Parler d’Ali Farka Touré pour quelqu’un qui l’a côtoyé comme votre serviteur, tourne facilement à la répétition. Mais, comme le disent les pédagogues, «la répétition est pédagogique». Surtout si elle permet de faire découvrir une grande star, qui a fait la fierté de l’Afrique, à la génération de «clashers» «Yôyô».
Ali Ibrahim Touré dit Farka Touré (né le 31 octobre 1939 à Kanau et décédé le 7 mars 2006 à Bamako) demeure incontestablement l’une des plus importantes figures musicales d’Afrique voir du blues mondial avec ses trois Grammy Awards, dont un posthume et un second arrivé à Bamako la veille de ses obsèques en mars 2006.
«On ne cessera jamais d’être émerveillé par la profondeur artistique, esthétique et culturelle de la musique d’Ali Farka Touré. Sa musique est intemporelle, ses compositions fascinantes et son blues atypique», nous disait un ami Américain à qui nous venions d’offrir «In the Heart of the Moon» en fin 2014 à Atlanta (Etats unis). Ce jour, il était aux anges comme si nous lui avions offert un trésor qu’il n’envisageait jamais de posséder un jour.
Il est vrai que les compositions d’Ali brillent par cette constante volonté de prouver que l’Africain a du rythme dans le sang et que, comme il l’a toujours défendu de son vivant, «les racines du blues» sont en Afrique. Les autres se partagent le tronc, les branches et les feuilles. D’où l’originalité de son blues adulé dans le showbiz.
Et des sommités comme Martin Scorsese (réalisateur américain) lui ont donné raison en établissant une relation étroite entre les deux genres et considérant la musique d’Ali Farka comme étant «l’ADN du blues».
Un bel hommage à cette star au commerce agréable qui ne cessait de nous rappeler que, «l’Afrique est ma source d’inspiration, mon repère, mon bonheur». Et ce n’est pas de la démagogie parce que la musique d’Ali était universelle même s’il chantait fréquemment en songhaï, en peul, en bambara…
Et contrairement à de nombreux artistes africains, Ali Farka Touré n’a jamais cédé à la tentation de s’exile en Occident lorsque, dans les années 70-80, l’expansion de la world music a attiré nombre d’entre eux en Europe.
Bien au contraire, souligne un critique occidental, «ce musicien à la culture musicale impressionnante, respecté et vénéré dans le monde entier, était plus qu’aucun autre proche de sa terre, le Mali, Niafunké».
Et cela à tel point que, après avoir séduit la scène musicale internationale avec son blues enchanteur, il est revenu à ses racines pour non seulement contribuer au développement de Niafunké en se faisant élire maire, surtout avec la farouche volonté de contribuer à briser le cycle infernal de la famine dans cette zone par des investissements conséquents dans l’agriculture.
Les trois Grammy Awards qu’il a reçus, dont l’un d’eux posthumément, prouvent le succès international du «Bluesman paysan», notamment en Amérique du Nord où sa côte dépassait l’imaginable pour une «star africaine». Il est ainsi classé 71e par Rolling Stone et 37e par Spin dans leur liste des «100 Meilleurs guitaristes» de tous les temps.
Déjà neufs ans que cet artiste engagé, au franc-parler déroutant et au patriotisme contagieux, est parti rejoindre ses ancêtres. Mais, il est plus que jamais vivant. Il est plus que jamais omniprésent par ses œuvres anthologiques comme Talking Timbuktu, The River, The Source, Savane, In the Heart of the Moon, Niafunké avec des chansons remarquables qu’Amadraï, Diarabi, Allah Uya… !
Qui disait que les artistes, les vrais, ne meurent jamais !
Moussa Bolly
La saga des héritiers
Neufs ans après la mort du père spirituel, les héritiers portent le flambeau avec honneur.
C’est par exemple le cas d’Afel Bocoum qui, pendant plus de 30 ans, a eu le privilège et la difficile tâche de jouer aux côtés d’Ali Farka Touré, son oncle et mentor.
Lancé dans une carrière solo depuis 1999 avec la sortie du somptueux «Alkibar», Afel a renforcé sa notoriété internationale avec le concept «Désert blues» qui lui a permis de sillonner le monde, entre 2004 et 2005, avec d’autres stars comme Habib Koité.
En début 2006, le digne héritier confirme son talent «Niger», un opus qui rappelle aux bons souvenirs de «Talking Timbuktu». Comme son mentor, Afel Bocoum utilise la musique comme moyen de communication entre les groupes ethniques par un savant mélange des divers dialectes, des rythmes et traditions du pays.
Il n’a encore ni la notoriété ni l’aura de son illustre Papa. Mais, son jeu de guitare et sa voix nous console du décès d’Ali.
