Pierre Laurent, secrétaire national du PCF : « L’avenir des pays d’Afrique, celui de la France, de l’Europe sont profondément liés »

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Ce discours a été prononcé à Bamako au cours d’un colloque organisé par le parti UM-RDA. Il reste d’actualité pour le continent.

Pour le Parti communiste français, les indépendances acquises, voici 50 ans, qui constituent l’un des évènements majeurs du 20e siècle, sont d’abord un acquis des luttes de libération des peuples colonisés. Des luttes qui plongent leurs racines dans des mouvements de résistance anciens et dans des combats toujours renouvelés contre l’asservissement et le pillage. Face à un pouvoir colonial dont la répression fut maintes fois inhumaine, jamais les peuples du continent ne se sont soumis. Rien, et certainement pas l’indépendance, n’a été « offert » aux peuples d’Afrique.
C’est donc tout naturellement avec vous tous, représentants de nombreuses forces politiques africaines que je suis honoré de saluer, qu’il nous paraissait légitime de célébrer les indépendances, de partager nos expériences politiques, nos parcours nationaux dans ce demi-siècle, de réfléchir ensemble aux enjeux d’aujourd’hui et aux enjeux de nos combats d’avenir.
Le combat anti-colonial nous a rapprochés dans la solidarité pour longtemps. Et le monde dans lequel nous vivons, qui n’est certes pas celui dont rêvaient les combattants des indépendances, souligne chaque jour, l’actualité de ce qui se jouait alors.
Sans doute aucun, le « cinquantième » est l’anniversaire d’un tournant majeur de l’histoire de l’humanité. Nous le célébrons dans un autre moment majeur de cette histoire, un moment où le monde fait face à une crise historique, des processus de domination capitaliste sur la planète, un moment où il devient impératif d’ouvrir les voies d’un autre mode de développement humain. C’est à ces deux versants de l’histoire que je veux consacrer ces quelques mots. Car je crois qu’en cette nouvelle période charnière, une fois encore, l’avenir des pays d’Afrique, celui de la France, de l’Europe sont profondément liés.
Le combat anti-colonial, ce passé de luttes communes, ne fut pas conjoncturel. Les communistes français s’honorent de l’avoir mené à vos côtés. Rien ne fut simple, pour personne. Nous regardons avec lucidité notre propre chemin. Mais la mémoire et l’histoire retiendront la force et la portée de notre engagement commun dans ce combat de civilisations. Nous en sommes fiers.
L’actualité en souligne d’ailleurs cruellement ces jours-ci la brûlante actualité.
50 ans après les indépendances, le passé colonial revient avec force dans le débat politique français. Le discours de Grenoble prononcé, cet été, par Nicolas Sarkozy, pour tenter d’assimiler une population étrangère, voire les « Français d’origine étrangère » à des populations collectivement suspectées de délinquance, réveille des heures sombres de notre histoire. Ce discours n’a malheureusement rien d’un accident. C’est un retour en grâce de la xénophobie volontairement orchestré, un choix politique et idéologique qui figurait déjà dans le discours du candidat Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle le 7 février 2007 à Toulon. Dans ce discours, il qualifiait les ambitions coloniales, je cite, de « rêve de civilisation », il fallait oser!
« Un rêve de civilisation » qui fut une vaste et durable expédition impérialiste d’asservissement et d’exploitation, inscrite dans les rivalités de puissances en Europe. « Un rêve de civilisation » qui prit la forme d’un empire colonial dans une conquête militaire. Ce prétendu « rêve de civilisation » s’est traduit par des crimes innommables. Je fais référence, par exemple, aux massacres commis en Algérie en mai 1945 puis à la guerre de 8 ans qui a suivi. Je pense aux massacres perpétrés au Cameroun en septembre 1945 ou à Madagascar en mars-avril 1947… Il y a eu tant de moments de répression coloniale sauvage et raciste qu’il nous paraît indécent de parler de civilisation pour une entreprise de domination et de prédation qui fit reculer les valeurs humaines universelles.
