriver jusqu’à ce niveau surtout dans un pays musulman?

La prostitution enfantine : une préoccupation majeure

Les enfants prostitués viennent des familles pauvres ou ont des parents irresponsables ou incapables de les contrôler. D’autres décident librement de faire ce travail sous des influences extérieures. Beaucoup d’entre eux sont à la recherche de leur pain quotidien. Peu sont ceux qui se prostituent par plaisir. Certaines prostituées racontent qu’elles cherchent de l’argent pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. «Vous savez, vous ne pouvez pas comprendre, chaque matin, je donne une partie de mon argent à ma tante qui m’héberge chez elle», raconte une prostituée très dégourdie.

La prostitution enfantine n’est pas sans répercussion sur ceux qui la pratiquent. Elle agit sur leur santé, leur dignité et surtout leur existence. Le Sida, les IST, les grossesses non désirées et autres sont des risques qui guettent les enfants prostitués. Dans la plupart des villes, les personnes les plus touchées par le du Sida sont les enfants et les jeunes. Au Togo, la couche la plus productive de la population, entre 15 à 49 ans est la plus touchée par le sida.

Certaines filles racontent qu’elles gagnent beaucoup d’argents en faisant ‘’l’amour sans préservatif’’ avec leurs clients, oubliant les dangers qui les guettent. D’autres racontent qu’elles détestent les préservatifs. La plupart des clients des prostituées préfèrent les plus jeunes et même les enfants. Il y a même l’existence de ‘’devissimé’’ littéralement, «le marché des enfants». Là, des filles d’à peine 13 ans et plus font le tour des trottoirs à la recherche des clients.

Les plus hautes autorités (ministère de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille) sont interpelées. Mais, pas sur un plateau de Mini Star pour se faire tout simplement voir et s’égailler pendant que les enfants sont en train de subir de plein fouet les conséquences de la démission de toute la famille.

Les causes de la prostitution

Nul ne peut nier que la misère économique est le terreau fertile sur lequel se développe l’industrie de la prostitution. Sévissant au Mali, elle est l’un des résultats de la catastrophe sociale et de la ruine économique qui sont liées aux politiques d’ajustement structurel, aux privatisations, au libre échange à sens unique. Bref, à la mondialisation et ses effets sur l’accroissement des inégalités sociales au sein des pays et entre les pays. Cette prostitution dont le visage ne cesse d’évoluer galope dans notre pays.

S’il y a des causes alimentaires et de survie, il existe aussi un déterminisme social et psychologique qui prédispose certaines personnes à la prostitution. Nombre de chercheurs refusent la dichotomie volontaire et forcée, car ils veulent comprendre les conditions sociales et psychologiques qui font promouvoir la prostitution. Ils soutiennent que l’engagement dans la prostitution est la conséquence des facteurs multiples et d’un enchevêtrement de raisons économiques, personnelles, sociales et psychologiques.

La fabrication de cette marchandise particulière a une histoire préalable qui se déroule en amont. Nombre de recherches disent que les prostituées ont un lourd passé traumatique et une histoire d’abus sexuels chroniques. Une autre étude révèle que 90% des prostituées avaient été physiquement agressées durant leur enfance. Les survivantes développent souvent des idées et comportements autodestructeurs, un mépris de soi, un sentiment de honte, des désordres alimentaires, d’abus de drogues etc. en dehors de toutes ces théories, la prostitution reste en grande partie économique au Mali. Ces conséquences sont incalculables aussi bien pour la société que pour les prostitués.

Les conséquences de la prostitution

Les conséquences psychiques et physiques de la situation prostitutionnelle sont très graves. Dans un monde ravagé par le Sida et en proie aux infections sexuellement transmissibles (IST) et des pratiques malsaines de tous genres, les enfants qui font le commerce du sexe sont en danger. Les conséquences psychiques se manifestent par des troubles de type dissociatif. C’est-à-dire, un véritable clivage ou dissociation psychique entre la personnalité prostituée et la personnalité "privée" de la personne prostituée, constituant l’aspect psychique de la décorporalisation.

Ce clivage est un mécanisme de défense psychique contre les agressions et violences vécues dans la situation prostitutionnelle, la première de ces violences est de subir des rapports sexuels non désirés de manière répétitive. Or, les notions fondamentales en matière de sexualité sont celles de désir, de plaisir et de partage conséquent de la bilatéralité de la relation. Ces notions se trouvent perverties et l’échange disparaît totalement. La situation prostitutionnelle n’est donc pas un échange ou une relation à caractère humain, pas plus qu’une forme de sexualité.

Le fait de subir ces rapports sexuels de manière répétitive et non désirée entraîne une dissociation psychique afin de pouvoir départager les deux univers de la personne. Et surtout, de protéger le domaine privé des atteintes vécues dans le domaine prostitutionnel en se coupant de ce qui est éprouvé. Celui-ci est totalement factice. Ça devient une situation simulant une relation humaine où tout est artificiel. Les sentiments et émotions n’existent pas, ils sont refoulés car considérés comme des obstacles par l’acheteur de service sexuel. C’est l’absence de tout affect humain tel que le mépris de la personnalité, le déni de ses désirs, l’ignorance de son identité humaine et l’assimilation à un objet sexuel totalement soumis. En résumé, tout ce qui fait le caractère humain unique d’une personne est nié et doit disparaître au bénéfice du rapport strictement commercial.

Une étude américaine faite dans cinq pays (USA, Zambie, Turquie, Afrique du Sud et Thaïlande) auprès de personnes prostituées a montré la présence de troubles psychiques (dont fait partie la dissociation psychique) analogues à ceux diagnostiqués chez les vétérans de la guerre du Vietnam. Chez 67% de ces personnes prostituées, c’est le PTSD (Post Traumatic Stress Disorder), dans lequel peut s’intégrer une décorporalisation.

