Notre pays, le Mali, traverse l’un des moments les plus difficiles de son histoire. Pour sortir de cette crise multidimensionnelle (sécuritaire, institutionnelle et politique), beaucoup parlent d’une révolte populaire alors que ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est une véritable révolution.
Après une soixantaine d’années « d’indépendance », on constate une frénésie politique de moins en moins axée sur des idées ou des projets, mais réduite à l’activisme saisonnier de machines électorales, sans vision ni idéaux. Puis, entre deux élections, un système de vases communicants consacré sous le vocable pastoral de « transhumance » permet aux uns et aux autres de brouter dans les pâturages du vainqueur jusqu’à la saison suivante. Cette modalité favorise le clientélisme et la corruption.
Elle mine et détruit l’éthique et la morale en politique. Elle donne naissance à une sorte de nivellement, par le bas, du discours et des postures (impostures?) politiques. Avec comme conséquence la multiplication à l’infini des « partis » et associations pour se donner une chance de prendre sa part au banquet de la « République ». Il faut en convenir: aux pères fondateurs de notre pays ont succédé, petit à petit, des générations de politiciens de moins en moins inspirés et de plus en plus confinés dans des stratégies de survie individuelle, clanique/familiale ou partisane. À de rares exceptions près, les hommes politiques maliens n’alimentent pas notre « idéal commun de vie commune » par des réflexions majeures et abouties sur notre présent et notre futur possible. Un futur toujours possible à condition de le vouloir ardemment, mais surtout… collectivement.
Bien au contraire! Nos leaders politiques et religieux sont divisés, artificiellement (!) sur tout. Et, quant au fond, ils s’arrangent sur notre dos pour « s’entendre » sur leur essentiel ! Sous ce rapport, l’émiettement des forces politiques nous affaiblit collectivement. Eh oui! La multiplication des particules politiques contribue à affaiblir l’État qui peine à incarner l’autorité. Or, l’Etat est le garant de nos libertés individuelles, le rempart de notre sécurité collective. Il lui faut dès lors plus qu’une simple force de répression: il faut que chacun d’entre nous se reconnaisse dans sa puissante bienveillance. Est-ce le cas ?
Ainsi et, face à l’insécurité grandissante du monde actuel, il est temps d’interroger le «modèle démocratique » malien. Un modèle copié et, sur bien des points mal collé, de la République française. Un modèle corrompu par la concentration excessive des pouvoirs entre les mains du Président de la République. Un régime défini comme «semi-présidentialiste » par les esthètes du Droit constitutionnel, mais en fait un régime quasi « monarchisant ». Souffrez ce néologisme, puisque tous les abus de langage sont permis!
Il est également impératif de mettre de l’ordre dans la prise de parole publique. C’est l’une des conséquences de la multiplication des chapelles politiques d’une part, mais aussi de celle des médias, moyens et supports de communication. Chacun peut dire ce qui lui passe par la tête. N’importe qui peut se mettre en scène à sa guise et diffuser, à une large échelle, des idées parfois dangereuses pour la cohésion sociale. On en regrette l’époque où la possibilité technique de censurer des propos outranciers existait… Le numérique, et les possibilités infinies qu’il ouvre en terme de captation et de diffusion des sons et des images à l’échelle planétaire interpelle nos pays constitués d’équilibres sociaux fragiles et qu’il nous faut préserver à tout prix. Pouvons-nous regarder, impassibles, l’envahissement de l’espace publique par des propos irresponsables débités par des ignares qui piétinent toutes les convenances et agressent les derniers remparts de nos conventions sociales les plus sacrées ?
Regardez…Écoutez… Alors? Pour tout dire, les grandes nations se construisent par la force des grandes volontés. En matière politique comme en toute chose, la volonté humaine est la force déterminante. Elle a transformé le monde et construit tout ce qu’il est. Il se trouve que, depuis trois siècles, nous avons laissé à d’autres le soin de penser le monde à notre place. Confinés dans un « jeu » politique qui ne procède pas de notre génie, nous en oublions de le REPENSER… Serions-nous incapables de produire un mode de gouvernance qui engage le plus grand nombre d’entre nous sur le chantier de la construction de notre pays dans une Afrique Nouvelle, libre et conquérante ? Sommes-nous condamnés à rester les spectateurs d’un monde qui se transforme à chaque instant ?
Les élites maliennes et africaines d’aujourd’hui doivent se convaincre que « chaque génération doit dans une relative opacité, découvrir le sens de sa mission, la remplir où la trahir »…. À défaut, nous resterons pour longtemps encore « les damnés de la Terre », titre de l’ouvrage impérissable de Frantz Fanon dont cette citation est une des phrases-clés.
Sambou Sissoko