Il est donc d’autant plus préoccupant de voir se multiplier, dans notre pays, des tentatives de réhabilitation de ce colonialisme, notamment sous la forme de stèles ou monuments glorifiant les acteurs du colonialisme, ou bien dans les tentatives récurrentes de légitimer un soi-disant rôle positif de la colonisation. On se souvient du tollé provoqué autour de la loi de  2005.
A de multiples reprises, Nicolas Sarkozy a exprimé ce qu’il appelle le « refus de la repentance ». Cette formule spécieuse indique la volonté d’entraver tout travail réel sur l’histoire et sur la vérité. Elle vise à imposer un refus de toute responsabilité dans la colonisation et ses crimes.
Il faut donc être très clair. Ce que nous demandons c’est une reconnaissance officielle et digne de la responsabilité de la France pour les fautes historiques commises vis-à-vis des peuples colonisés et notamment des peuples du continent africain. C’est la reconnaissance de la vérité si terrible soit-elle.
Avec ce discours sur la réhabilitation du colonialisme qui s’élargit à d’autres thématiques comme l’immigration, la sécurité… la volonté sous-jacente est de travailler la mémoire collective à l’aide du passé colonial et de thématiques identitaires ou sécuritaires, afin de favoriser un abaissement collectif des valeurs. Il s’agit de favoriser la déconstruction du modèle français issu de la philosophie des Lumières, de la Révolution et des luttes sociales et politiques qui ont marqué l’histoire de notre pays… Cela pour accompagner une régression sociale dans tous les domaines et une mise an cause radicale des acquis démocratiques.
La vérité sur le colonialisme n’est donc pas seulement masquée. Déformée, elle est instrumentalisée dans le débat politique sur l’avenir de la France.
Sortir du colonialisme et de la pensée coloniale est donc toujours une nécessité de pleine actualité. Le discours de Dakar du Président Sarkozy en a rappelé l’urgence.
Mais pour combattre aujourd’hui avec efficacité, en pleine crise, les survivances nostalgiques et réactionnaires, les résurgences de la mentalité coloniale, il nous faut penser autrement le monde, la place de la France dans ce monde et nous reposer des questions essentielles, celle de la portée de nos valeurs -égalité, liberté, fraternité- à l’aune des nouvelles frontières de l’humanité mondialisée. Qu’est-ce qu’être français aujourd’hui? Qu’est-ce que la citoyenneté? Qu’est-ce qu’un Etat de droit? Quels doivent être le rôle et le rayonnement de la France dans le monde d’aujourd’hui?
Nous sommes devant un enjeu complètement nouveau: celui de construire une société ouverte et moderne dotée d’un Etat réellement post-colonial, dans le contexte des réalités du monde d’aujourd’hui; un monde globalisé dans une immense complexité. Ces nouvelles réalités sociales et sociétales sont marquées par le poids des politiques néo-libérales, par l’importance des courants migratoires et des identités multiples, par une diversité culturelle foisonnante, par la mise en cause de la domination du modèle occidental… Et la pensée coloniale est incompatible avec ce monde des échanges, de la complexité sociale et culturelle.
Ce monde nous impose de redéfinir ce qu’est une appartenance ou une identité multiple désormais inséparable du besoin d’ouverture à l’autre, de l’exigence d’universel, de l’impératif d’égalité, du refus total des discriminations, du droit imprescriptible à la différence et à la dignité, en particulier pour les migrantes et les migrants… Plus que jamais, il faut faire tomber les murs, y compris tous les murs de l’identitaire, de l’exacerbation des nationalismes, des intégrismes, de la xénophobie, de l’euro-centrisme…
Ce n’est donc pas seulement la mémoire et l’histoire qui nous intéressent. C’est aussi le présent et l’avenir d’une société capable d’une intégration citoyenne des diversités et d’une grande ouverture au monde.
Il n’est donc pas anodin de constater l’ampleur des réactions internationales suscitées par les prises de position de notre gouvernement. Mesurons également la force du rejet qu’elles ont suscité dans notre pays. Le soutien dont a bénéficié la très courageuse grève des travailleurs sans papiers organisée par la CGT. Ce sont des faits remarquables qui témoignent que, dans sa majorité, la France ne se reconnaît pas dans les divisions du pouvoir actuel et que le monde n’y reconnaît pas non plus les valeurs de la France. C’est une fierté et un atout pour l’avenir de nos combats.