Conséquences physiques

La dissociation existant sur le plan psychique va se manifester aussi sur le plan physique. Car, on ne peut dissocier de manière contrôlée le ressenti physique de ce qui se passe dans la tête de la personne. Ces troubles perturbent le fonctionnement de la sensibilité corporelle des prostituées, et sont aussi un mécanisme de défense à ne plus ressentir physiquement ce qui n’est pas désiré. Les manifestations physiques essentielles vont être des troubles de la sensibilité (nociceptive ou coenesthésique). C’est-à-dire, la sensibilité à la douleur et aux sensations tactiles (du toucher) dues à la dissociation ‘’tête-corps" et non organiques.

Elles sont capables de supporter des douleurs nettement supérieures à celles que peut tolérer la population moyenne. Plus la situation prostitutionnelle se prolonge dans le temps, plus l’hypoesthésie ne va se transformer en anesthésie. Il est très important de bien comprendre la signification de l’ensemble de ces symptômes, non seulement sur le plan médical, mais aussi relationnel, social, psychologique et humain.

Conséquences sanitaires

Dans notre pays comme ailleurs, la prostitution fait des ravages avec son lot d’infections diverses : relâchement des muscles génitaux et mutilations corporelles. Du coup, les travailleuses du sexe se réfugient dans la drogue et l’alcool pour subir l’intolérable. Sur le plan médical, toute tentative de proposer des structures ou des actions de soins comme on le fait pour la population est vouée à l’échec. N’ayant plus la possession pleine et entière de leur corps, le concept même de soin n’évoque rien par rapport à un objet ou un instrument.

Si le concept de corps dynamique et sujet disparaît, celui de soins et de santé disparaissent. Ce qui n’est plus symbolisé n’est plus réel. L’absence de soins médicaux découlant de l’auto-négligence corporelle, se fait ressentir de façon importante à l’évaluation de l’état de santé des personnes prostituées. Peu ou pas de suivi, de surveillance ou de dépistage pour les MST dont le sida.

Il ne faut pas minimiser les conséquences physiques et psychiques des violences corporelles et sexuelles (coups à mains nues, avec objets contondants, blessures par armes blanches, viols par les proxénètes), violences verbales (menaces, injures…) L’inexistence de la prise en charge 80% à 95% des personnes prostituées aurait des antécédents, selon les enquêtes réalisées sur le sujet. Il y a aussi, des conséquences de la pratique prostitutionnelle : dépressions, angoisse et phobies aggravant la négligence à prendre soin de son corps et de sa santé.

Si la toxicomanie peut être primaire, elle est aussi souvent secondaire ou maintenue par la pratique. Car, les personnes prostituées expliquent qu’elle les aide à supporter leur activité et les effractions sexuelles à répétition.

Quelles solutions pour une prise en charge efficace et appropriée des prostituées?

La première chose pour stopper le processus est l’arrêt de l’activité prostitutionnelle. Pour effectuer une réhabilitation médicale de la capacité et de l’autonomie de prise en charge sanitaire des personnes prostituées, on peut proposer une litanie de solutions. La restauration de la parole : lieux d’écoute psychologique spécialisée avec des intervenants formés pour écouter et surtout comprendre la parole de ces personnes. L’idéal serait le suivi par un même et unique écoutant pour éviter la rupture. La prise de sa parole doit s’accompagner d’un processus de dévictimation, un terme criminologique désignant l’accompagnement des personnes victimes de toutes formes de violence et traumatisme. Elle permet de passer de la place de victime à une place de personne active ayant réintégré son schéma et son image corporels.

La réparation passe par la reconnaissance sociale, les soins, la prévention de nouveaux cas et la lutte contre les instances favorisant le développement de la prostitution. Chaque étape de ce difficile parcours peut être l’occasion d’une survictimation (aggravation de la stigmatisation sociale et de situations imposées où la personne est considérée comme passive et non décisionnaire). Un tel travail d’accompagnement et de soins ne peut se concevoir qu’en mobilisant un réseau d’intervenants variés. Il s’agit de la justice, des psychiatres et psychologues, médecins, association des victimes ou service d’aide aux victimes. La création notamment de groupes de parole des repêchés de la prostitution pourrait constituer un bon support de dévictimation, permettant de s’exprimer directement et librement avec possibilités d’être entendu sur la place publique.

Recorporalisassion : permet à la personne de se réapproprier de son corps, d’être de nouveau à l’intérieur et en un seul morceau. Elle vise la restauration de l’intégrité corporelle par des soins physiques appropriés, appelés thérapie à médiation corporelle. Les soins kinésithérapeutiques permettent de recouvrer le fonctionnement du corps, de réintroduire les perceptions corporelles par des jeux sollicitant la sensibilité profonde et superficielle. Les massages et la fangothérapie peuvent également être utiles pour restaurer la sensibilité cutanée.

Les activités sportives en groupe sollicitant l’interaction de la personne avec les autres participants, la réintègre dans un vrai jeu social permettant une communication corporelle. Les activités comme le théâtre, la comédie dans un contexte thérapeutique (art de thérapie) peuvent aussi être intéressantes. Des expériences de théâtre ou de composition littéraire ont été menées par des écrivains et acteurs auprès de petits groupes de personnes en situation d’exclusion, et les résultats avaient été très positifs. Ces personnes se sont senties capables d’écriture ce qu’on leur avait confié.

Ces propositions sont coûteuses en temps et en argent. Mais, elles sont incontournables et indispensables si l’on veut réhabiliter physiquement les personnes prostituées.

Lemzo

 

 

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