Après son sacre à l’édition 2014 du Festival de la mode et du mannequinat africain (Fesmma), le 7 juin 2014 à Cotonou (Bénin) avec le Prix du Mérite, Mariah Bocoum Kéita nous a reçu dans son atelier et boutique de vente, à l’Hippodrome. Une rencontre qui nous a permis non seulement d’échanger avec la jeune créatrice de mode, mais aussi de mieux la découvrir dans son environnement professionnel. Reportage !
Ce jeudi matin, on est à quelques minutes de 11 heures sur la célèbre «Rue Princesse» de l’Hippodrome, au cœur de la capitale malienne, quand votre serviteur gare son «char» (Moto) devant «Péchés Mignons». Ici, nous avons rendez-vous avec la promotrice des lieux fraîchement couronnée à Cotonou (Bénin) avec le Prix du Mérite au Festival de la mode et du mannequinat africain (Fesmma).
À peine arrivé, un SMS de la bien nommée Mariah Bocoum Kéita nous avertit que la talentueuse créatrice de mode sera en retard de quelques minutes. N’empêche, nous entrons dans la boutique, ne ce serait que pour pendre l’atmosphère. Et nous avons été bien inspirés parce que l’accueil des ravissantes assistantes de la styliste, Seba et Ramatou Ballo, est à la hauteur de leur charme et surtout de leur dévouement à Mariah. Celle-ci est visiblement beaucoup plus une sœur qu’une patronne pour elles. D’ailleurs, à Péchés Mignons, les rapports «patronne-employés» sont peu perceptibles dans les relations quotidiennes. Votre serviteur n’a pas le temps de s’ennuyer avant l’arrivée de la lauréate du Fesmma. L’ambiance est bon enfant car Ramatou tient tête aux couturiers coalisés contre elle. Elle esquive les «flèches», assène des coups et marquent des points. Et lorsque «Foulakè» se pointe avec le thé, elle savoure sa victoire, car pour y goûter, il faut chanter les louanges de la très joviale Ramatou et danser. Ce que n’hésite pas à faire Seydou Sawadogo qui fait sensation en puisant dans le répertoire moré. Et, soudain, les lieux s’illuminent davantage avec l’arrivée de la belle talentueuse et joviale Mariah qui apparaît comme un rayon de soleil se fraie une brèche dans une chaumière. Avec un irrésistible sourire, elle s’excuse du retard, d’ailleurs vite toléré pour une femme d’affaires.
Le bonheur d’une première distinction majeure
Le temps d’évacuer quelques urgences, elle répond à nos questions, très décontractée. Et sans fausse modestie, elle est heureuse de la distinction reçue le 7 juin à Cotonou, au Bénin. «Je me sens très honorée ! C’est mon tout premier trophée ! Enfin, dirais-je, parce que cela fait quand même quelques années que je suis dans ce métier. Ce Prix est donc une reconnaissance de mon travail. Surtout que dans notre pays, le Mali, le stylisme est plus considéré comme un sous-métier qu’une activité socioprofessionnelle. C’est donc réconfortant que son travail soit reconnu et récompensé par un événement aussi prestigieux que le Fesmma», dit-elle de sa douce voix. Mais Mariah est assez généreuse et très consciencieuse pour tirer la couverture à elle seule. «C’est la récompense d’un travail d’équipe, des couturiers à mes assistantes de choc», reconnaît la styliste primée.
Naturellement que le bonheur d’être distingué est largement partagé aussi bien à l’atelier que dans la boutique de vente. «Nous sommes heureux de cette distinction de Péchés Mignons. C’est un encouragement à toujours faire mieux», déclare Idrissa Cissé, alias Idriss, le chef d’atelier. Et Seydou Sawadogo n’est pas en reste. «Ce prix nous remplit de joie et de bonheur parce que c’est la reconnaissance de nos efforts et aussi de la vision que notre patronne a de la mode. Et nous allons redoubler d’ardeur pour que ce Prix soit le premier d’un riche palmarès. Nous avons la compétence nécessaire et nous allons désormais nous battre pour cela», assure le jeune Burkinabé. Mariah est autant fière de son trophée que de la collection présentée à Cotonou. «Ma collection présentée au Fesmma de Cotonou est dénommée Mali Donko ou le Savoir-faire malien. C’est un mélange de bogolan (teinture traditionnelle), de satin… perlé et brodé comme on le fait souvent sur du Bazin ou sur du wax. Le but recherché est d’amener les gens à vouloir porter le bogolan autant que le Bazin», explique l’initiatrice.
Un engagement citoyen en faveur du coton malien
Et l’accueil a comblé l’attente. «L’accueil a été à hauteur de souhait. L’impact a été très positif parce que personne ne s’attendait à ce que l’on fasse de la broderie ou du pelage sur du bogolan. C’était surprenant, mais les gens ont beaucoup aimé», dit la créatrice. Cette collection est aussi la concrétisation d’un engagement citoyen et surtout artistique. «Avec cette collection, j’ai le sentiment de contribuer au développement socio-économique et culturel de mon pays. Même si c’est à petite échelle, ce n’est déjà pas mal. Cette contribution va croître progressivement», souligne Kéita Mariah Bocoum, avec une légitime fierté.
