Introduction :
La Commission des lois du Conseil national de Transition (CNT) a terminé ses séances d’écoute des acteurs socio-politiques autour du projet de loi électorale. Sur la base des écoutes et après les débats en plénière, le CNT a adopté, le 17 juin 2022, le projet de loi comprenant 217 articles (sur un total de 225 articles) avec 92 amendements à travers un vote de 115 voix pour ; 3 contre et 0 abstention. La Loi électorale a été promulguée le 24 juin 2022.
I – Rappel du contexte de l’élaboration de la loi électorale :
La modification de la loi électorale est intervenue à plusieurs reprises en République du Mali.[1] Le cas présent est la onzième modification.
La crise postélectorale de 2020 a vu la remise en cause des organes de gestion des élections par les partis politiques à travers le Collectif des députés spoliés par l’administration et par la Cour Constitutionnelle (CODESAC) comprenant des victimes des premier et deuxième tour du scrutin législatif.
Les résultats de 68 sièges[2], qui représentent près de la moitié des 147 sièges à pourvoir à l’Assemblée nationale, n’ont pas été acceptés par les partis politiques[3]. Le ministère de l’administration territoriale a été plus mis en cause (39 circonscriptions) que la Cour Constitutionnelle (29 circonscriptions) dans la publication de résultats jugés non conformes.
Il faut noter que les types d’administration électorale qui ont prévalu jusqu’ici sont :
- 1 Organe unique de gestion des élections, de 1992 à 1996, à travers le Ministère de l’administration du territoire ;
- 1 Organe unique de gestion des élections, de 1997 à 1998, avec la CENI ;
- 3 Organes de gestion et de supervision, de 1999 à 2020, avec le Ministère de l’administration du territoire comme organisateur principal, la Délégation générale aux élections avec comme missions la confection du fichier électoral et le financement public des partis politiques, enfin la CENI comme organe de suivi et de supervision de l’ensemble du processus électoral.
Le type d’administration électorale, dans la Loi N°2022-019 du 24 juin 2022 portant Loi électorale, est hybride avec deux (2) Organes de gestion qui voient la domination des Pouvoirs publics : l’Autorité Indépendante de Gestion des élections – AIGE et le Ministère de l’administration du territoire. La Cour Constitutionnelle continue de gérer le contentieux, mais reste le premier et le dernier arbitre du processus électoral ; en ce qui concerne l’élection Présidentielle et les élections législatives.
Afin de régler les crises électorales en amont et en aval, et conformément aux recommandations des Assises Nationales de la Refondation (ANR), il est nécessaire de réaliser :
- La fin du nomadisme politique en cours de mandat ;
- La révision des compétences de la Cour Constitutionnelle en matière électorale ;
- La mise en place d’un organe unique et indépendant de gestion des élections ;
- L’instauration du mode de scrutin proportionnel pour l’élection des députés ;
- La mise en place d’un mécanisme pour contrôler les dépenses des campagnes électorales.
II – Les observations de la MODELE Mali :
2.1. Concernant les attributions de l’Autorité indépendante de Gestion des Élections – AIGE :
L’article 4 dit que l’AIGE a pour mission l’organisation et la gestion de toutes les opérations référendaires et électorales.
A ce titre, elle est chargée, entre autres, de : – la confection, de la gestion, de la mise à jour et de la conservation du fichier électoral ; – la réception et de la transmission des dossiers de candidatures relatifs aux élections des Députés à l’Assemblée nationale, des Conseillers nationaux et des Conseillers des Collectivités territoriales ; des opérations de dépouillement des bulletins de vote, de recensement des votes, de la centralisation, de la proclamation, de la publication des résultats provisoires des scrutins par bureau de vote et de la transmission des procès-verbaux ; – de la gestion des observateurs nationaux et internationaux; – de la confection, de la personnalisation, de l’impression et de la remise des cartes d’électeur biométriques à l’occasion des opérations référendaires et des élections et de la mise en place des cadres de concertation permanents avec l’Administration, les partis politiques et la société civile. L’AIGE participe à l’élaboration de la législation afférente aux élections.
La MODELE pense que l’ancrage dans la seule loi électorale, qui est une loi ordinaire, ne garantit pas la stabilité et la longévité de l’AIGE. Par conséquent, nous concevons que l’AIGE doit avoir son ancrage dans la Constitution du Mali.