Repenser le monde, ouvrir les voies d’un nouveau type de développement humain, réellement solidaire et durable, est bien, plus que jamais, notre défi commun.
Nous le voyons bien avec les politiques française et européenne, ultra-sélectives, discriminatoires et répressives, opposées aux pays d’émigration. C’est l’une des faces les plus brutales de l’offensive des forces capitalistes en crise pour relancer la domination sur le monde d’un mode d’accumulation financière toujours plus prédateur pour les ressources de la planète, plus destructeur pour les êtres humains.
Il en va de même avec la domination néocoloniale française qui n’a cessé de s’appuyer en Afrique sur un système de contrôle, d’interventions et de bases militaires aujourd’hui en plein redéploiement. Nous ne cessons de contester l’utilisation et le renforcement de cet outil militaire et la politique de puissance néo-impériale française sur votre continent. Nous avons besoin d’un tout autre rôle de la France dans le monde et en Afrique pour favoriser le développement et la démocratie, la paix et la sécurité, le règlement des conflits, la baisse des dépenses militaires, l’éradication des trafics d’armes… et par dessus tout la souveraineté des Etats africains.
Notre colloque dira, j’en suis certain, combien la mise en cause de la Françafrique et de ses réseaux de corruption et de clientélisme -qui subsistent- reste un objectif essentiel pour vous mais aussi pour nous.
Mais plus fondamentalement encore, c’est tout simplement le droit au développement des pays d’Afrique, de sa population, plus d’1,2 milliard d’êtres humains en 2025, qui est le grand défi pour le progrès et l’harmonie de la planète tout entière.
Le sommet du Millénaire à l’ONU vient à nouveau de le mettre en évidence. C’est le type actuel de mondialisation qui plonge des centaines de millions d’hommes, de femmes, d’enfants dans la misère, creuse les inégalités et rend inaccessible les objectifs du Millénaire. Un milliard et demi de personnes vit avec 1,25 $ par jour, un milliard souffre de la faim. Mais, dans le même temps, en 18 mois, les dirigeants capitalistes et les grandes institutions financières viennent de déverser 5 000 milliards de dollars (10% de la richesse de la planète) dans les tuyaux de l’économie mondiale et des marchés financiers pour sauver leur système en faillite. C’est de cet engrenage infernal qu’il faut sortir la planète d’urgence.
Eradiquer aujourd’hui les logiques de domination et de pillage, c’est agir ensemble pour structurer un nouvel internationalisme ancré dans ces réalités, capable d’agir sur des objectifs concrets.
Il s’agit notamment de regarder les relations économiques et sociales franco et euro-africaines en mettant en cause les accords actuels de partenariats et d’associations qui prolongent des rapports inégaux sous domination; de contribuer à transformer les institutions financières internationales, de créer des monnaies communes mondiale ou zonale de coopération pour financer un développement humain durable; d’annuler les dettes existantes, de supprimer les plans d’ajustement structurels et de relever réellement l’aide publique au développement; de repenser les migrations à partir de l’exigence et des moyens du développement, sur la base des principes de liberté et de circulation, de la dignité des personnes, de l’égalité des droits; de coopérer prioritairement dans les domaines de la formation, de la qualification, des transferts de technologies; d’investir en commun dans des sources et des services énergétiques durables, dans le développement de souverainetés alimentaires réellement garanties.
Voilà donc tant de combats qui nous attendent à nouveau. En vous remerciant d’avoir écouté, je veux vous assurer de notre détermination à poursuivre le patient et fructueux tissage des liens de combat et de fraternité qui nous unirent hier dans le combat anti-colonial, qui nous uniront demain pour ouvrir le chemin d’une civilisation plus humaine.
La France reste une terre de valeurs, de résistance et de combats comme le montrent les puissantes mobilisations sociales qui la rassemblent aujourd’hui. Vous pouvez compter sur notre engagement renouvelé à vos côtés

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