La talentueuse styliste rappelle : «Le Mali est l’un des grands producteurs de coton en Afrique. Et c’est dommage qu’on n’exploite pas suffisamment cette immense potentialité. La création à partir du bogolan, c’est avec du coton produit au Mali, de la teinture traditionnelle et la couture malienne. N’est-ce pas génial comme initiative de promotion du Made in Mali ?». La créatrice de mode est déterminée à jouer sa partition. Et attend de même de chacun de nous. «J’invite les Maliennes et Maliens à consommer malien, à porter du bogolan ainsi que toutes les autres créations des stylistes du pays», souhaite-t-elle. Elle invite aussi nos unités industrielles de textile à améliorer la qualité de leur production pour permettre aux stylistes du pays de vendre les produits dérivés à l’international.
Une digne représentation de la mode malienne
Cela est d’autant souhaitable que, promet Mariah, «si nous pouvions avoir de bonnes étoffes sur place, on ne se donnerait pas la peine de nous approvisionner ailleurs. Comme on le dit, Le Mali d’Abord» ! Secrétaire générale de la jeune Alliance des couturiers et créateurs de la mode au Mali (Accm), Mme Kéita mise sur ce secteur. «La mode évolue beaucoup au Mali. Nos créateurs sont de plus en plus dynamiques et surtout agressifs sur la scène continentale voire internationale…Nous ne cessons de nous battre pour avoir la notoriété requise dans le milieu et susciter l’intérêt des festivals comme le Fesmma où nous étions quatre à représenter le Mali. C’est la première fois que je me retrouve avec autant de stylistes maliens à un même événement. Et ce n’est que du bonheur», assure-t-elle. L’Accm travaille à consolider cette évolution. «Nous travaillons actuellement sur le projet d’un grand événement annuel pour promouvoir le secteur au Mali…Nous avions souhaité organiser cet événement en septembre prochain. Mais nous avons pris déjà un peu de retard par rapport à ce délai. De toutes les manières, nous espérons organiser un grand événement autour de la mode avant la fin de cette année 2014», promet la cheville ouvrière de l’Alliance.
Pour Mariah Bocoum, «le premier défi de l’Accm, c’est organiser et perpétuer un événement majeur annuel comme nous le projetons actuellement. Nous sommes toujours aux événements des autres pour avoir plus de visibilité. Nous voyons comment les choses se passent et il n’y pas de raison que nous ne puissions pas le faire ici. Surtout que le Mali est culturellement très riche». Pour ce faire, le secteur a logiquement besoin de soutien institutionnel, donc de l’appui des autorités maliennes qui ont le devoir de soutenir les acteurs du secteur dans leurs initiatives de vulgarisation et de promotion de la mode et des richesses du textile du pays.
Mesdames, vos Péchés Mignons
Après Cotonou, Mariah se prépare à mettre le cap sur le Burundi pour «Bujumbura Fashion Week» prévu en juillet prochain. Probablement avec une nouvelle collection en plus de «Mali Donko». Le secret de la réussite de la prometteuse jeune styliste ? C’est non seulement la passion du métier et le talent, mais aussi et surtout, l’esprit d’équipe. Péchés Mignons, ce n’est pas moins d’une dizaine d’employés avec qui la patronne entretient des rapports non seulement professionnels mais aussi sociaux et cordiaux. Chez Mariah, chaque employé a sa petite histoire dans la «famille», pardon dans l’équipe. Et chacun se donne à fond parce que la réussite profite à tous. «J’ai beaucoup appris en travaillant avec Mariah. Professionnellement, je me suis beaucoup amélioré parce qu’elle a une vision progressiste et originale de la mode. Elle m’a vraiment donné le goût de continuer ce métier de couturier», reconnaît Idriss. «Travailler avec Mariah, ce n’est que du bonheur ! Sa collaboration a changé ma vie, aussi bien professionnellement que socialement», avoue Seydou Sawadogo. Des témoignages qui font l’unanimité au sein de la dizaine d’employés.
Quid de Péchés Mignons ! «Qu’est-ce que toutes les femmes ont en commun ?», s’interroge la styliste. «Se faire belle sans doute ! Alors pour moi s’habiller, se coiffer, se maquiller… sont des Péchés Mignons pour toutes les femmes. Cela fait partie du quotidien d’une femme. Si vous les hommes vous aimez le football, les belles et puissantes voitures… nous les femmes, nous adorons nous faire belles pour nous-mêmes et aussi et surtout pour vous», répond-elle à sa question justifiant du coup le choix de sa griffe. La beauté et l’esthétique sont donc son domaine de prédilection. «J’ai eu un salon de coiffure et esthétique pendant 7 ans. Quand je me suis lancée dans la mode, j’ai dû arrêter la coiffure», reconnaît Mariah, la sœur de la star des scènes musicales et du cinéma, Ina Modja. Comme quoi, la famille Bocoum est un creuset de talents artistiques !
Moussa BOLLY