Les «Nouvelles du Kuntaara» (éditions Educ Afrique) est un recueil de 7 nouvelles signé par Sid-Lamine Salouka, enseignant et critique vivant à Bobo Dioulasso, au Burkina Faso. Un très bon livre de 134 pages, facile à lire et très riche comme document.
La République de Kuntaara ! Vous connaissez ? Elle doit visiblement faire frontière avec le Mali, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Niger… Ne cherchez pas sur une carte de géographie, car c’est le nom d’une République presqu’imaginaire qui a inspiré un enseignant de Bobo Dioulasso (Burkina Faso). Tout au long des 134 pages, l’auteur nous amène à faire la connaissance des traditions, les travers de la modernité ou du pouvoir politique… Il nous replonge souvent dans cette Afrique féodale avec la dictature des chefferies traditionnelles.
Les «Nouvelles du Kuntaara», ce sont aussi les intrigues politiques sur fond de démagogie et de dédain des parvenus, les conflits des ménages polygamiques…la révolution Sankariste et la révolution de la Jamahiriya arabe libyenne des regrettés Thomas Sankara et du Guide Mouammar Kadhafi (La visite du Maréchal Brakadir)… Bref, comme l’écrit l’auteur, le quotidien de «gens simples qui sont dans la quête d’une simple destinée humaine, alors que le cynisme des puissants les maintiennent en marge de la société» : celle des «riches» et des «civilisés». Des damnés des poches de misère, opprimés et méprisés parce qu’ils ont tout simplement le courage et le mérite de vivre à la sueur de leur front, sans autre prétention ou aspiration que de gagner décemment leur vie… Ces Konokuu (aussi inutiles que des queues d’oiseaux) pour qui le régime et ses barons n’ont aucun égard, aucune considération… Sauf, bien sûr, pendant les campagnes quand ils font semblant d’organiser des élections pour légitimer leurs fauteuils et postes, donc pour s’enrichir davantage. Ils sont alors nourris de l’illusion d’un lendemain enchanteur…
N’est-ce pas d’ailleurs le but de la politique en Afrique ? Maintenir le peuple dans l’ignorance et la misère pour mieux l’asservir ! C’est par exemple le cas de Marie-Madeleine qui, comme les infortunés malades du Sida ou des personnes infectées au VIH, est devenue le fonds de commerce de crapules déguisées en agents sanitaires ou en humanitaires. Cette race nouvelle de décideurs qui se glorifient d’être dans le «bon Sida», c’est-à-dire celui où «l’on s’engraisse et se construit des villas sur la souffrance et la mort des malades». Comme les vautours et les hyènes, ils se nourrissent de la détresse humaine. Hélas, déplore Sid-Lamine Salouka, l’Afrique, voire le monde, regorge de plus en plus de ces «entrepreneurs d’un type nouveau» qui ont trouvé dans «la pandémie un filon destiné à les préserver de la misère collective»…
Ce recueil dénonce aussi l’univers dans lequel riches et politiciens continuent à déplumer les plus pauvres et à les nourrir d’illusion pour davantage les renfermer dans leur misère. Dans ce recueil de nouvelles, on sent la passion d’un enseignant pour la littérature et la volonté d’un intellectuel de contribuer au réveil des consciences en faveur d’une nouvelle Afrique. Maîtrisant à merveille la langue de Molière et avec souvent beaucoup d’humour, Sid-Lamine Salouka nous régale également de sa grande connaissance des traditions orales de son pays, le Burkina Faso. L’ouvrage est riche d’expressions très imagées avec des traductions littérales des expressions locales, d’anecdotes et de proverbes.
Le titre de l’œuvre est déjà édifiant pour qui sait qu’en bambara ou en dioula, «Kuntaara» veut dire «ce qui ne se justifie pas ou ce qui n’a pas de sens». Ce qui est loin d’être le cas du combat que l’auteur mène à travers cette œuvre. Pour relever nos pays et notre continent, nous devons nous inspirer des sagesses africaines comme «le buffle, qui erre dans la savane, sait bien que sa tête repose dans la case protectrice des ancêtres» ou la «natte de l’asticot n’est guère son trou»…
D’un style simple produit par une plume alerte, le lecteur est captivé du début à la fin du livre par Sid-Lamine Salouka, un jeune auteur avec qui nous avons fait connaissance pendant des éditions du Fespaco dans une formation de critiques. Une belle plume. Une plume engagée, mais pas trempée dans du vitriol, car Sid-Laminé utilise brillamment l’humour et souvent l’ironie pour décrire, décortiquer, dénoncer, plaider avec une fascinante conviction qui sied aux combats nobles comme le sien. Les enseignants et les critiques peuvent être fiers de ce jeune auteur qui nous promène dans le Burkina, pardon le Kuntaara, voire l’Afrique d’hier et d’aujourd’hui avec ses espoirs déçus, ses rêves brisés, la décadence des valeurs essentielles à son progrès, les travers et les indélicatesses des élites dirigeantes ou des bourgeoisies fondées sur la misère du peuple.
Les Nouvelles du Kuntaara accrochent au point qu’on n’a pas envie de s’arrêter avant la fin des 134 pages. Un ouvrage politiquement, socialement et culturellement assez fourni. Après la lecture, votre serviteur n’a qu’une seule envie : découvrir le Kuntaara en profondeur en apprenant à danser le «Warba de la ruche» pour séduire une Princesse Mossi, Dioula ou Peuhle… comme Vadpoko-la-Blanche. La bière de mil ? Je n’y toucherai pas ! Promis ! À bientôt donc Sid-Lamine pour la dédicace du prochain recueil ou roman que nous espérons encore plus engagé.
N.B : Les «Nouvelles du Kuntaara», 134 pages (éditions Educ Afrique)
Moussa BOLLY