Dernier samedi du mois de décembre, chez Balla Traoré, à Ouenzinbougou-Kanadjiguila, en amis. La Famille Traoré s’affaire. Bientôt 10h, elle doit recevoir les amis du chef de famille, Balla Traoré. Chinois du groupe, Balla est malinké de Badougou Djoliba. Animateur, ayant raté sa vocation, il est machiniste et compte parmi ses amis : Mahamane Touré, un transitaire, venu du Nord ; son collègue Oumar Diamoutène est originaire de Sikasso, Senoufos ; Daouda Dialla, magistrat, connaisseur du poisson ; Lamine Coulibaly, rasta man du Grin. Les amis à Balla comptent aussi : Ousmane Cissé, docteur venu de son Kati natal, qui se définit comme le vrai Bamakois, car issu de la grande famille Cissé de Bolibana. Ce que rejette Rougeout, Lamine Sanogo, fils du chef de quartier de Mamaribougou, tout comme Boura Koné, politicien, fervent militant du Rpm. Sékouba Sanogo est l’ami enseignant avec une peur bleue du contrôle physique. Les amis qui se retrouvent ce samedi s’appuient aussi sur les griots, amis de tous. Bemba Kouyaté, Papus, Capitaine de l’armée ; Ousmane Danté, enseignant. Enfin parmi les amis, il y a bien sûr ce vieux à la retraite qui sert de référence, Djanko.
Le principe qui fonde cette rencontre s’inspire justement des valeurs de Sigikadia. Chaque élément du groupe amical a le droit et le devoir de respect, de tolérance, du sens de l’acceptation et de la responsabilité vis-à-vis de l’autre. Le lien amical est fondé sur ces valeurs qui ne sont pas à négocier. L’adhésion est sans prime, la cotisation est de 10000 Fcfa, assortie du partage des valeurs du groupe. On remarque alors que le groupe amical est constitué par ceux qui n’ont pas le même passé, qui ont décidé d’avoir un credo de vivre-ensemble en usant des valeurs de notre culture. Qu’ils soient du Sud, du Nord du Mali. Le groupe amical constitue aussi un noyau de négociateur pour chacun de ses membres, à condition d’être saisi. Et la cotisation est un fonds d’assistance pour les amis. Si cela n’est pas unique pour le Mali, la pratique est rare dans le monde.
On est donc ce dernier samedi du mois de décembre, chez Balla. Le menu n’est pas imposé. Seules obligations, le thé et la musique. Balla, en ce moment difficile, s’efforcera quand même à faire plaisir à ses amis. Il est 11h, le top de l’arrivée est atteint. Et le petit déjeuner peut être servi. Sans foie gras, comme ailleurs, les amis ont le choix : pain, café, arachides. Et bien sûr, le thé. La discussion s’anime. L’actualité est son sujet : contrôle physique et conséquences, négociations à Alger, maladie à virus Ebola, nouvelle destination de l’argent, news des dernières convoitises, souvenirs d’enfance. On rit, on s’éclate. Sans souci. Voisins, passants s’étonnent, se demandent comment des responsables peuvent-ils s’amuser ainsi.
Il est 14h, le déjeuner est servi. Suivra la prière, dirigée par l’Iman Touré, douze ans de pratique en Arabie Saoudite ; les prières de l’Iman Touré demandent une forte concentration. Au grand dam de Boura, le politicien, qui classe l’Iman parmi les opposants au régime IBK et s’étonne de le voir diriger une prière. Place enfin à l’acte fort de la rencontre. Sous la présidence du président Ousmane Cissé, assisté de son rapporteur Danté, chacun est appelé à donner des nouvelles de sa famille. Ici, c’est des parents malades, venus du village ; là, c’est le mariage d’une nièce. Pendant que la difficulté sociale est évoquée. Les amis sont informés, donnent des conseils et appellent à la clémence du Bon Dieu afin que tout baigne à merveille dans chacune des familles. La rencontre des amis chez Balla se termine sur des airs heureux.
Papus et Danté, les griots, conduisent les amis chez Madame Traoré pour la remercier de son hospitalité et de son accueil. À chaque rencontre amicale, ils ont ce secret de noter et octroient toujours 20/20 à celle qui a fait la cuisine. Et jurent toujours sur le fait qu’il n’y aura pas de seconde épouse. Pendant qu’ils sont dans la démarche pour le second mariage d’un des amis. À tous ses détracteurs, Papus affirme que c’est du métier. «Il faut avoir du métier quand on parle aux femmes». Capitaine de l’armée, avec comme unique exploit un voyage en Chine, Papus trouve toujours quelque chose pour détendre, mais surtout sensibiliser ses amis sur l’esprit amical. Impatients mais heureux, tous scrutent le dernier samedi du mois prochain pour se retrouver. Chez qui ? Bien peut-être chez vous.
Pour cela, un seul contact, celui de votre journal «Le Reporter». Eh oui, bon an mal an, les Maliens se retrouvent, soit un dernier samedi du mois ou un premier dimanche. En amis, parents, collègues, camardes de promotions. Des retrouvailles qui ressentent le besoin d’appartenance, permettent d’oublier le dur quotidien, d’évoquer le souvenir, de tisser des liens et d’échanger sur l’actualité. Trait caractéristique de notre culture, le contact social est un élément fondamental du vivre-ensemble au Mali, Sigi kadia. Cela a commencé avec nos ancêtres et demeure encore de nos jours. Alors tant que cela existe, penser que ce pays sera divisé en Mali-Nord ; Mali-Sud, est permis. Mais, le croire est une bêtise qui n’est pas malienne.
Le GRINDE