Dans l’après midi du mardi, le calme régnait à Koulikoro ville située à 60 km au nord est de Bamako. Mais, tout portait à croire qu’il ne s’agissait que d’un calme précaire. Les élèves, désabusés, ne mâchaient pas leurs mots. «Ils l’ont fait sciemment, ils l’ont tué», nous disaient des élèves rencontrés dans la famille du défunt. Quelques heures auparavant, dans la matinée du mardi, le comité AEEM du lycée Dioba Diarra avait tenu une réunion d’urgence en présence des membres de la coordination nationale mais n’ont pas communiqué sur les conclusions.
Le sentiment de colère était le même dans la famille de la victime. «Le gouverneur a dit à la télé que c’est à l’issue d’une bousculade qu’il est décédé. Mais cela n’est pas vrai. Le projectile du gaz l’a atteint à la nuque. Du coup il n’a pas cessé de saigner par les narines», explique Aboubacar Coulibaly, le père de l’enfant, médusé quand nous l’avons rencontré chez lui. «Nous, nous sommes derrière les autorités, nous attendons de voir ce qu’elles décideront », ajoutera Youssouf Coulibaly, le père adoptif du regretté Arouna Coulibaly.
En fait nous a-t-on expliqué, c’est la bonbonne de gaz lacrymogène, tirée presque horizontalement, qui aurait fauché le jeune Arouna Coulibaly à la nuque. Transporté d’urgence à l’hôpital son décès sera constaté, suite à une hémorragie interne.
Dès l’annonce de l’accident, les autorités régionales se sont impliquées, le gouverneur de région, quelques temps après, a conduit une délégation à l’hôpital pour s’enquérir de l’état de santé du jeune élève. La même délégation a ensuite rendu visite à la famille pour exprimer ses regrets et présenter ses condoléances suite au décès de leur enfant..
Les obsèques d’Arouna Coulibaly ont eu lieu, dans l’après-midi du mardi 8 mars au domicile de ses parents au quartier plateau III de Koulikoro. Une délégation officielle de l’Etat conduite par le ministre de l’éducation, de l’alphabétisation et des langues nationales, Salikou Sanogo, a pris part à la cérémonie. Cette délégation comprenait outre des communicateurs traditionnels (griots) dont Ben Chérif Diabaté, les autorités administratives et sécuritaires de la région de Koulikoro.
L’académie d’enseignement de Koulikoro a offert un sac de 50 Kg de céréale et 100 000 F Cfa à la famille du défunt en guise de soutien. Le centre d’animation pédagogique a assuré le nécessaire des sacrifices de funérailles, le directeur de l’hôpital Gabriel Touré, Abdoulaye Nènè Coulibaly (natif de lKoulikoro), porteur d’un message de la première dame du Mali, a offert 100 000 F dont 50 000 F CFA de la part de Mme Touré Lobbo Traoré. Le gouvernorat et l’Assemblée régionale, réunis, ont offert 150 000 F à la famille pour la soutenir face à l’épreuve
Une question de route d’accès à l’école ! C’est au nom de l’Etat que Ben Chérif Diabaté a présenté les condoléances à la famille, en tant que porteur d’un message du président de la République. Mais ce message du Président ATT ne sera pas suivi par la majorité des jeunes qui n’étaient pas d’humeur à prêter oreille. « Qu’il aille au diable, nous n’avons que faire », disent certains, avant de quitter les lieux. Effet boule de neige, des jeunes en groupe ont spontanément quitté les lieux.
«Rien ne peut remplacer la vie d’une personne. Il est préférable de régler la cause pour laquelle il est mort, c’est-à-dire réparer la route», a soutenu un étudiant de l’Université de Bamako qui a pris part aux obsèques à Koulikoro. Sur le lieu des funérailles, nous avons approché le gouverneur de Koulikoro, Soungalo Bouaré pour en savoir davantage sur les circonstances du drame. Il nous a indiqué que la situation ne se prêtait pas à une telle explication.
En fait, la ville était en ébullition, le lundi 7 mars, à la faveur d’une marche de protestation des élèves qui revendiquaient la réparation de la route d’accès au Lycée Dioba Diarra de Koulikoro, situé au nord de la ville. Une route de 3 à 5 Km fort délabrée. Depuis quelques mois, les élèves en réclamaient la réparation pour permettre une meilleure circulation. Selon des témoignages, les lycéens ont d’abord exprimé leur ras-le-bol, seuls, avant d’y associer les élèves des écoles fondamentales. «C’était la troisième marche de l’ensemble des écoles», a indiqué un camarade de classe (9ème année) d’Arouna Coulibaly. La marche a donc été violemment réprimée par les forces de l’ordre occasionnant un accident mortel et de nombreux blessés.
Seydou Coulibaly
Envoyé spécial à Koulikoro
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Aboubacar Coulibaly, père de Arouna : «Ils ont tué mon fils»
Aucune parole ne peut réveiller mon enfant. Il m’a respecté comme père et je l’ai toujours admiré comme enfant. Sa mère et moi nous avons divorcé dès son bas âge. Je l’ai confié à mon grand frère dès son inscription à l’école. Je sais qu’aucune enquête ne peut aboutir à la manifestation de la vérité. Donc je m’en remets à Dieu. Le sang ne cessait de couler par ses narines. La bombonne de gaz l’a atteint à la nuque. Ils ont tué mon fils.
Le gouverneur a dit à la télé que c’est à l’issue d’une bousculade qu’il est décédé. Mais ça ce n’est pas vrai. Et il ne faisait que saigner par les narines, même au moment de son lavage. Des membres de l’Aeem m’ont dit que je pouvais porter plainte. Un d’entre eux m’a dit que tout s’est passé devant lui, qu’il a participé à son évacuation à l’hôpital. Mais je ne porterai pas plainte. Je m’en remets à Dieu. Ce qu’ils ont fait comme don ne peut pas remplacer mon enfant. L’enfant en vie pouvait plus me servir. Il m’assistait les dimanches au travail et pouvait me donner 100 F. Ce 100 F m’intéresse plus que le million des autorités. Je suis tailleur et cet enfant m’a beaucoup aidé. Dieu les payera.
Propos recueillis par S. C
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