Occupation des emprises des projets routiers : À qui la faute ?

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De nombreux chantiers sont à l’arrêt à cause de ce fléau. Les autorités de la Transition sont décidées à y remédier pour de bon

L’amer constat s’impose au premier regard à travers notre capitale. L’occupation illégale des servitudes des voies publiques par les installations des concessionnaires, réparateurs d’engins à deux roues et autres, quand ce ne sont pas des dépôts de matériaux de construction et même parfois par des immeubles.

Les commerçants apportent leur dose à l’anarchie en s’installant de part et d’autre des chaussées, obligeant les piétons et les motocyclistes à utiliser la voie réservée aux véhicules. Véritable casse-tête, l’occupation anarchique des emprises est aussi une équation qui refait surface chaque fois qu’il est question de réalisation de projets routiers. Incivisme, ignorance ou défiance des textes en la matière ? Toujours est-il que le phénomène persiste, avec des implications (techniques et financières) lourdes de conséquences sur l’exécution des projets routiers.

À ce jour, de nombreux chantiers sont à l’arrêt à cause de ce fléau. Le cas de la route Banconi-Dialakorodji-Safo-Nossombougou illustre éloquemment la situation. Samedi dernier, notre équipe de reportage a parcouru la section urbaine Banconi-Dialakorodji. Même en véhicule 4X4, faire ce tronçon de quelques kilomètres est un calvaire. Les conducteurs cherchent à éviter des trous béants. Les riverains côtoient au quotidien l’insécurité et la poussière à cause de l’état de la route. Les parties déjà réalisées sont encore en terre, car le revêtement n’a pas pu se faire à cause des eaux de pluies. Mais la véritable entrave reste l’occupation des emprises par des particuliers.

Les travaux de cette route de 56 km avaient été lancés en 2018 avec ferveur. La réalisation de ce projet, qui permettra de créer une voie sécurisée pour les gros porteurs empruntant le corridor Bamako-Dakar par le nord et de décongestionner le trafic à l’intérieur des villes de Kati et Bamako, n’a pas encore évoluée. En cause : l’occupation de l’emprise du projet par des maisons, immeubles et des ateliers métalliques par endroits. Ces occupants illégaux que nous avons approchés ont refusé tout commentaire sur la situation.

Bassidiki Traoré a quitté Banconi Farada depuis le début des travaux de la route pour s’installer à Sapho où il exerce la menuiserie. Selon lui, l’arrêt des travaux à cause de l’occupation des emprises impacte son activité. Et pour cause, il doit faire transporter ses matériels à des coûts élevés. «Le processus de la démolition doit se poursuivre. La construction de cette route est dans l’intérêt de tout le monde.

Les travaux de cette route de 56 km ont été lancés en 2018

Aujourd’hui, nous vivons un véritable calvaire. Tout est bloqué à cause de certains habitants qui refusent la démolition de leurs maisons, malgré toutes les garanties. Je pense que l’État doit s’assumer, car c’est une cause d’utilité publique», confie le menuisier très remonté, ajoutant qu’un de ses amis a été victime d’un accident le même jour.

EMPRISE MINIMALE- Pour traverser le marché de Dialakorodji, que l’on soit à bord d’un véhicule ou même à pied, il faut être patient. Les vendeurs ont carrément pris possession des emprises de la route. Par endroits, les légumes sont étalés à même le sol sur la route. Dans ce tohubohu, nous rencontrons Mamady Kouyaté, commerçant de produits divers. «Aujourd’hui, tout le monde est pénalisé à cause de l’occupation de l’emprise du projet. Il faudrait appliquer la loi pour sauver le chantier en arrêt», déclare-t-il. Et à Boubacar Soumaré, habitant de Banconi Farada de demander à l’État de tout mettre en œuvre pour mettre fin à ce phénomène.

«En ce qui concerne les projets routiers; surtout en site urbain, nous sommes confrontés à des problèmes d’occupation. C’est le cas des deux nouveaux projets, à savoir la route RN27 Bamako-Koulikoro et celle Bamako-Koulouba-Kati», déplore le directeur général des Routes. Cheick Oumar Diallo, rencontré à son bureau à Darsalam, estime que ce phénomène ne peut pas continuer. Il rappelle qu’en la matière, il existe une batterie de textes qui permettent à l’administration de prendre possession de l’emprise des routes.

