Problématique du mariage précoce à Ségou en 4e région :17 cas de grossesse précoce enregistrés dans une classe de second cycle en 2009-2010

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Au Mali, l’âge légal du mariage est de 15 ans pour la fille et 18 ans pour le garçon selon le Code du mariage et de la tutelle. Malgré ces dispositions, des mariages se font encore à partir de 10 ans. Ce qui est dramatique et constitue une violation grave des droits de l’enfant. Les traditions viennent ainsi contredire quelques unes des conventions internationales ratifiées par le Mali. Pour justifier la persistance de ces mariages précoces, les familles avancent la plupart du temps des arguments culturels, traditionnels ou religieux.

Le mariage précoce constitue une violation des droits les plus fondamentaux de l’enfant au Mali où l’âge légal du mariage est fixé à 15 ans pour les filles par le Code de la famille. Sur le terrain, la réalité est tout autre. Une publication de l’ONG américaine, Population Reference Bureau (PRB), relève que le mariage des enfants est particulièrement courant au Mali où plus de 70% des femmes sont mariées avant 18 ans (source EDS IV). Bien qu’il soit officiellement frappé d’interdiction au Mali, le mariage précoce est largement accepté surtout en milieu rural.

Les premières conséquences de ces mariages précoces aboutissent, le plus souvent, à des grossesses précoces entamant gravement la santé des jeunes adolescentes, selon Dr Chiaka Locaina, gynéco-obstétricien à l’hôpital Nianankoro Fomba. Parfois, certaines y laissent leur vie. Derrière le visage d’AT (un nom d’emprunt) âgée aujourd’hui de 21 ans, se cache une histoire tragique que bien des adultes plus âgées qu’elles n’ont jamais vécue. Une histoire qui a changé le cours de la vie de la jeune fille qui a témoigné à visage couvert.

A 12 ans, AT a été mariée de force à un de ses cousins. Après un an de vie au foyer, le mari n’a pu consommer le mariage à cause des refus répétés de sa jeune épouse d’entretenir avec lui des rapports sexuels.

Un soir, avec la complicité des parents de la fille et surtout l’aide des amis du mari qui l’ont retenue de force au lit, AT a été violée par son propre époux. Traumatisée par cette violence inouïe, la jeune fille ne cessait plus de refuser ces rapports forcés.

Tous les soirs, je pouvais porter quatre culottes et plusieurs pagnes avant de me coucher. Mon mari était à bout de force, avant de finir d’arracher tout cela“, a-t-elle confié. Son mari la frappait et elle décida de le quitter. Quatre ans plus tard, elle a été de nouveau mariée contre son gré. De cette union sont nés deux enfants. A 21 ans, aujourd’hui, elle a décidé, contre la volonté de ses parents, de prendre sa destinée en main. Elle a abandonné le domicile conjugal pour continuer ses études. “Je vais me battre de toutes mes forces pour que mes enfants ne subissent pas ce que j’ai vécu ” a-t-elle lancé, l’air déterminée.

AT n’est qu’un cas parmi tant d’autres dans un milieu où la menace du mariage précoce guette toujours les enfants. Soumettre une adolescente aux supplices d’un mariage et d’une maternité précoces est une curieuse façon de se soucier de son intérêt et de son avenir. Les mariages précoces reposent sur des motifs culturels, a observé la plupart des intervenants.

Mme K S, commerçante, a eu plus de chance qu’AT. A peine âgée de 14 ans et sans aucune expérience sexuelle, KS a été donnée en mariage à un porteur d’uniforme qui avait le triple de son âge. “La nuit de noces, j’ai quitté la chambre nuptiale. J’ai fui. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait ” soutient-elle.

Le mariage a été consommé et, à 15 ans, la fille était enceinte de son premier enfant. Son corps n’était pas, cependant, prêt à supporter une grossesse. Elle perdit successivement ses trois premières grossesses. Objet de violences sexuelles et domestiques, elle a finalement quitté plusieurs fois le domicile conjugal et, à chaque fois, ses parents la renvoyaient chez son époux. “Abattue, je ne savais plus comment faire. Finalement, j’ai considéré que c’était mon destin” a relevé KS, avant d’ajouter que le mariage précoce lui a causé beaucoup de mal.

