Prêtre, historien, universitaire, le père Joseph Tenden Diarra a enrichi la littérature malienne d’une dizaine de productions.
Son premier ouvrage s’intitule “Silence, on boit, Journal d’un prêtre malade alcoolique“, dont la première édition date de 2002 sous le pseudonyme de Niakan Ha’iri Diarra. “C’est la chronique de ma chute dans la maladie alcoolique jusqu’à ma cure pour en sortir entre 1992 et 1993. C’est donc un livre témoignage poignant si bien qu’il a été régulièrement réimprimé
sur demande du public”.
Son deuxième livre : “Et si l’ethnie Bo n’existait pas ? Lignages, clans, identité ethnique et sociétés de frontière”, édité à l’Harmattan en 2008 a été tiré de sa thèse soutenue en 2006 sur le peuplement du pays Bo ; comment petit à petit diverses populations se sont installées les unes après les autres sur le petit territoire qu’on appelle aujourd’hui le Buwatun/pays des Buwa.
“Pour la bonne gouverne des jeunes Buwa qui ont voulu me lyncher au Centre Djoliba en juillet 2006, je ne dis pas que les Buwa n’existent pas, je pose les questions scientifiques de l’approche du phénomène ethnique telles que les ont proposées les africanistes occidentaux”.
“Silence, on socia-lyse, Ce prêtre venu du paganisme”, son troisième livre paru sous le pseudonyme de Niakan Ha’iri Diarra, aux Editions La Sahélienne, est un morceau d’autobiographie qui raconte, son enfance, son éducation aussi bien, celle reçue de son milieu dit païen, que celle reçue à travers l’Eglise dans ce qu’il appelle les maisons de (dé)formation. “Je suis aujourd’hui, le produit de cette alchimie-là, c’est ce que voudrait traduire le titre alambiqué : On socia-lyse. J’aime bien ce livre parce je suis arrivé à me dire sans détour dans tout mon parcours initiatique jusqu’à mon ordination comme prêtre catholique”, dit-il.
“Djihad, l’autre guerre”, paru aux Editions La Sahélienne sous le pseudonyme de Niakan Ha’iri Diarra, est un récapitulatif de chroniques publiées de 2007 à 2012 dans des journaux de la place à Bamako sur les problèmes brûlants de l’heure. “Ce sont ces chroniques que j’ai rassemblées sous le titre un peu prétentieux de Djihad. En effet, la question la plus brûlante était alors la déferlante djihadiste sinon, divers sujets graves sont abordés dans le livre. Je profite ici pour remercier les journaux, surtout Les Echos qui m’ont permis de m’exprimer en toute liberté dans leurs colonnes”.
“Correspondance d’un bagnard”, paru chez un petit éditeur dans le Sud de la France, a été très peu distribuée. “Quand je suis tombé sur la correspondance de ce grand homme, j’ai pensé qu’on devait la mettre à la disposition du public malien pour que nous puissions découvrir un autre envers de cet homme au-delà de tout ce qui se racontait sur lui et qui n’était pas toujours vérifié. On sort toujours bouleversé de la lecture d cette correspondance, beaucoup ont pleuré en la lisant”.
“Au nom de tous les siens, Diby Silas Diarra, un héros solitaire et oublié ?”, produit en collaboration avec Monsieur Victorien Dakouo, enseignant à la retraite comme lui. “Ce livre fait une biographie de Diby Silas Diarra en nous focalisant sur les deux événements qui encadrent sa vie et l’appréciation qu’en font les Maliens : la mort de Fily Dabo Cissoko et ses compagnons et la pacification de la première rébellion au Nord du Mali”. Publié aux Editions La Sahélienne, ce livre essaye de garder l’équilibre entre les ragots et tout ce qui peut être enquêté dans les archives et autres productions sur l’homme.
Le père Joseph Tenden Diarra a une septième production : “Je ne crois plus comme avant, Petit essai sur la violence religieuse en pays Bo“, édité chez Yèrèdon en 2022 je crois. “Ce livre est un témoignage sur comment j’ai reçu le message chrétien et comment je le réinterprète après plusieurs années dans les services d’Eglise et après m’être frotté sérieusement aux sciences humaines. Evidemment, on n’a plus la même lecture des croyances et des pratiques dans l’institution. A mon humble avis, c’est mon ouvrage le plus abouti. Des petits esprits qui n’ont rien compris du livre avancent que je ne crois plus, ce sont des gens qui ne savent pas lire”.
“J’ai quelques productions à la porte qui attendent que j’ai les moyens pour être mises à la disposition du public : “Silence, on aime, Profession, célibataire sans enfant(s)…“. “Ce livre est prêt depuis maintenant quelque 2 ans, mais, comme le sujet est tellement explosif et que je veuille ménager toutes les personnes, femmes ou filles qui m’ont fait l’honneur de traverser ma vie, j’attends leur permission pour mettre cet opus à la disposition du public. Des petits esprits diront encore que je suis un mauvais prêtre parce que je ne vis pas le célibat sacerdotal comme il le faudrait, c’est que je ne crois pas à ce célibat-là tel qu’il a été imposé par l’Eglise à partir du Xe siècle. C’est aussi un morceau d’autobiographie”.
“O yenuwe/Comment t’appelles-tu ? Des prénoms buwa dans le Dahan-tun…”, est d’abord une réflexion anthropologique sur la nomination chez les Buwa du Dahan-tun. Comment nommer ? Pourquoi nommer un enfant ? La seconde partie est un répertoire alphabétique des prénoms les plus usuels avec leur signification et quand peut-on le donner à un enfant ? C’est un bon outil pour les couples buwa qui voudraient désormais revaloriser cette pratique Bo de la nomination d’un bébé en tenant compte des paramètres de nomination.