2.2. Concernant les attributions du Ministère chargé de l’Administration territoriale :
Suivant l’article 5, le Ministère chargé de l’Administration territoriale a pour mission d’appuyer l’AIGE. A ce titre, il est chargé, entre autres : – de l’organisation technique et matérielle des opérations référendaires et électorales ; – de la révision des listes électorales ; – de la création, de l’emplacement et du ressort des bureaux de vote en rapport avec l’AlGE ; – de la gestion du matériel ct de la logistique des opérations référendaires et électorales et de la conservation du matériel après les élections ; – du financement public des partis politiques et de la mise en place du matériel et des documents électoraux en rapport avec l’AIGE.
Le Ministère chargé de l’Administration territoriale apporte également un appui technique à l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections ; notamment dans l’élaboration des procédures et actes relatifs aux opérations référendaires et électorales ainsi que la formation électorale.
La MODELE raisonne que le MATD bénéficie d’une large place dans la gestion des élections au détriment de l’AIGE. De ce fait, l’AIGE ne peut satisfaire aux critères d’une autorité indépendante.
Concernant les attributions de la Cour Constitutionnelle :
Avec l’article 161, toute contestation portant sur une candidature, à l’élection Présidentielle, est déférée à la Cour constitutionnelle soixante-douze (72) heures au plus tard après la publication de la liste des candidats à la Présidentielle. La Cour Constitutionnelle statue sans délai. La Cour constitutionnelle procède au recensement général des votes. Elle contrôle la régularité du scrutin et en proclame les résultats définitifs (article 166).
L’article 170 dit que la Cour Constitutionnelle arrête et publie la liste provisoire des candidatures aux élections législatives. Avec l’article 171, elle publie la liste définitive des candidatures. Le Président de la Cour Constitutionnelle proclame les résultats définitifs du scrutin législatif en audience solennelle (article 173).
Le contentieux relatif au référendum, à l’élection du Président de la République et des Députés à l’Assemblée nationale relève de la Cour constitutionnelle conformément à la loi organique déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle, suivant l’article 177.
La MODELE considère que la Cour Constitutionnelle est juge et arbitre du jeu électoral en République du Mali avec les prérogatives relatives à la gestion du contentieux préélectoral, à la proclamation des résultats définitifs et la gestion du contentieux postélectoral. Avec le maintien des anciennes prérogatives de la Cour Constitutionnelle, la MODELE constate que peu de leçons ont été retenues de la crise postélectorale de 2020 qui a abouti à la déstabilisation des Institutions de la République.
Concernant les attributions du Comité d’Égal Accès aux Médias d’État (CNEAME)
L’article 81 dispose, entres autres, que les candidats, les partis politiques et les groupements de partis politiques peuvent utiliser pour leur campagne les médias d’État (radio, télévision, presse écrite). Le Comité national de l’Égal Accès aux Médias d’État (CNEAME) veille à l’accès égal aux médias d’État des candidats, des partis politiques et des groupements de partis politiques en lice.
A ce niveau, les médias privés et les médias sociaux ; y compris les réseaux sociaux sont ignorés. La Haute Autorité de la Communication (HAC) qui a pour mission la régulation du secteur de la communication, dans les domaines de la communication audiovisuelle, de la presse écrite, de la publicité par voie de presse, est aussi ignorée dans la Loi.
Le CNEAME est créé suivant une Loi organique qui tire sa substance de l’Article 7 de la Constitution. Quant à la HAC, elle est créée suivant la Loi n°2015-018/ du 4 juin 2015 portant modification et ratification de l’Ordonnance n° 2014-006/P-RM du 21 janvier 2014 portant création de la Haute Autorité de la Communication.
La HAC dispose d’un centre de monitoring et de contrôle des médias qui a vocation à couvrir tout le territoire national, pour mieux veiller sur le respect des règles du jeu démocratique à travers les médias, le respect des normes déontologiques du journalisme et la réglementation. Le suivi et l’analyse des contenus des médias constituent des actions primordiales pour une bonne régulation du secteur.
Pour la MODELE, les attributions de la HAC devraient figurer dans la Loi électorale.
Concernant le Collège et la mise en place des bureaux de l’AIGE :
L’article 7 dit que le Collège, organe délibérant de l’autorité est composé de quinze (15) membres désignés sur la base des· critères de compétence, de probité, de bonne moralité, d’impartialité ainsi que de jouissance des droits civiques et politiques. Il comprend des représentants des pouvoirs publics, des partis politiques et de la société civile, à raison de huit (08) membres pour les pouvoirs publics, quatre (04) pour les partis politiques ct trois (03) pour la société civile. Les membres représentants les pouvoirs publics sont désignés comme suit : – trois (03) par le Chef de l’État ; – un (01) par le Premier ministre ; – deux (02) par le Président de l’Organe législatif ; – un (01) par le Président du Haut Conseil des Collectivités et un (01) par le Président du Conseil Économique, Social et Culturel. Les membres représentants les partis politiques et la société civile sont désignés selon les modalités fixées par ces institutions ou organisations.
