La société malienne est aussi variée que complexe. Si le Mali reste toujours un pays à vocation majoritairement agricole et rurale, en dépit des exodes massifs que subissent les campagnes, les citadins (gens des villes) vivent comme dans un autre monde et refusent d’être assimilés à leurs concitoyens (ruraux et autres), ou même confondus avec eux qui constituent pourtant la majorité de la population du pays.
Des publicités affichées dans les villes montrent des jeunes au teint toujours étrangement clair, voire très bronzé, travaillant dans des bureaux climatisés et conduisant une belle et grosse bagnole toute rutilante. On ne sait si cette gent juvénile fait partie des jeunes de la génération montante dite « consciente ». Mais pour cette classe moyenne de jeunes « parvenus », le fait même qu’un villageois aille chasser la biche avec son arc, vêtu en habits de « donso » (chasseur) parait comme une insulte lancé à leur bon sens.
Pourtant, le Mali d’aujourd’hui est encore loin de ressembler à cette image que se fait cette petite classe moyenne résidant à l’ACI 2000, à la Cité du Niger ou dans d’autres quartiers chics de la capitale. D’ailleurs, à l’instar des capitales africaines, le Mali présente un Bamako à deux visages, ou du moins à deux mondes : celui des nantis et des huppés, et celui des pauvres et des démunis qui, du reste, parait le plus visible à tout étranger qui visite le pays pour la première fois.
Tout comme dans les villes et autres localités de l’intérieur du pays, la pauvreté est aussi visible qu’omniprésente à Bamako dont les banlieues et autres périphéries s’agrandissent chaque jour davantage pour accueillir des jeunes ruraux, voire des familles campagnardes qui ont quitté leurs fiefs d’origine parce que selon eux, il n’y a pas de travail dans les champs et qu’à leurs yeux, la ville en général, et la capitale en particulier, constitue un Eldorado, voire un havre de paix ou un lieu de réussite. C’est dire que tout comme le font ses lumières nocturnes, la ville rend souvent aveugle tous ceux qui refusent de voir ses réalités en face.
L’accroissement anarchique des populations urbaines allié à l’explosion démographique du pays n’est pas sans poser bien des problèmes. C’est ainsi qu’une importante frange de jeunes sombre inexorablement dans la délinquance ou la prostitution, loin du poids des traditions et définitivement « déconnecté » des réalités familiales. Et quand on sait qu’au Mali, la famille a toujours été le principal centre d’intérêt de la vie sociale, on mesure alors tout le degré de déperdition de ces jeunes pervertis.
Les nombreuses et pressantes demandes d’habitat, jointes aux effets multiples de la polygamie (les hommes aux nombreuses épouses avec une armada d’enfants), font que les logements (sociaux ou autres) sont constamment occupés par des membres de la famille au sens le plus large du terme. Si le problème de logement ne se pose pas dans les quartiers résidentiels favorisés, il engendre une sur occupation, ou du moins une occupation anarchique de certains logements insalubres par les moins favorisés.
Les enfants en sont ainsi les premières victimes puisque la tranquillité et l’argent nécessaires pour financer leurs études manquent le plus souvent à l’appel. Il en résulte alors un ahurissant taux d’analphabétisme bien supérieur à celui des pays africains pourtant plus pauvres. Les femmes sont les secondes victimes de ces dérèglements sociaux du pays. Or leur apport et contribution à l’économie nationale deviennent de plus en plus importants grâce à tous les « petits » commerces qu’elles exercent et au financement de leurs micro activités (tontines). Par ailleurs, le rôle et la place des femmes sont essentiels dans la société traditionnelle malienne.
Si la famille constitue le cœur de la société malienne, la religion, les fêtes et les traditions, entre autres, en constituent le ciment. Si ces traditions doivent être conservées, entretenues et respectées par chaque communauté, il est nécessaire, pour le pays, de garder son âme intacte tout en faisant quand même un petit un clin d’œil à la modernité.
Cheick Oumar Keïta