Le terme “Rectification”, faut-il le rappeler, est expressément et solennellement utilisé par Choguel Kokalla Maïga pour rappeler le contexte de son Plan d’action du gouvernement soumis à l’approbation du Conseil national de Transition. Et qu’est-ce qu’il a fallu donc rectifier pour nécessiter ce plan si ambitieux, d’ailleurs même trop ambitieux sur neuf mois seulement ? Jusqu’à présent, tout est resté au plan des beaux discours, notamment l’essentiel pour les Maliens, à savoir la question sécuritaire, la lutte contre la corruption, les grandes réformes de l’Etat, l’amélioration du niveau de vie des populations et last but not least, l’organisation des élections. On ne peut s’empêcher de constater, après analyse de la situation, que tout le raffut qui a accompagné l’arrivée de Choguel Maïga à la Primature ne trouve pas encore justification puisque le Plan d’action du gouvernement s’est révélé un véritable éléphant de porcelaine. L’échec patent de ce plan devenu du pipeau peut-il s’expliquer par le délai trop court de 9 mois ?
Appelant le contexte dans lequel il a présenté son Plan d’action du gouvernement, en tant que Premier ministre, Choguel précise dans le document transmis au Conseil national de Transition (Cnt) pour approbation: “Après huit mois de mise en œuvre de la Feuille de route, des évènements socio-politiques ont conduit à une rectification dans la gouvernance de la Transition le 24 mai 2021. C’est ainsi que la Cour Constitutionnelle, à travers l’Arrêt N°2021-02/CC du 28 mai 2021, a reconnu le colonel Assimi Goïta président de la Transition, qui fut investi le 07 juin 2021. A la suite de cette investiture, le Docteur Choguel Kokalla Maïga est nommé Premier ministre suivant Décret N°2021- 0361/PT-RM du 07 juin 2021 et les membres de son Gouvernement par Décret N°2021-0385/PT-RM du 11 juin 2021”.
Et le même document de rappeler qu’au “Conseil des ministres du mercredi 16 juin 2021, le président de la Transition a instruit le Premier ministre les missions de la Transition recentrées autour des points suivants : (i) l’amélioration de la sécurité sur l’ensemble du territoire, (ii) les réformes politiques et institutionnelles, la bonne gouvernance, la transparence et la réduction du train de vie de l’Etat, (iii) la mise en œuvre intelligente et efficiente de l’Accord pour la Paix issu du processus d’Alger et (iv) l’organisation d’élections crédibles et transparentes aux échéances prévues.”
Ces missions s’inscrivent en droite ligne des orientations de la Charte et de la Feuille de Route de la Transition adoptées respectivement en septembre et octobre 2020, comme a tenu à le noter le Premier ministre, précisant que c’est sur cette base qu’il “s’est engagé à élaborer le Plan d’action du Gouvernement sur les neufs mois restants de la Transition”. Nous soulignons bien “les neuf mois restants de la Transition”. Un engagement solennel pris devant le peuple malien.
Et Choguel Maïga lui-même ne cessait de répondre avec beaucoup de flegme à ceux qui lui reprochaient un plan trop ambitieux et trop chargé pour une Transition, surtout encore pour une durée de neuf mois, que c’était possible et il fallait tout simplement s’y mettre et imprimer le rythme de travail.
On a dû même entendre, en un moment donné, que la plupart des réformes attendues de la Transition pouvaient être mises en œuvre en trois mois.
Les chefs d’Etat de la Cédéao rient sous cape
Et que dirait maintenant le même Choguel Maïga en réponse à ces mêmes remarques ? Pourtant, hors de toute ruse et de tout jeu politicien, il pouvait saisir la pertinence de ces remarques, voire de ces réserves sur fond de scepticisme pour en faire bon usage. Il avait dès lors la possibilité de jouer franc avec les Maliens, leur faisant comprendre que la “rectification” nécessitait une prolongation de la Transition. Avec les préjugés favorables qui plaidaient en sa faveur en ce moment-là, dans la foulée de tout ce qu’il disait sur les plateaux de télévisions avant sa nomination comme Premier ministre, l’idée de la prolongation de la Transition allait commencer à germer dans la tête des citoyens pour devenir un véritable mobile d’exigence de la prolongation de la Transition.
Une formidable façon d’obtenir le soutien populaire tant recherché, sans ces meetings clés-en-main et autres manifestations populaires formatées à dessein, lesquels ne parviennent pas à convaincre la Communauté internationale à laquelle ils sont principalement destinés, dont en première ligne les chefs d’Etat de la Cédéao, qui rient sous cape, parce qu’en bons chefs d’Etat africains, par leur expérience, ils connaissent toute la trame de ces manifestations sur mesure pour ne pas leur donner foi.