Cependant, selon les explications de Dr Ousmane Traoré de l’ONG ASDAP (Association de soutien au développement des activités de population), il existe, aussi bien au plan national qu’international, des textes juridiques qui reconnaissent à l’enfant le droit d’être protégé contre toutes formes de violences.

Il s’agit, entre autres, de la Convention relative aux droits de l’enfant, de la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF). Ces instruments juridiques, qui affirment le droit humain fondamental de la femme sur le triple plan physique, psychologique et affectif, se trouvent aujourd’hui violés par la pratique du mariage précoce.

Ces instruments juridiques qui affirment le droit humain fondamental de la femme et physique, psychologique et affectif, se trouvent aujourd’hui violés par la pratique du mariage précoce.

Ces conventions citées ci-dessous commandent, pour toutes décisions concernant un enfant, de prendre en considération son intérêt supérieur. Ce qui n’est pas appliqué dans le cas du mariage précoce car le dernier mot revient toujours aux parents.

Les décisions de ces derniers sont généralement influencées par le niveau de pauvreté, la méconnaissance des textes juridiques en la matière et l’attachement de la population à certaines valeurs sociétales comme la sauvegarde de l’honneur et de la dignité de la famille.

On ignore le taux véritable de ces mariages car la plupart des cas ne sont pas déclarés en tant que mariages officiels. En outre, il existe dans la région de Ségou peu de statistiques, a révélé Mamadou Bakayoko, intérimaire à la division régionale de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille. Il a rappelé que dans le rapport annuel 2010 de sa structure, il a été enregistré 67 cas de mariages précoces de 24 filles dont l’âge est compris entre 10- 14 ans et 43 filles âgées de 15- 17 ans.

Mamadou Bagayogo a soutenu que, malgré les comités de vigilance mis en place dans les villages, les parents arrivent toujours à contourner ces garde-fous pour marier précocement leurs enfants. Ce qu’il a déploré. Les mariages précoces, ainsi que les grossesses à l’école, constituent aujourd’hui un phénomène courant. Selon le Directeur de groupe scolaire de Sonikoura A de Ségou, Mamadou Kansaye, il a été recensé, en 2009-2010, dans son établissement, 12 cas de mariage précoce. Durant la même période, plus de 17 cas de grossesses précoces ont aussi été enregistrés. Ces mariages, selon lui, ont des conséquences négatives sur les résultats scolaires des élèves, a-t-il confié.

“La plupart du temps, nous ne sommes informés que quand le mal est fait. Souvent, nous sommes obligés, en tant qu’autorité scolaire, de donner une chance à ces jeunes mamans de poursuivre leurs études ” a-t-il déploré. “Une jeune fille bien éduquée est une richesse aussi bien pour sa famille que pour la nation toute entière ” a ajouté le Directeur.

Ces constats ont été faits lors d’une caravane de presse sur la problématique du mariage précoce à Ségou organisée par l’Association de soutien au développement des activités de population (ASDAP) avec l’appui technique et financier de l’ONG américaine Population référence bureau (PRB).

C’était du 18 au 21 avril. Au cours de cette caravane, une dizaine de journalistes ont échangé avec les partenaires impliqués dans la mise en œuvre de la politique pour l’abandon des mariages précoces à Ségou.

Les rencontres avec les différents acteurs comme l’Association malienne pour la protection et la promotion de la femme (AMPPF), la Croix rouge, l’unité Prado de l’ASADAP, le Centre d’animation pédagogique (CAP) ainsi que l’hôpital Nianankoro Fomba ont permis aux caravaniers de se rendre compte que le problème des mariages précoces est une réalité à Ségou et qu’il a des conséquences néfastes sur la scolarisation, la santé reproductive et psychosociale de la fille. Toutefois, le constat a été fait que ce problème est traité dans le paquet des pratiques néfastes à la santé de la mère et de l’enfant, alors qu’il devait bénéficier d’un traitement particulier.

Ramata TEMBELY

Envoyée spéciale à Ségou

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