La MODELE observe que la composition de l’AIGE donne une majorité absolue aux membres désignés par les pouvoirs publics qui peuvent mettre en place le bureau de l’AIGE, suivant l’article 8, qui cite les postes de Président, Vice-Président, Rapporteur et Rapporteur adjoint, sans consulter les membres des partis politiques et de la société civile.
La MODELE constate que cette majorité donne d’énormes opportunités aux pouvoirs publics de peser sur le processus électoral d’autant que la deuxième branche du système électoral, à savoir le Ministère de l’administration territoriale, travaille sous les ordres du Chef de l’exécutif.
Le principe de la majorité absolue se retrouve aussi dans la mise en place des démembrements de l’AIGE au niveau des régions, cercles et communes du Mali, suivant l’article 22 qui évoque 7 membres dont 4 représentants des pouvoirs publics, 2 des partis politiques et 1 de la société civile.
Le mandat du Collège de l’AIGE est de 7 ans non renouvelable (article 7), alors que le mandat des démembrements qui court 6 mois avant le début des opérations référendaires et électorales prend fin 1 mois après la proclamation des résultats définitifs (article 24).
La présence des partis politiques et de la société civile au sein de l’AIGE est le signe d’une plus grande inclusivité même si les pouvoirs publics constituent une majorité de fait.
Concernant la centralisation des résultats et la présence des Observateurs :
La loi prévoit, dans les articles 150, 151, 165 et 172, la mise en place de commissions de centralisation des résultats des élections Présidentielle et Législatives. Sont seulement autorisés les représentants de l’AIGE et des partis politiques. La présence des Observateurs nationaux et internationaux n’a pas été mentionnée lors de ces étapes cruciales du processus.
La MODELE regrette que les attributions des observateurs électoraux ne soient pas bien définies dans la loi 2022. Elle aurait souhaité que la loi mentionne clairement la présence des observateurs à toutes les étapes du processus électoral, y compris aux différents niveaux de centralisation des résultats provisoires et définitifs.
- Concernant la proclamation des résultats et leur publication en ligne :
Les articles 151, 165 et 172 disent qu’après la proclamation des résultats provisoires, des élections Présidentielle et Législatives, cinq jours après le scrutin, leur publication se fait par bureau de vote sur le site de l’AIGE, sans préciser le délai de publication.
La MODELE estime qu’il faut procéder à la publication des résultats par centres et bureaux de vote, au fur et à mesure de la proclamation des résultats provisoires. Cela permet d’éviter les conflits et d’éventuels tripatouillages des résultats pendant la remontée et la centralisation des résultats ; contribuant ainsi à la transparence et à la crédibilité des élections. Elle permet également d’obtenir les résultats par bureaux de vote avant le début légal du contentieux.
- Concernant la candidature à la Présidentielle des membres des Forces armées et de sécurité :
L’article 155 dit que tout membre des Forces Armées ou de Sécurité qui désire être candidat aux fonctions de Président de la République doit démissionner ou demander sa mise à la retraite au moins six (06) mois avant la fin du mandat en cours du Président de la République.
Toutefois, pour les Élections pendant la Transition, les membres des Forces Armées ou de Sécurité qui désirent être candidats aux fonctions de Président de la République doivent démissionner ou demander leur mise à la retraite au moins quatre (04) mois avant la date de l’élection présidentielle marquant la fin de la Transition.
Par ailleurs, l’article 7 nouveau de la Loi N°2022-001/ du 25 février 2022, portant révision de la Charte de la Transition, stipule qu’en cas de vacance de la Présidence de la Transition pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif du Président de la Transition pour quelque cause que ce soit, constaté par la Cour constitutionnelle saisie par le Président du Conseil national de Transition et le Premier ministre, les fonctions du Président de la Transition sont exercées par le Président du Conseil national de Transition jusqu’à la fin de la Transition.
Ces modifications laissent la possibilité aux autorités de la Transition de se porter candidat à la prochaine élection Présidentielle.
Malgré les possibilités, une candidature des autorités actuelles de la transition aux prochaines élections pourrait s’analyser comme une volonté de confiscation du pouvoir politique.
- Concernant les circonscriptions électorales
L’article 167 de la Loi dit que pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale, les circonscriptions électorales sont les cercles et les Communes du district de Bamako. Le CNT a maintenu le cercle en tant que circonscription électorale des députés à l’Assemblée nationale.
