Dans le cadre de la recherche de la paix au Mali, la Coalition nationale de la société civile pour la paix et la lutte contre la prolifération des armes légères (Conascipal) et l’Ong norvégienne Stockholm international peace research institut (Sipri) avaient lancé, en janvier dernier, le processus d’élaboration d’un document dénommé ” Le livre blanc ” qui été présenté à la presse lors d’une conférence de presse tenue dans un hôtel de la place. Ladite conférence était coanimée par la directrice de la Conascipal, Dr Mariam D. Maiga et la directrice de la Communication de Sipri, Stéphanie Blenckner, en présence de plusieurs de responsables des deux structures.
Selon la directrice de la Communication de Sipri, depuis l’adoption de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies en 2000 et l’avènement du programme Femmes, paix et sécurité (Fps), les études ont montré qu’une plus grande égalité des sexes et une participation significative aux processus de consolidation de la paix mènent à une paix plus durable. “S’appuyant sur un questionnaire d’enquête distribué dans tout le pays en novembre 2017, sur des discussions de groupe entre femmes dans 36 localités et sur trois études qualitatives dans les régions de Mopti, Ségou et Gao, les résultats permettent de mieux comprendre l’application de la résolution 1325 dans le contexte malien et les perceptions des populations au Mali envers l’implication des femmes dans le processus de paix”, a-t-elle ajouté.
A le croire, l’étude tente d’examiner les facteurs structurels et contextuels qui limitent l’action des femmes en temps de conflit et de paix en tenant compte des diverses expériences des femmes et des hommes. Et de poursuivre qu’au-delà de l’importance de protéger les femmes en tant que victimes du conflit, les femmes ont également un rôle essentiel à jouer dans la formation des opinions sur les priorités de la communauté et dans l’influence de la consolidation de la paix aux niveaux local, national et international.
Les femmes comme observatrices de la crise
Elle a tenu à préciser qu’en tant qu’observatrices des conflits, les femmes perçoivent l’insécurité dans leurs communautés de la même manière que les hommes. “Les femmes et les hommes interrogés ont indiqué que la situation en matière de sécurité s’est détériorée, la confiance dans les forces de sécurité étrangères (Minusma et Barkhane) pour assurer la sécurité a également diminué. En même temps, les hommes et les femmes ont une opinion relativement positive des forces de défense et de sécurité maliennes”, a-t-elle laissé entendre.
Elle a saisi l’occasion pour évoquer que les principaux facteurs de fragilité varient davantage selon les régions et les milieux urbains ou ruraux que selon le sexe ou l’âge. Ainsi, dit-elle, en ce qui concerne le rôle que la société civile pourrait jouer pour améliorer la situation sécuritaire dans les localités, 62 % des hommes et 72 % des femmes ont le plus souvent choisi d’établir des mécanismes de dialogue entre les populations et les forces de sécurité (une stratégie qui a connu un succès significatif lors des négociations de paix dans les années 1990).
De son analyse, dans les régions du nord, notamment Gao, Tombouctou, Kidal, Ménaka et Taoudéni, 65% de l’aide aux initiatives du processus de DDR s’est imposée comme une priorité absolue. Dans le Centre (régions de Mopti et Ségou), les populations ont également insisté sur l’information des communautés sur les accords de paix et les processus politiques.
Les effets du conflit liés au genre
Pour elle, les sources d’insécurité (bandits, insécurité alimentaire, etc.) semblent affecter autant les hommes que les femmes. Mais les violences basées sur le genre (Vbg) et les impacts économiques de crise affectent les femmes de façon disproportionnée et unique. “Certaines formes de VBG associées à l’occupation de groupes djihadistes semblent en diminution, tandis que le harcèlement et la violence domestique augmentent quotidiennement à l’échelle nationale, selon le témoignage du réseau de femmes. Ces cas de Vbg existaient bien avant la crise. Mais depuis 2012, c’est même devenu une mode. Personne n’est épargné. Même les femmes de 60 ans ont été violées”, a déploré la directrice de la Communication de Sipri.
