Noce blanche à Bamako : A Bamako, la capitale du Mali, le trafic de drogue crée une nouvelle « bourgeoisie ». Compradore, évidemment…

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Il est minuit depuis plus de 25 minutes, ce 08 juin. Je ne suis pas noctambule. D’habitude, je tiens compagnie aux poules qui s’encagent. Mais ma source est formelle : elle ne met pas le nez dehors avant zéro heure. Au dernier contact avant le rendez-vous, il a dit : « Tu viens vers minuit et tu m’attends. Je serai là avant deux heures du matin. Sinon, pas d’interview. »

J’ai obtenu le contact de H.D. par l’intermédiaire d’un ami d’enfance qui a entamé sa descente aux enfers alors que nous étions seulement en huitième année fondamentale à l’OPAM. Jeune, irresponsable, inconscient, obsédé par l’idée de plaire aux filles en se faisant passer pour un vrai citadin « man chaud », il s’est mis aux « ganja », « imno », « Valium »,  « Djalan » et autres poisons pour le système nerveux. Devenu « demi », c’est-à-dire fou depuis 1984, il lui arrive quelques épisodes de lucidité. H.D. est son fournisseur attitré quand il arrive à chiper et revendre des bricoles.

 

Il est une heure du matin quand les puissants phares d’un tout-terrain brouillent mon regard. H.D. descend du côté passager et me lance « je te surveille depuis 40 mn pour voir s’il n’ y a pas de policiers autour. Je n’ai pas confiance, je ne veux pas perdre 200 000 ! » (Son langage était évidemment plus vulgaire). Je veux donc savoir, qui sont tes clients types ? Il me désigne du doigt une dame avachie sur le fauteuil arrière. Il la secoue et lui fait signe de sortir. Je me retrouve face à une dame dans la trentaine, choriste d’une «chanteuse ». On lui donnerait 50 ans. Elle a le visage bouffi de l’insomniaque avec d’atroces cernes sous des yeux rouges, le maquillage outrancier d’une prostituée, les seins flasques comme une corde à linge, les fesses pendantes dans une minijupe avec un vulgaire string en cordelettes sur les hanches. La rombière roule des yeux, bat des paupières et supplie : «Allah kama, kana dja ken na saa, do di yan, walaï mbi sara nin yé client soro ! » (Pour l’amour de Dieu ne me refuse pas une dose, dès que j’aurai un client, je te paierai). Il m’explique qu’elle vient déjà de brûler son argent en sniffant une ligne de cocaïne.

 

Alors, H.D. combien coûte la dose ou ligne  de coke ? Il se gratte les rastas et balbutie :     « Ça dépend. Pour une djougou sago comme cette fille de c., c’est 10 000, mais je peux lui céder ça à 5 000 si elle me fait une faveur… Pour les artistes, les boss et la jeunesse dorée de Bamako à trois heures du matin, je peux demander jusqu’à 50 000. Le joint se négocie souvent à partir de 2000 francs, selon la qualité… » En termes de qualité, il s’agit du contenu en THC de la résine de cannabis. Plus il est concentré, « meilleur » est le produit. H.D. refuse à la dame une nouvelle dose. Elle titube et rejoint sa place dans le fauteuil. Il me lance : « Cette fille est foutue. Une fille d’aussi bonne famille qui fait des choses dégueulasses pour se droguer ! »

H.D. me confie qu’il ne touche jamais à la drogue : « pas bon pour les affaires ». Il me dit que tous les dealers qui sombrent sont finis. « Nous sommes des revendeurs.Quand on prend, on contrôle plus ».

Où arrive-t-il à revendre ? « J’ai surtout des clients qui viennent à la maison ou envoient des personnes. J’en vends aussi dans les boîtes de nuit, les bars, les maisons de passe et… les balani show… » Pour environ combien par mois de revenus nets : « En décembre, je peux faire trois millions, mais normalement, c’est entre un et un million cinq par mois. » Il n’est pas encore un gros revendeur, il a trop peur de sa mère : « Je lui ai dit que je suis guide touristique. Si elle apprend qu’elle est allée à la Mecque avec l’argent de la drogue, elle va me maudire.» Combien a-t-il en banque ?Rien ! “Je bouffe ce que je gagne”.  Le papa est décédé depuis des lustres. Il me demande si je veux un joint. Je décline l’offre. Je n’ai jamais essayé ou consommé de ma vie. Je veux connaître ses sources de ravitaillement. Il parle : « La police sait déjà où se trouvent les distributeurs. Moi, je me rends à Ngolonina pour me ravitailler. Souvent, c’est sous l’échangeur du nouveau Pont,  en face de la nouvelle cité ministérielle. Il y a un dernier point à Djicoroni, juste devant la … Cour constitutionnelle. »

A-t-il déjà eu des démêlés avec la police et la justice ? «Hier matin, j’étais au violon !» assène-t-il en faisant signe à la prostituée qui sortait de nouveau de remonter illico dans la voiture. Pourquoi n’a-t-il pas été déféré ? « Bon, je n’avais rien sur moi et ils ont juste pris les 60 000 Cfa qui étaient dans ma poche. Bon… ils n’ont pas pris, j’ai donné pour sortir. C’est la verbalisation… L’inspecteur X arrivait à 09h et je ne voulais pas le voir. Il allait m’envoyer chez le procureur et là, mon boss allait me prêter… beaucoup pour la liberté conditionnelle et puis… les avocats et puis… »

Il me propose de monter dans sa voiture pour une virée à l’Hippodrome « Danfaga ka carré y a dia » murmure-t-il à son « chauffeur ». Son téléphone sonne, « c’est le parisien » dit-il en regardant l’afficheur. Il veut plusieurs doses pour s’éclater avec des amis de passage. « C’est le fils de quelqu’un que je n’ose pas nommer. Si je le fais, toi et moi irons en prison demain matin et pour longtemps. »

Quand je lui parle des effets nocifs de la drogue, il esquisse un sourire narquois et répond : « Je n’en consomme pas, man ! Ce sont ces bâtards bourrés d’argent qui le font. Il n’y a aucun péché à briser la nuque de la guenon qui le demande. S’ils veulent se tuer, c’est leur affaire. De toutes les façons, personne ne peut arrêter ce commerce. »

 

Quelle est sa plus grosse commande ? H.D. penche la tête puis regarde le ciel : « Une rencontre au palais des Congrès. Des gens hébergés dans un hôtel pas loin de là m’ont appelé. Il y avait plein de putes dans la chambre, elles étaient presque nues, des Maliennes et des étrangères ivres. Le gars a acheté, je crois pour deux mille euros (1,4 million CFA). Il a mis sur la table, j’ai appelé un copain pour compléter la commande… » Se souvient-il du client ? « Je ne me souviens jamais de quelqu’un. Je ne donnerai aucun nom. On parle seulement, mais aucun nom !»

 

L’entretien se termine peu avant deux heures du matin par cet avertissement de H.D. « Ne gaspille pas le capital de confiance entre nous ! J’ai des oreilles à Bamako et je connais des gens… » Il sermonne l’accroc affalée sur la banquette arrière. Elle pleure à chaudes larmes et demande sa dose. Pathétique…

 

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