Le sens des priorités a été inversé
Il faut souligner que, dans sa conduite de la Transition, le duo Assimi-Choguel a inversé le sens des priorités: il fallait, dès le départ, convaincre les Maliens de la nécessité de la prolongation de la Transition pour obtenir le soutien populaire par un consensus national, avant de faire face à la Communauté internationale dont principalement la Cédéao. C’est justement au tout début qu’il fallait organiser vaille que vaille les Assises nationales de la refondation afin d’extraire la quintessence des conclusions pour s’en servir comme bréviaire dans le cadre des réformes institutionnelles devant conduire même à un nouveau projet de constitution.
Mais s’il faut attendre vers la fin du délai imparti pour la transition et essayer d’engager un bras de fer avec la Cédéao, alors que les Maliens eux-mêmes sont laissés dans l’expectative, ne sachant quoi dire et quoi faire face à des chefs d’Etat de la Cédéao qui vocifèrent, cette façon de gérer une crise pareille ne relève ni de l’habileté politique, encore moins de l’adresse dans la gouvernance publique.
Si alors, le Plan d’action du gouvernement, dans ses quatre axes déclinés en 09 objectifs, 64 actions et 108 indicateurs, a du mal à sortir du chapitre du pipeau à l’heure du bilan, Choguel ne peut se défausser sur la question du délai de la Transition jugé actuellement trop court, lui qui considérait, il y a de cela peu, que 9 mois suffisaient pour réaliser son plan d’action. Il le déclarait aux Maliens avec assurance. Il a vendu du vent et comme on le dit : “Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude”.
C’est ce que nous pouvons dire, n’osant pas croire que l’actuel Premier ministre était convaincu de ne pouvoir rien faire de ce qu’il promettait de réaliser en 9 mois. Parce que si oui, il le savait, ce serait un autre débat.
La publication d’un chronogramme suffisait pour convaincre
Pourtant, un simple chronogramme pouvait constituer un signal fort de bonne volonté des Autorités de la Transition et aurait certainement suffi à apaiser les esprits à l’intérieur comme à l’extérieur du Mali.
Il faut comprendre que la Cédéao est bien dans son rôle d’exercer une pression sur le Mali. Le faisant dès le début, elle attendait en contrepartie une réaction de Bamako qui avait la possibilité de défendre ce chronogramme en son temps, avec le soutien populaire, même si son échéance devait aller au-delà de février 2022. Mais les chefs d’Etat de l’organisation régionale ne vont jamais donner carte blanche à la Transition malienne de prendre tout son temps, de peur de provoquer un précédent dangereux pour l’organisation communautaire, dans la gestion des crises du genre. De ce point de vue, la lettre du colonel Assimi Goïta aux chefs d’Etat de la Cédéao, lors de leur dernière réunion à Abuja, est arrivée sur le tard, après que le Mali a donné l’impression de braver l’organisation communautaire et la Communauté internationale, suite aux discours va-t-en-guerre et tons belliqueux débités çà et là par de prétendus responsables nationaux dont des politiques qui ont envahi les plateaux de télévision, alors qu’ils gagneraient mieux à se taire.
Ceci appelant cela, le président de la Transition, après avoir jaugé la situation, en bon stratège, choisit de prendre les choses en main dans la conduite des opérations pourtant dévolues à son Premier ministre qui se plait bien dans les sorties médiatiques fracassantes et les bains de foule. Piètre image donc que celle que l’on voit au Mali actuellement : le président de la République, quasiment coincé, disons pris dans l’étau des exigences du délai imparti par les partenaires du Mali et l’absence de visibilité sur la conduite de la Transition, a mis subitement le Premier ministre sous l’éteignoir pour se mettre, lui-même en tant que chef de l’Etat, au-devant de la scène politique.
Le président a les mains dans
le cambouis, le Premier ministre prend des bains de foule
Oui, le président de la République a bien les mains dans le cambouis pour sauver les Assises nationales de la refondation, pendant que le Premier ministre, comme le ferait un président d’une grande démocratie à régime parlementaire, inaugure des jardins de lilas et des champs de chrysanthèmes.
Constat d’échec du Premier ministre ? Echec seulement ou échec et mat ?
En tout cas, le bilan est peu flatteur et s’il n’est pas classé au chapitre de l’échec, il n’en est pas loin.
Comme si cela ne suffisait pas, on apprend que les assises statutaires du parti du Premier ministre, le MPR, se tiennent dans la même période que la tenue des assises nationales. Faut-il ignorer cette coïncidence qui, naturellement, est sujette à polémiques puisque le Premier ministre a bien la possibilité de faire décaler les assises de son parti, sachant bien que, depuis longtemps, ce mois de décembre était ciblé pour les Assises nationales de la refondation.
Ceux qui ont toujours reproché au Premier ministre de profiter de son statut de chef du gouvernement de la Transition pour dérouler son agenda personnel dont le réveil de son parti politique resté en longue hibernation, auront donc bien du grain à moudre, surtout encore avec cette histoire qui secoue actuellement la justice et le monde politique, sur fond de prétendue “mise sur orbite de la restauration au détriment des idéaux du 26 mars”, comme on le lui reproche, lui qui s’est toujours réclamé héritier politique de Moussa Traoré.
Amadou Bamba NIANG