A force de « dribbler » le peuple du M5-RFP acquis au changement, la junte a fini par se dribbler elle-même. Sa Charte traficotée sur les hauteurs de Kati et qui suffoque par manque d’oxygénation démocratique, ne cesse d’étaler au fur et à mesure de sa mise en œuvre, les tares de ses bricolages rafistolages. Le Conseil National de Transition (CNT) est victime du flou et de l’illégitimité manifeste de son mode de représentation.
L’on se rappelle le hold up de la présidence de la Transition dont le choix imposé par la junte n’avait été possible que grâce à la complaisance de l’article 4 de la Charte qui dispose que « le Président est choisi par un collège de désignation mis en place par le Comité National pour le Salut du Peuple ». Le black-out total de la Charte aussi bien sur la composition de ce collège de désignation, que sur la manière dont un tel choix est opéré, avait donné carte blanche à la junte qui a tout simplement fait acter par des figurants triés sur le volet, son candidat présidentiel Bah N’DAW. Comparé à l’opacité caractéristique de cette procédure de désignation du Président de la Transition, l’article 13 de la Charte fait presque office de maison de verre. Non sans flou artistique tout de même !
Un bric-à-brac d’institutions hétéroclites
L’article 13 de la Charte entretient en effet un flou comme la manifestation de l’Objet Institutionnel Non Identifiable (OINI) que constitue le CNT. En tant qu’organe législatif de la Transition, le CNT est composé d’organisations hétéroclites pour la plupart sans véritable identité institutionnelle ni légitimité. Il totalise 121 membres. Ses composantes telles qu’énumérées à l’article 13 de la Charte de la Transition sont les suivantes : Forces de Défense et de Sécurité ; représentants du Mouvement du M5-RFP ; partis et regroupements politiques ; organisations de la société civile ; centrales syndicales ; syndicats libres et autonomes ; organisations de défense des Droits de l’Homme ; ordres professionnels ; Maliens établis à l’extérieur ; Mouvements signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger ; Mouvements de l’inclusivité ; groupements de femmes ; groupements de jeunes ; groupements des personnes vivant avec un handicap ; confessions religieuses ; autorités traditionnelles et coutumières ; chambres consulaires ; faitières de la presse ; faitières des arts ; faitières de la culture. Ce qui fait un total de 20 institutions et organisations. Le CNT faisant office d’organe législatif de la nation, quel est le degré de légitimité de ces nombreuses organisations qui le compose et qui sont pour la plupart sans envergure nationale ? En quoi ces organisations dont l’audience de la plupart ne tient qu’à leur petite élite dirigeante qui ne représente qu’elle-même, peuvent-elles prétendre à la représentation de la nation malienne ? Quelle peut être la légitimité d’un CNT qui n’impliquerait pas la nation malienne dans sa diversité au-delà du microcosme bamakois ? Comment va-t-on très concrètement organiser le processus de désignation de leurs représentants au CNT par ces structures hétéroclites ?
Vers l’installation d’un organe législatif sans légitimité nationale
Cette batterie de questions n’épuise d’ailleurs pas la panoplie de flou et d’illégitimité qui entache le mode de représentation au sein du CNT.
Le 3ème alinéa de l’article 13 de la Charte est assez révélateur de ces carences : « Un acte fixe la clé de répartition entre les composantes du Conseil National de Transition ».
De quel acte s’agit-il ? Qui en est l’auteur ? Cet anachronique de l’alinéa 3 relève-t-il de la carence rédactionnelle ou de la malice politicienne ? Toujours est-il qu’il ne peut que profiter au CNSP qui refuse toujours de se saborder et qui continue de pêcher en eau trouble. Du reste, l’article 26 de la Charte semble sinon lui en donner les moyens juridiques, du moins le prétexte en disposant que « jusqu’à la mise en place des organes de Transition, le Comité national pour le Salut du Peuple (CNSP) prend les mesures nécessaires au fonctionnement des pouvoirs publics, à la vie de la Nation, à la protection des citoyens et à la sauvegarde des libertés » ?
La Charte ne dit mot ni des quotas représentatifs des entités hétéroclites énumérées à l’article 13, ni de la nature précise ou de l’auteur de l’acte censé fixer la clé de répartition entre les composantes du Conseil National de Transition.
Toute modification de la liste des organisations citées à l’article 13 exigerait une révision de la charte !
La trop grande marge de manœuvre qui en découle au profit exclusif de la junte est évidente. Cette marge n’est toutefois pas sans limite. Au moment où des voix s’élèvent pour dénoncer l’illégitimité de ce mode biaisé de représentation au sein du CNT, allant parfois jusqu’à supplier la junte de le modifier, il est nécessaire de renvoyer les uns et les autres à ce que la Charte elle-même dit à ce propos en son article 21. L’article 21 de la Charte relatif à la modification de ses dispositions stipule : « L’initiative de la révision de la présente Charte appartient concurremment au Président de la Transition et au tiers (1/3) des membres du Conseil national de Transition. Le projet ou la proposition de révision est adopté à la majorité des 4/5ème des membres du Conseil national de Transition ». On aura remarqué, comme cela ressort de cet article, que la Charte ne prévoit aucune possibilité de modification de ses dispositions avant que le CNT ne soit installé et fonctionnel, à l’instar du Président de Transition nommé et investi. Ce qui signifie que jusqu’à l’installation et la fonctionnalité du CNT, nul n’a le pouvoir, y compris la junte ou n’importe quelle autorité de la Transition, de modifier ne serait-ce qu’une virgule, des dispositions de la Charte publiée et promulguée.
Dr Brahima FOMBA Enseignant-Chercheur
Université des Sciences Juridiques
et Politiques de Bamako (USJPB)
Le “flou juridique” et les “objet institutionnels non identifiés” juridiquement sont consubstantiels à toute période d’état d’exception.
On a connu le même phénomène décrit par docteur Fomba dès la proclamation par Modibo Keita de la République du Mali à l’occasion de la dislocation de la fédération du Mali, ainsi qu’après le Coup d’État de Moussa Traoré en 1968, puis celui d’ATT en 1991 et d’Amadou Haya Sanogo en 2012.
Il n’y a rien de véritablement nouveau juridiquement en ce moment au Mali concernant le caractère flou des textes élaborés. Beaucoup de choses se faisant dans la hâte et la précipitation.
“Vu les nécessités d’État” (formule qu’on retrouve au Mali très tôt, par exemple dans l’Ordonnance du 24 novembre 1960 adoptée sous Modibo Keita, à la suite de l’échec de la Fédération du Mali, relative à la nationalité malienne, JO du 15 décembre 1960), il faut tolérer une certaine dose de bricolage juridique et institutionnel, et rester constructif comme juriste pour aider à faire avancer les nouvelles autorités et le Mali.
Les analyses du docteur Fomba sont très pertinentes et toujours utiles. Elles sont parfois elles aussi critiquables, comme dans le présent article qu’il commence par la formule, selon moi incorrecte, “le peuple du M5-RFP”.
Je ne connais pas de peuple au Mali autre que “le peuple malien”.
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