Neuvième séance du forum multi acteurs sur la gouvernance au Mali : L’Etat au Mali: fonctionnalité, capacité et crédibilité

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La 9ème séance du Forum multi acteurs sur la gouvernance s’est tenue le jeudi 1er mars dans la salle Benso du Grand Hôtel de Bamako sous la présidence de son président, M. Ousmane Oumarou Sidibé, Commissaire au développement institutionnel. Cette rencontre de très haut niveau a enregistré la présence de professionnels et d’experts de la thématique au nombre desquels le Dr Abdoulaye Sall, Ousmane Sy et bien d’autres. Les exposés faits par d’éminentes personnalités ont porté sur: “l’Etat: définition, genèse et rôle”, “Capacité de l’Etat malien”, “Regard croisé des perceptions de différentes catégories d’acteurs sur l’Etat malien” etc.

Le Forum multi acteurs sur la gouvernance au Mali, faut-il le rappeler, est un processus hérité de la dynamique amorcée depuis 2007 par la colloque de Bamako sur le thème: “Entre tradition et modernité: quelle gouvernance pour l’Afrique?”. Le Forum a été conçu comme un espace public de dialogue, entre diversité d’acteurs de la gouvernance au Mali, pour échanger autour des problématiques cruciales et identifier les leviers d’actions sur lesquels on peut s’appuyer pour tendre vers une gouvernance légitime et enracinée.
La tenue de cette 9ème séance du Forum intervient dans un contexte où le concept de l’Etat, notion transdisciplinaire et polysémique, a fait l’objet d’une abondante production en droit public. Toutefois, les significations de l’Etat pourraient être résumées en trois acceptions: pouvoir central avec ses démembrements par opposition aux collectivités locales, symbole des gouvernants et l’ensemble des pouvoirs publics qui les différencie des gouvernés et de la société civile et synonyme d’une société politique organisée.
L’Etat malien: Définition, genèse et rôle
Le Pr Abdoulaye Diarra, vice-recteur de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako, éminent constitutionnaliste, a ouvert le bal avec “Définition, genèse et rôle de l’Etat malien”. Selon lui, la réflexion sur la définition de l’Etat en général et la genèse et le rôle de l’Etat au Mali s’inscrit dans un cadre pluridisciplinaire puisque les productions en la matière sont conséquemment nombreuses et diversifiées. D’après ce constitutionnaliste, la réflexion sur la définition et la genèse de l’Etat s’inscrit aussi dans un contexte historique: histoire sociopolitique et économique des organisations sociales et des sociétés.
L’analyse du Pr Diarra s’est articulée autour de l’Etat en tant que fait social et analysable du point du vue juridique, politique et économique. Pour introduire son exposé, le Pr Abdoulaye Diarra a fait remarquer que le cas précis de la genèse et du rôle de l’Etat malien peut conduire, entre autres, à une réflexion sur la trajectoire historique de l’Etat en Afrique précoloniale, coloniale et postcoloniale.
L’évolution des doctrines relatives à l’Etat étant consécutive à l’évolution des idées politiques de l’Antiquité à nos jours, le Pr Diarra pense qu’il n’y a pas une définition au terme Etat. Il s’est basé sur les productions de plusieurs autres pour appuyer cette réflexion. De Hegel à Malberg en passant par Nietzche, Kelsen, Weber et Freud, la définition de l’Etat varie d’un auteur à un autre et d’une sensibilité à une autre.
Le Pr Cheick Anta Diop a clairement mis en évidence l’existence en Afrique précoloniale des institutions économiques et politiques sous-tendues par l’existence d’une philosophie étatique spécifique. Les productions arabes sur l’Afrique attestent cette réalité socio-économique et politique. L’existence en Afrique précoloniale de la monnaie, d’un système douanier fonctionnel et d’un système fiscal explique l’existence  des rapports sociaux organisés et des institutions politiques. Dans cette lancée, des villes-carrefours comme Djenné, Tombouctou, Gao et Koukia ont joué un rôle de premier ordre dans le commerce florissant qui a caractérisé cette période.
