Ceux qui ont déjà rangé leurs craintes d’une institution présidentielle bicéphale au Mali en auront sans doute pour leur crédulité hâtive. En dépit des efforts déployés par la Cedeao pour mettre la Transition à l’abri d’influences militaires, rien n’y fit. La magistrature suprême malienne semble bel et bien assujettie à un régime de gestion par procuration. Et pour cause, les balises introduites dans la Charte pour mettre à la touche le vice-présidence sautent les unes après les autres et ne résistent guère à une complicité aux allures de lune de miel, qui semble caractériser les rapports entre le duo Bah N’Daw et Assimi Goïta.
C’est une question à laquelle la levée des sanctions communautaires contre Mali était longtemps suspendue. Il fallait, pour donner des assurances à la Cedeao, montrer patte blanche en procédant à la publication de la Charte de Transition sans ses dispositions censurées par les chefs d’Etat de cette organisation sous-régionale. Pas question, en clair, d’attribuer des prérogatives de substitut à un vice-président militaire au risque d’admettre une présidence militaire de fait de Transition malienne. Après une brève résistance, le CNSP s’est finalement résout à lâcher du lest, au détriment notamment de son président théoriquement relégué au rang de simple figurant dans le dispositif institutionnel mais avec des indices réels de satellisation du processus par la junte qu’il dirige : contrôle de tous les ministères régaliens, convoitise de la présidence du Conseil national de transition, etc. La présidence de la République n’est pas en reste, à en juger notamment par la persistance d’un décor protocolaire encore dominé par le treillis où le vice-président Assimi apparaît comme l’archange de celui qu’il devrait seconder tout court. Et lors de son bref séjour à Bamako, hier dimanche, le Président en exercice de la Cedeao n’a pas manqué de relever l’adhésivité gênante et très importune d’un chef putschiste collant aux basques du président intérimaire sans le lâcher d’une moindre semelle. Seulement voilà : ce qui effarouche les observateurs ne semble guère déranger outre mesure le Colonel Bah N’Daw, qui n’affiche aucun signe d’inconfort dans le dédoublement du poste qu’il occupe. Du mois aura-t-il donné toute la preuve d’une complaisance dans schéma deux jours avant la visite du président ghanéen, à la faveur notamment du conseil des Ministres inaugural. A cette occasion, en effet, le Colonel-major s’est illustré par une posture assez indicative d’une obéissance voire d’une loyauté trop obséquieuse à ceux qui l’ont tiré de sa paisible retraite pour le hisser à la magistrature suprême. En atteste sa lettre de mission au Premier ministre Moctar Ouane ainsi énoncé dès l’introduction : «Tout en vous souhaitant la bienvenue dans l’architecture institutionnelle de la Transition et anticipant une excellente collaboration entre la Présidence et la Vice-Présidence». Et de poursuivre plus loin, après une longue tirade sur le contenu de la feuille de route de la Transition, en insistant sur la taille des espoirs que le duo présidentiel fonde sur le gouvernement. «Le Vice-Président et moi-même attachons le plus grand prix à l’exécution diligente des missions de la Transition», a martelé Bah N’Daw avant de conclure, à quelques nuances près, par des passages du discours à la Nation du président du CNSP lors du soixantième anniversaire du 22 septembre. « L’imprescriptibilité du crime d’atteinte aux deniers publics est un de ces chantiers, de même que la lutte acharnée contre l’impunité et la suppression du privilège de l’immunité lorsque les deniers publics sont en cause. C’est à ce prix que la morale publique sera restaurée et que l’avenir de la nation majeure que nous sommes sera sauvé », a docilement répété le colonel N’Daw qui paraissaient aux yeux de nombreux observateurs sous des traits de caractère vraisemblablement érodés par l’âge et les circonstances. Il n’est probablement plus le rigoureux officier intransigeant et disposé à rendre le tablier au nom de ses principes. C’est probablement le sacrifice sans lequel la transition ne connaîtrait pas les aboutissements attendus.
A KEÏTA