Oumarou Bocar, inspecteur des services judiciaires : «La corruption baigne dans un climat de tolérance et même d’incitation»

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En faisant un parcours de l’architecture institutionnelle et de l’organisation judiciaire au Mali, on s’aperçoit que la justice qui devait être au cœur de la lutte n’a jamais été, selon M. Bocar, mise en situation de jouer toute sa partition. D’où l’échec des différentes politiques mises en œuvre de 1960 à nos jours.

Cette remarque est d’autant plus pertinente et révélatrice de l’ampleur de la corruption au Mali qu’elle est faite par un fin connaisseur du phénomène. En effet, Inspecteur des services judiciaires, Oumarou Bocar est un magistrat de grade exceptionnel de son état et a, pendant de nombreuses années, dirigé l’Institut national de formation judiciaire (Infj). Paneliste du colloque organisé, les 4 et 5 novembre deniers, par la Cour suprême sur le rôle de la justice dans la lutte contre la corruption, M. Bocar a notamment souligné les difficultés de la lutte qu’il sait urgente, avant de mettre l’accent sur l’une des raisons qui lui semblent déterminantes dans l’échec des différentes politiques mises en œuvre de l’indépendance du Mali à nos jours.

A l’entame, l’orateur avait ainsi rappelé que le Mali fait partie du peloton de tête des pays corrompus du monde, tant par l’étendue que par le préjudice causé à l’Etat dont les ressources sont loin de répondre aux défis de développement et de sécurité. Toutefois, a-t-il affirmé, le phénomène de la corruption n’est pas étranger aux difficultés récurrentes que connait le pays. C’est pourquoi, selon lui, à chaque bouleversement institutionnel, les auteurs du «changement» évoquent la corruption et bénéficient immédiatement de l’adhésion de la population.  A en croire Oumarou Bocar, le fléau s’infiltre sous des aspects divers dans la société, créant ce qu’on peut classer, «parfois maladroitement», de petite et de grande corruption. Et le magistrat de dépeindre : «Au Mali, la corruption s’est solidement installée dans l’administration, les organisations professionnelles, le milieu politique et baigne dans un climat social de tolérance et même d’incitation». L’un des facteurs qui expliquent cette gangrène généralisée est, dit-il, la culture locale en ce qu’elle génère, par une solidarité confuse, des charges financières lourdes au point que le fonctionnaire se tourne vers la corruption pour y faire face. «La famille, la belle famille, les marabouts, les cérémonies sociales ont été fustigées», note-t-il, tout en pointant du doigt le niveau des salaires.

Mais, si les régimes successifs ont associé  la justice à la lutte anti-corruption, l’orateur regrette cependant qu’ils n’aient pas donné à cette dernière la primauté de l’action. De l’avis de l’Inspecteur, un parcours de l’architecture institutionnelle et de l’organisation judiciaire du Mali, de 1960 à 2014, révèle que la justice n’a pas été mise en situation de jouer toute sa partition. Ce qui, estime-t-il, explique les échecs répétitifs, que si on veut éviter à l’avenir, commandent de revoir le dispositif de la lutte en donnant à la justice sa place de premier ordre.

Bakary SOGODOGO

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