Dans l’exposé du Pr Diarra, il apparait que les systèmes politiques de l’Afrique précoloniale se caractérisent par des particularités propres dues aux conditions socioéconomiques spécifiques. Ainsi, il est établi que les empires du Mali, du Ghana et du Songhoï furent le siège des Etats. Ce qui fait dire au conférencier Abdoulaye Diarra: “La genèse de l’Etat au Mali est inséparable de l’historicité des sociétés africaines. En ce qui concerne le cas particulier du Mali, le constat est simple et irréfutable: la succession des empires et des royaumes maliens, leur rayonnement mondial tant sur le plan politique qu’économique reposaient sur des structures politiques et juridiques qui consacraient l’existence et le fonctionnement des structures étatiques plusieurs siècles avant l’apparition de l’Etat en Occident au XVIème siècle”
Quant au rôle de l’Etat, le conférencier l’a abordé en évoquant les trois Républiques que le Mali a connues de 1960 à nos jours. La première République, de 1960 à 1968, est analysée par le Pr Diarra comme un Etat de sortie de crise: crise de la société internationale divisée entre deux blocs idéologistes opposés (l’Est et l’Ouest), crise profonde des rapports franco-africains en vue d’une rupture en douceur des relations colonisateurs-colonisés.
Le 19 novembre 1968, le régime de Modibo Kéita est renversé par un coup d’Etat (deuxième République). L’armée s’empare du pouvoir exercé désormais et jusqu’en 1974 par un comité militaire de libération nationale. Les institutions de la première République sont dissoutes. La Constitution est remplacée par l’ordonnance N°1 du 28 novembre 1968 portant organisation des pouvoirs publics en République du Mali.
Le 26 mars 1991, un conseil de réconciliation nationale renverse le régime de la deuxième République, arrête le président de la République, suspend toutes les institutions et dissout le parti unique.
Capacité de l’Etat malien
Le deuxième conférencier, M. Nangouman Sanou, professeur à la Faculté de droit public, a entretenu l’assistance sur “la capacité de l’Etat malien”. Selon M. Sanou, après les événements de mars 1991, les Maliens ont choisi le type de société, d’Etat qu’ils souhaitaient à savoir un Etat performant, efficace et responsable dont la construction passe par une politique de vérification des finances, une répartition juste des fruits de la croissance, une réduction drastique des inégalités sociales, un renforcement du 4ème pouvoir, une incitation des initiatives privées, la construction d’un Etat de droit, la participation active des citoyens à la prise des décisions et la recherche d’un consensus.
Après 20 ans de pratique démocratique, M. Sanou dresse un bilan plus que mitigé: déficit chronique de leadership de la classe politique, crise de la représentation, faible protection des droits et libertés des citoyens, les médias publics et privés qui ne jouent pas leur rôle d’aiguillon de l’Etat et du reste de la société, fossé qui s’élargit entre une minorité riche et une majorité qui s’appauvrit etc.
Fonctionnalité, capacité et crédibilité de l’Etat malien
Quant au Dr Yaya Gologo, il s’est fait le devoir de présenter “l’Etat au Mali: fonctionnalité, capacité et crédibilité”. Pour M. Gologo, parlant du cas typique du Mali, il ressort des perceptions collectées un phénomène patent, celui du rejet, sinon d’une certaine phobie de l’institution étatique. Ce qui, selon lui, se manifeste par un divorce fréquent et persistant entre les intérêts particuliers et ceux de la collectivité publique. Dans son exposé, le Dr Gologo décèle que “l’Etat malien, à travers ses modes d’intervention, ne semble pas être perçu comme le seul pouvoir souverain par l’écrasante majorité de la population”
D’après Dr Gologo, le fait que le pouvoir “fanga” et l’autorité “fangatigiya” viennent d’en haut et non d’en bas semble rendre la société malienne beaucoup plus consciente que les sociétés occidentales du rang de la hiérarchie.
La plénière qui a suivi les différents exposés a permis aux spécialistes et experts de  procéder à un échange enrichissant d’expériences.
Il faut préciser enfin que l’ouverture du débat-multi acteurs sur la fonctionnalité de l’Etat, ses rôles et responsabilités, l’identification des forces, faiblesses, défis et enjeux de l’exercice des fonctions de l’Etat, sont, entre autres, quelques objectifs de cette 9ème séance  du Forum sur la gouvernance dont les travaux ont été dirigés par Ousmane Oumarou Sidibé, Commissaire au développement institutionnel.
Diakaridia YOSSI

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