“Symbolisations…” “Quand j’étais à l’Institut catholique de Paris, mon professeur de Lectures des textes suivant la méthode psychanalytique, nous disait toujours de symboliser, de nous dire pour guérir des souffrances endurées en silence. Ceci est aussi un morceau d’autobiographie où je traverse toute ma carrière de prêtre depuis mon premier poste à Tominian jusqu’au rectorat de l’Ucao à Ouagadougou, en passant par le secrétariat général de la CEM, la création de l’Ucao à Bamako, la présidence à Bobo-Dioulasso. J’analyse méthodiquement les souffrances subies pour en guérir avant le jour fatidique”.
Une abondance littéraire qui, sûrement, n’est pas prête de s’arrêter encore moins d’éviter les questions difficiles.
Alexis Kalambry
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Joseph Tanden Diarra, Pretre, Antrophologue
“L’exercice démocratique a été dévoyé”
Mali-Tribune : Le Mali traverse régulièrement des crises politiques qui amènent à la remise en cause des normes démocratiques. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?
Père Joseph Tanden Diarra : Il me semble, je peux me tromper, mais, il me semble que la démocratie est très mal entrée dans notre pays. Dès lors qu’on a fait croire que la démocratie se réduisait à de simples votes, l’exercice a été dévoyé. Nous avons assisté pendant des années à une sorte de festival des brigands, selon les bons mots de Ndiaye. Il suffisait d’avoir de l’argent, d’acheter les voix et tout “voyou” pouvait se retrouver président, député ou maire d’une Commune. Il faut être sérieux ! La démocratie est bien plus que des scrutins électoraux, elle concerne aussi la bonne gouvernance, la morale politique, la justice, etc. Le malheur du Mali, c’est que nous sommes entrés en démocratie comme par effraction en 1991, cela a empoisonné le concept et sa pratique chez nous.
Mali-Tribune : Vos ouvrages sont beaucoup sociologiques. Le livre sur Diby Silas semble cependant plus orienté dans sa réhabilitation. Est-ce le cas ?
P J. T. Diarra : C’est vrai que je suis un féru de sociologie et d’anthropologie, mais le livre, disons les deux livres sur Diby Silas ont voulu rétablir un tant soit peu, la vérité sur un homme sur lequel on a tout dit, peut-être, tout simplement, parce qu’il n’était plus là pour dire sa part de vérité !
Au sortir de la lecture de ces 2 livres (Correspondance d’un bagnard et Au nom de tous les siens), au sortir de ces livres, au-delà de toute polémique, on est frappé par la grandeur de cet homme-là, sa vision pour le Mali dans ces années-là déjà et sa capacité de don de soi pour le bien du Mali. Ces qualités-là sont rares aujourd’hui. La réhabilitation de Diby Silas et de bien d’autres grands hommes autour de lui relève aujourd’hui de la capacité de notre pays à se regarder en face, à se regarder en vérité et à quitter les “prêt-à-penser” qui lui ont été imposés par le passé.
Mali-Tribune : L’Eglise du Mali semble aphone dans le contexte actuel malien, ce qui n’a pas été le cas jadis. Pourquoi ne prenez-vous plus position sur les crises ?P J. T. Diarra : Pendant les premières années d’indépendance, alors que Mgr Sangare était au-devant de la scène, l’Eglise du Mali, chaque année, aux vœux au président de la République arrivait à dire la parole que les Maliens attendaient. Tout cela a fonctionné jusqu’à son décès et d’autres personnes ont pris la destinée de l’Eglise catholique en mains. Les hommes passent et ne se ressemblent pas, c’est la loi de l’Histoire.
L’Eglise a raté le coche sous le mandat et demi de président IBK, elle aurait dû alors parler d’une façon ferme devant la gabegie et le “règne des fils de papa” comme je l’ai écrit dans une chronique passée inaperçue dans votre organe. L’Eglise a raté aussi le coche lorsque les Maliens se sont retrouvés par milliers place de l’Indépendance, d’une façon ou d’une autre, elle aurait dû avoir une parole audible ; aujourd’hui encore, elle devrait avoir une parole qui conforte les chrétiens et les aide à faire des choix politiques, mais, elle peine à se positionner. Peur ? Démission ? Incertitude ? Ce qui est sûr, c’est que même le silence est un choix politique !
Mali-Tribune : Pourquoi tous les titres de vos ouvrages sont polémistes?J. T. Diarra : Quelle polémique ? (Silence, on boit, Silence, on socia-lyse, Silence, on aime ; Je ne crois plus comme avant, Et si l’ethnie Bo n’existait pas ? Etc.), je crois plutôt à un choix de marketing, de communication pour pousser les gens à lire. Il semble que le nègre ne lit pas et pour lui cacher quelque chose, il faut le mettre dans un livre. Je voudrais provoquer les gens par les titres de mes livres à au moins ouvrir le livre, lire les sous-titres et avoir la curiosité de vérifier si le contenu correspond au titre.
Au demeurant, je ne veux engager la polémique avec personne, sinon les Essais sont des vérités de foi personnelle, les biographies et auto biographies sont des tranches de vie qui devraient interroger notre vie aujourd’hui, qu’elle soit individuelle ou collective.
Propos recueillis par
Alexis Kalambry