A l’en croire, il est difficile pour les personnes d’obtenir réparation pour les cas de Vbg à cause de la dépendance des femmes à l’égard de la famille, la stigmatisation sociale, la normalisation de la violence et la faiblesse des institutions. Elle ajoutera que la peur des violences a aussi un impact profond sur les possibilités économiques et éducatives des femmes, ce en limitant considérablement leur possibilité de suivre une formation en leadership ou des cours avec la possibilité de suivre une formation en leadership ou des cours de soir) qui pourrait leur fournir plus d’autonomie, surtout que les femmes dépendent des activités agricoles et de marché pour leur autonomisation économique et sociale, deux secteurs gravement touchés par les périodes d’insécurité.
Les femmes comme acteurs dans les conflits
A l’entendre, dans le conflit, les femmes ne sont pas principalement des combattantes, mais 56 % sont des informatrices, 38 % des fournisseurs de biens et de services, 34 % des épouses de combattants, 29 % des prestataires de services économiques et 24 % des agents mobilisateurs encourageant les membres de la famille à se joindre à eux. “Lorsqu’elles s’aventurent à aller chercher de l’eau, les femmes peuvent repérer les milices et les forces de sécurité qui ont accès aux sources d’eau et faire connaître leur présence aux groupes affiliés ; elles sont aussi souvent plus à même de dénoncer les criminels qui se cachent dans les communautés ou qui échappent aux contrôles de sécurité pour cacher armes et fournitures sous leurs vêtements”, a-t-elle dit.
A sa suite, la directrice de la Conscipal dira que la religion était le principal facteur de motivation de 50 % des femmes pour rejoindre ou pour soutenir les groupes djihadistes, tandis que la protection physique et la sécurité économique étaient les principaux moteurs du recrutement dans les groupes armés et d’importants facteurs de motivation secondaires ou parallèles pour le recrutement djihadiste.
Opportunités et défis pour les femmes dans le processus de paix
Selon elle, les femmes interrogées ont exprimé une volonté délibérée de s’impliquer personnellement dans les processus de prise de décisions et de consolidation de la paix, avec des efforts notables en matière de désarmement dans la région de Gao. Cependant, elles ont cité plusieurs éléments liés à leur position dans la société et à la dynamique de pouvoir de ceux qui les entourent (analphabétisme, grossesses non désirées, refus des hommes ou des autorités traditionnelles, disputes entre femmes elles-mêmes, obligations domestiques, manque général d’information partagée avec elles et le peu de liberté de mouvement) qui bloquent cette ambition.
Elle notera que les représentantes des 36 localités du réseau Sipri-Conscipal se sont réunies à Bamako en mai 2018 pour définir cinq domaines d’action prioritaires : l’éducation, la participation à la prise de décision, les mesures contre les Vbg, la protection et l’emploi.
A ses dires, parmi les recommandations concrètes du réseau : la formation des femmes au leadership et des cours du soir dans les zones en difficulté, la sensibilisation des autorités traditionnelles à l’importance de la participation des femmes à la gestion des conflits et à la lutte contre la Vbg, la facilitation de l’accès à la propriété foncière pour l’autonomisation économique des femmes. “Les femmes risquent de perdre leur capital social si elles s’aventurent dans l’espace public et peuvent même avoir honte de participer au processus politique. Les échantillons antérieurs du projet Sipri-Conscipal ont mis en lumière le refus de 64% des hommes d’une participation des femmes au processus de paix comme un facteur déterminant de leur marginalisation, en particulier 81% pour les régions du centre”, a-t-elle précisé.
Pour finir, elle dira que les modèles de réforme du genre au Mali et les recherches antérieures sur les États africains sortant d’un conflit indiquent que les périodes de conflits et de consolidation de la paix constituent une opportunité de modifier le statu quo des relations de pouvoir entre les sexes au niveau national. “Après la signature de l’accord de Bamako, une nouvelle loi cible à assurer un quota de 30% parmi les fonctionnaires de l’Etat et sur les listes électorales. Après sa réélection, IBK a nommé 11 sur 33 ministres femmes, y compris la première ministre des Affaires étrangère femme”, a-t-elle conclu.
Boubacar PAÏTAO