Conformément à l’article 1 de la Loi n°02-010/ du 05 mars 2002, portant Loi organique fixant le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée Nationale en cas de vacance de siège, leurs indemnités et déterminant les conditions de la délégation de vote, le nombre des députés à l’Assemblée Nationale est fixé à cent quarante-sept (147).
La répartition des députés entre les cercles et les communes du District de Bamako est faite sur la base du recensement administratif de 1996 à raison d’un député par fraction de 60.000 habitants. (…). La répartition des députés entre les cercles et les communes du District de Bamako est fixée conformément au tableau annexé à ladite Loi.
Il faut rappeler que la Loi n°2012-018/ du 02 mars 2012 a créé onze (11) nouveaux cercles en République du Mali. Il s’agit des cercles de Taoudénit, Foum-Elba, Achouratt, Al-Ourche, Araouane et Boû-Djébéha (région de Taoudénit) ; Almoustrat (région de Gao) ; Anderamboukane, Inékar et Tidermène (région de Ménaka) et Achibogo (région de Kidal). Par contre, les cercles des régions du Sud n’ont pas été créés à ce jour.
La MODELE considère qu’une loi ordinaire comme la loi électorale ne saurait supplanter une loi organique et que les cercles, des 19 régions créées suivant la Loi n°2012-017/ du 02 mars 2012, doivent être opérationnalisés pour leur permettre de prendre part aux élections législatives de fin de Transition.
Conclusion :
Au vu du contexte postélectoral de 2020 et des recommandations des Assises Nationales de la Refondation (ANR), la MODELE MALI note que les changements majeurs, attendus dans le cadre de la prévention des crises électorales en République du Mali, n’ont pas été pris en compte dans la Loi N°2022-019 du 24 juin 2022 portant Loi électorale.
Des actes forts comme la fin du nomadisme politique en cours de mandat ; la révision des compétences de la Cour Constitutionnelle en matière électorale ; la mise en place d’un organe unique et indépendant de gestion des élections ainsi que la mise en place d’un mécanisme de contrôle et de plafonnement des dépenses de campagne électorale (pourtant prévu dans le projet initial), ont été occultés.
Avec plus de 20 mois de transition, les Autorités n’ont pas pu mener les réformes profondes qui impliquent : – la relecture de la Constitution du 25 février 1992 ; – la relecture de la Loi n°02-010/ du 05 mars 2002 portant Loi organique fixant le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée Nationale en cas de vacance de siège, leurs indemnités et déterminant les conditions de la délégation de vote ; – la relecture de la Charte des partis politiques. Sans oublier la nécessité du découpage territorial avec les 19 régions créées en 2012.
La MODELE invite les autorités de la Transition à prioriser le consensus politique pour le retour à l’ordre constitutionnel dans les meilleurs délais.
Contact Presse
Dr Ibrahima SANGHO, Chef de mission MODELE Mali
[1] Les modifications des lois électorales : 1. Ordonnance n° 91-074/P-CTSP portant code électoral du 10 octobre 1991 ; 2. Loi n° 97-008 du 14 janvier 1997 portant loi électorale ; 3. Loi n°02-007 du 12 février 2002 portant loi électorale, 4. Loi n° 04-03/AN-RM du 15 janvier 2004 ; 5. Loi n° 06-044/ du 4 septembre 2006 ; 6. Loi n° 2001-085/ du 30 décembre 2011 ; 7. Loi n° 2013-017 du 21 mai 2013 ; 8. Loi n°2014-054 du 14 octobre 2014 ; 9. Loi n° 2016-048 du 17 octobre 2016 ; 10. Loi n°2018-014 du 23 avril 2018 ; 11. Loi 2022 avec le Conseil National de Transition.
[2] Commune I Bamako (2), Commune V Bamako (3), Commune VI Bamako (3), Bafoulabé (3), Yélimané (2), Kati (7), Nara (3), Sikasso (7), Bougouni (4), Koutiala (6), Ségou (7), Macina (2), Mopti (3), Djenné (2), Tenenkou (2), Koro (4), Youwarou (1), Douentza (2), Tombouctou (1), Gourma Rharous (1), Goundam (2), Diré (1).
[3] Commune I Bamako (2 – RPM – ADEMA PASJ), Commune V Bamako (3 – RPM – APR), Commune VI Bamako (3 – RPM – ADEMA PASJ – PS), Kati (7 – RPM – URD – ADEMA PASJ), Sikasso (7 – RPM – CODEM – URD), Bougouni (4 – CDS MOGOTIGUIYA – ADEMA PASJ – CODEM), Mopti (3 – ADEMA PASJ – URD – RPM).