Il s’agit, entre autres, de la loi n° 06-029 relative à la protection de la voie publique, du décret n°05-431-PRM du 30 septembre 2005 portant classement et fixant les itinéraires et kilométrages des routes. Il y a aussi le décret 2015-090-PRM du 31 décembre 2015 fixant les emprises et les caractéristiques minimales de différentes catégories de routes et la loi n°05-41 du 22 juillet 2005 portant classement des routes.

Selon le directeur général des routes, le texte relatif aux emprises fixe la largeur minimale de 80 mètres pour les routes nationales, 65 m pour les routes régionales, 55 pour les routes communales et 50 m pour les routes locales. «Quelqu’un qui se trouve dans cette emprise, le jour où on vient construire ou réhabiliter, on est obligé de casser», prévient-il, ajoutant que ceux qui sont dans l’emprise d’une route et victimes d’une démolition, une fois dédommagés, doivent quitter.

«Quand la route est déclarée d’utilité publique, après toutes les formalités, c’est un décret qui passe en conseil des ministres. Après, il y a une commission qui est mise en place pour recenser d’abord, faire les évaluations des investissements qui seront touchés et faire un rapport», explique Cheick Oumar Diallo.

MÉTHODE D’INDEMNISATION- La commission d’indemnisation est logée au ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat, des Domaines, de l’Aménagement du territoire et de la Population. Selon le directeur général, les personnes concernées par le déguerpissement sont informées et viennent prendre connaissance de l’évaluation qui fait l’objet d’un procès verbale (PV) envoyé au niveau du ministère de la Justice qui l’homologue. «Il y a une supervision du contentieux de l’État. C’est après tout ce processus que le dossier est envoyé au ministère de l’Économie et des Finances qui fait les mandats pour le trésor afin de procéder aux paiements», détaille le patron des Routes.

Notre interlocuteur estime que cette occupation illégale des emprises est une incompréhension. «Chacun veut avoir une belle ville, mais si le projet routier est pour certains un moyen de pression ou de mettre en avant des revendications financières au-delà de ce qui est souhaitable, ça peut poser des problèmes», dit-il.

Cheick Oumar Diallo, directeur général des routes

À son avis, pour prévenir le phénomène d’occupation des emprises, il va falloir revoir la manière de faire. «C’est notre Loi fondamentale qui bloque souvent la célérité dans l’indemnisation. Notre Constitution en son article 13 dit qu’on ne peut faire partir quelqu’un que contre une juste et préalable indemnisation. Comme les gens savent ça, même si c’est pour un intérêt public, ils refusent de quitter. Une personne peut bloquer un projet. C’est ça l’inconvénient», soutient le directeur général.

Ainsi, l’occupation des emprises entraîne le retard dans l’exécution des travaux. «Le premier investissement du projet de la route Banconi-Dialakorodji-Safo- Nossombougou est un investissement perdu. Si on veut reprendre les travaux, c’est comme si c’est un nouveau projet qu’on va faire. Les travaux avaient été réalisés à hauteur d’environ 20%. C’est une perte pour l’économie nationale et les populations riveraines», regrette notre interlocuteur.

Dans l’emprise de la route Bamako-Ségou, le constat est le même. Des particuliers construisent sans peur, ni crainte dans la certitude de cette emprise pourtant déclarée d’utilité publique. On y retrouve des piquets d’identification des parcelles, des travaux de construction (soubassements, élévations) entamés en toute violation des textes en vigueur. Et rien ne semble pouvoir mettre fin à ces entraves aux constructions des routes.

«La deuxième phase de la route Bamako-Ségou n’est pas abandonnée. Nous sommes toujours à la recherche de financement. Mais déjà, les gens qui avaient été dédommagés au moment de la première phase sont en train de revenir. On avait commis à un moment donné l’Institut géographique du Mali pour faire le balisage de cette route. Il y a certaines balises qui se trouvent dans les concessions des gens aujourd’hui», confie le directeur général des routes. Et d’ajouter : «Le jour où on voudra faire la deuxième phase, on sera confronté à des problèmes d’indemnisation ou à des déguerpissements forcés.»

Babba COULIBALY

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