Le guitariste et chanteur Vieux Farka Touré est déjà annoncé par des critiques comme le futur «trésor du blues malien». Même s’il ne cesse de répéter, «je ne suis pas l’héritier d’Ali Farka Touré», Vieux sait pertinemment qui doit supporter cette comparaison et surtout se préparer (sur les plans psychologique et artistique) à porter pour toujours le lourd fardeau d’une légende bâti par non seulement le talent, mais aussi et surtout la persévérance.
La preuve, «le fils d’Ali Farka a remisé la guitare électrique et les toiles blues rock incandescentes pour laisser place à des textures acoustiques somptueuses», écrivait «Mondomix» (Le magazine des musiques et cultures dans le monde) en septembre 2013.
Certes, il est en train de se faire un nom. Mais, il est loin de pouvoir s’affranchir du nom qu’il porte : Vieux Farka ! D’ailleurs, ils sont nombreux les critiques qui pensent que, avec «Mon Pays» son 4e album sorti le 16 septembre 2013, qu’il reprend avec «sagesse le flambeau de son père, Ali Farka Touré». Et c’est loin d’être une flatteuse étiquette.
«En rebâtissant de ses mains le patrimoine de son pays ravagé par la guerre, Vieux Farka Touré signe le plus bel album de sa discographie», reconnaissait le magazine «Les Inrocks» de novembre 2013.
«Soul Bag» faisait de ce 4e opus «un grand album, à placer à côté des enregistrements d’Ali Farka Touré et Toumani Diabaté».
A rappeler que ce sont les Toumani Diabaté, Bassékou Kouyaté, Afel Bocoum… qui sont les vrais «maîtres» de Vieux parce que le regretté Ali ne voulait pas qu’il fasse de la musique à cause de son propre vécu.
«J’aime beaucoup explorer dans toutes les directions avec ma musique. Je pourrais aussi bien faire un album rock, jazz, traditionnel, ça revient au même pour moi. C’est de l’exploration. J’aime découvrir l’artiste que je suis en même temps que mon public, cette spontanéité est pour moi l’aspect le plus excitant de mon métier», déclarait Vieux Farka Touré dans une interview accordée à la presse française en septembre 2013.
Et il reconnaissait, «il y a bien sûr beaucoup de pression, quand on est le fils d’un grand homme comme Ali, de la part de ma famille, mais aussi de la part du Mali, pour que je perpétue la tradition familiale. Ça peut parfois être lourd, alors je m’évade dans la musique» ! Une facile évasion pour celui qui ne manque ni de sources d’inspiration ni de références artistiques.
L’élégant Samba Touré n’a pas de complexe à se reconnaître comme un «héritier» d’Ali Farka Touré. Son «Songhaï Blues» plaide en faveur. Pour un confrère, «son doigté, fidèle à la tradition de son maître, a fait de lui le digne successeur de ce style de blues songhaï».
Mais, précise ce dernier, «loin d’être une imitation, Samba a forgé son propre style, et son nouvel album à paraître internationalement au printemps 2011 est le témoin de l’évolution de son répertoire».
Entre les concerts avec Toumani Diabaté en 2010, Samba rentre régulièrement à Bamako où il a enregistré son nouvel album, «Yermakoye», paru au printemps 2011.
Avec un groupe plus restreint (guitare, ngoni, congas, calebasse, basse), cet album très travaillé de 14 titres est une formidable collection de rythmes et de couleurs variées, avec la participation d’Oumou Sangaré pour un titre dédié aux femmes maliennes ayant œuvré pour le développement du pays.
En 2010, ce grand sapeur a beaucoup voyagé avec Toumani Diabaté pour une tournée hommage à Ali Farka, «Ali Farka Touré Variation Tour».
Mais, la meilleure initiative pour perpétuer et pérenniser le fabuleux héritage d’Ali Ibrahim, c’est sans doute, «Ali Farka Touré Band». C’est une sorte de comeback de l’orchestre du regretté «Monsieur le Maire» Ali Farka Touré avec ses camarades de routes.
Il s’agit de ces musiciens qui, avec la star engagée, ont fait plusieurs fois le tour du monde et partagé la scène avec l’enfant de Niafunké.
Sous la baguette magique du maestro Barou Diallo et avec la complicité de la fondation Ali Farka Touré, le groupe a revisité le riche répertoire du triple Grammy Award.
C’était en février dernier à Ségou (Festival sur le Niger) et à l’Institut français de Bamako où ils étaient accompagnés d’invités très spéciaux comme Afel Bocoum, Vieux Farka Touré, Oumou Sangaré, Toumani Diabaté, Bassékou Kouyaté, Mama Sissoko.
«Ali Farka Touré Band» c’est Oumar Touré (congas et voix), Hamma Sankaré (calebasse et voix), Barou Diallo (guitare basse et voix), Mahamoudou Kelly (guitare et voix), Aly Magassa (guitare et voix) et Souleymane Kané (djembé et voix).
Des compagnons désormais déterminés à jouer leur partition dans la conservation de l’œuvre monumentale de la légende du blues, Ali Farka Touré !
RIP !
Moussa Bolly