Ce lundi, 6 juin, le président de la transition, le colonel Assimi Goïta, a pris un décret pour prolonger de 24 mois la durée de la transition, à compter du 26 mars dernier. Un décret présidentiel qui fait que le colonel Assimi Goïta est désormais face à l’histoire, en ce sens que l’acte présidentiel est visé par la constitution, toujours en vigueur, au terme de laquelle le coup d’état est un crime imprescriptible.
Comment expliquer l’acte, apparemment précipité, du président Assimi Goïta qui, ce lundi, 6 mai 2022, dans le secret de ses bureaux à Koulouba, n’avait théoriquement aucune urgence pour ce faire d’autant que le décret N°2022-0335/PT-RM du 06 juin 2022, qu’il venait de signer pour prolonger la durée de la transition à 24 mois, avait déjà pris effet, depuis le 26 mars dernier.
Il est donc clair que le président de la transition n’avait aucun impératif à se mettre la corde au cou pour gérer une situation, par décret présidentiel, en visant spécifiquement la constitution, la norme supérieure du pays, qui fait du coup d’état militaire un crime, dont les effets persistent pour la durée de l’éternité.
Cela est d’autant plus crucial qu’en tant qu’auteur n°1 du putsch militaire qui l’a propulsé au pouvoir, il est celui qui se démène aujourd’hui pour trouver une solution à l’amiable avec la CEDEAO en vue d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Et à cet effet, le Mali subit, depuis le 9 janvier dernier, les dures sanctions, infligées par l’organisation sous régionale.
Dans le cas actuel, aucune pression de délai ne pesait sur le patron de la junte de Kati, le décret qui vient d’être pris agissant davantage pour la postérité. De plus, les discussions se poursuivaient avec la CEDEAO pour trouver un compromis acceptable sur la durée de la transition. Le président Assimi Goïta n’avait donc pas besoin d’aller si vite sur un terrain forcément glissant.
Le visa de la constitution, dont on connait la lourde charge historique portée contre les coups de force militaire et auquel est adossé le décret N°2022-0335/PT-RM du 06 juin 2022, le met désormais face à lui-même et face à l’histoire.
Son Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, en bon accompagnateur du décret présidentiel (qu’il a du reste contresigné), n’est pas dans la même posture politique que lui. Et pour cause, c’est lui Assimi Goïta, président de la transition, et non le Premier ministre, lui-même nommé par décret présidentiel, qui a prêté serment devant Dieu et le peuple malien d’accomplir sa haute charge nationale dans le respect des lois du pays.
Pour se sortir d’un tel dilemme politique, le président de la transition, pendant qu’il n’avait aucune urgence pour ce faire, pouvait ne pas signer un décret présidentiel, pour prolonger la transition, portant le visa de la loi suprême. Il pouvait simplement respecter le jeu institutionnel, en se mettant en conformité par le mécanisme du parallélisme des normes.
La prolongation de la transition, dans un tel contexte politique, demeure l’apanage de l’organe législatif de la transition, le CNT qui, on l’a vu récemment, est bien l’instance qui a acté la révision de la charte de la transition. Certes, les Conseillers avaient pris une résolution pour permettre à l’exécutif de disposer du délai. Reste à savoir si cela équivalait à un blanc-seing ou si la procédure devait faire l’objet d’une initiative de proposition à soumettre pour adoption législative.
En prenant la décision de signer un décret présidentiel de prolongation de la transition, visiblement non consensuelle, à l’interne comme devant les partenaires aux négociations de l’extérieur, tout en visant celui-là par la constitution, le colonel Assimi Goïta s’est lui-même piégé, face à l’histoire. Pour l’heure, on en ignore la nécessité politique et nul ne saurait par avance en évaluer les conséquences.
On ne peut présager de la décision de la CEDEAO concernant le Mali, le 3 juillet prochain, en faveur de la levée ou du maintien des sanctions infligées au pays, depuis le 9 janvier dernier. Mais le décret N°2022-0335/PT-RM du 6 juin, du président Assimi Goïta, qui fait déjà polémique dans le pays et même au-delà, lui restera collé à la peau. Assimi Goïta traînera ce boulet historique, sur lequel, indépendamment du temps et des circonstances, sa responsabilité personnelle demeurera bien engagée. Comme une maladresse peut-être, mais comme une méprise des règles et des normes juridiques certainement.
Une faute qui n’est politiquement pas négociable d’autant que la constitution, toujours en vigueur, aura été imprudemment sollicitée pour garantir l’acte.
Correspondance particulière