Pour avoir refusé de prier sur un mort : 3 proches du défunt incarcérés par le procureur Koita

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Mercredi 7 janvier 2014, comparaissaient devant le tribunal correctionnel de la commune 1 de Bamako trois détenus: Mamadou Kéita, 30 ans; Cheickna Sacko, 70 ans, et  Lassine Traoré, 50 ans. Poursuivis pour “violation de sépulture” et “profanation de cadavre”, ils avaient été placés en détention par le procureur Koita. Leur procès, fort étrange, a attiré du beau monde: le public et les avocats attendaient impatiemment de savoir le sort que le tribunal  leur réserverait.

 

La version des prévenus

Le juge Maiga, qui préside l’audience, lit aux prévenus les infractions qui leur sont reprochées puis leur donne la parole pour répondre. Dans ses explications, Mamadou Kéita révèle que le défunt, du nom de Makan, était son frère de lait. A sa mort, après une courte maladie, l’aîné de la famille et oncle du défunt, Malick, ordonne que l’inhumation se fasse sans cérémonie religieuse car  feu Makan  ne priait pas. Or, selon l’islam, les fidèles ne doivent pas faire la prière funéraire sur quelqu’un qui, avant son décès, ne priait pas. Suivant l’ordre de son oncle, Mamadou Kéita, aidé des voisins,  creuse une tombe au cimetière et y fait enterrer le défunt sans prière funéraire. Parmi ceux qui l’assistent dans cette tâche figure le vieux Cheickna Sacko.

Voisin de quartier, Cheickna accourt dans la famille Kéita dès l’annonce du décès de Makan. Par solidarité, il participe au creusement de la tombe et débourse même 6.000 FCFA pour couvrir des frais funéraires : lavage, transport du corps de la morgue de Korofina au cimetière, etc. Selon lui, aucune des 50 personnes qui se sont rendues au cimetière n’a prié sur le mort car ce dernier ne priait pas. Cheickna se demande pourquoi on n’a poursuivi que trois personnes parmi la foule qui a assisté à l’inhumation.

Quant au troisième prévenu, Lassine Traoré, autre voisin de quartier, il dit avoir assisté aux funérailles mais n’avoir pas touché au cadavre. Il confirme lui aussi qu’il n’y avait pas à faire la prière funéraire sur un défunt notoirement connu pour ne pas prier.

 

Les déclarations de la partie civile

Interrogée à son tour, la plaignante, Fatoumata Kéita, soeur du défunt, déclare que son frère, Makan, est mort malgré les lourds frais médicaux exposés par elle. Apprenant le décès, elle a quitté Kayes, où elle réside, pour Bamako. Elle affirme:  “Makan était musulman et priait régulièrement; on a refusé de prier sur sa dépouille simplement parce que nos deux voisins (Cheickna et Lassine) ont convaincu la foule qu’il ne priait pas selon le rite wahhabite et que pour cette raison, sa prière n’était pas valable. Ces voisins ont réussi à tromper mon autre frère (le prévenu Mamadou) et mon oncle Malick, faisant ainsi en sorte que le défunt soit enterré comme un chien.”.

 

Le ministère public se dégonfle

Représenté à l’audience par M. Yattara, un susbstitut du procureur Koita, le ministère public n’a pu soutenir l’accusation. A l’évidence, les articles 204 et suivants du Code pénal, qui répriment la violation de sépulture et la profanation de cadavre, ne peuvent s’appliquer aux faits de la cause: il faut, pour tomber sous le coup de ces articles, porter des actes matériels de violation d’un tombeau ou de profanation d’un cadavre. Ces infractions supposent, par exemple, que l’on coupe une partie du cadavre, qu’on ouvre sa tombe ou son linceul, ou qu’on l’expose à des actes indécents. Or, refuser, par conviction religieuse, de prier sur une défunt n’est pas une infraction dans la mesure où dans une République laïque comme la nôtre, la loi ne saurait punir le fait de prier ou de ne pas prier. C’est pourquoi, prenant le contrepied de son supérieur hiérarchique, le substitut a requis la relaxe pure et simple des trois prévenus.

Les avocats de la défense abonderont, bien sûr dans le même sens: ils feront valoir qu’il s’agit là de poursuites fantaisistes dépourvues de toute base légale. Ils déploreront surtout que d’innocents chefs de famille, y compris un frère du défunt, aient été jetés en prison pour n’avoir pas prié sur un cadavre, comme si une loi malienne rendait la prière obligatoire !

 

Le tribunal ordonne la relaxe

Sans hésiter un instant, le président du tribunal rend son jugement sur le siège, dans l’immédiat, sans perdre son temps à mettre l’affaire en délibéré. Il déclare les prévenus non coupables des faits reprochés et ordonne leur relaxe pure et simple. A l’annonce du verdict,  un vent de soulagement souffle dans la salle. La principale victime de ce procès ? Dévinez qui!

 

Tiékorobani

 

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1 commentaire

  1. Il est normal de ne pas prier sur quelqu'un qui ne prierait avant qu'il ne décède.Bravo pour le président du tribunal pour avoir lu droit

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