Pas de remise en cause des contrats établis, mais une analyse fine de la situation actuelle d’un secteur stratégique pour l’économie malienne. Telle est la substance d’un entretien que nous a accordé la semaine dernière le ministre de l’Industrie et des Mines. Le Dr Boubou Cissé y a analysé les enjeux et les défis du secteur minier, tout en démentant les allégations selon lesquelles le gouvernement envisagerait de remettre en cause certains contrats miniers. Il en a profité pour faire le point de l’apport des mines dans l’économie nationale et pour expliquer en quoi consistera la pratique de la transparence dans le secteur.
Au cours de ces dix dernières années, les mines ont constitué le principal pourvoyeur de l’économie nationale avec plus 71% de la valeur des exportations et plus de 11% du produit intérieur brut (PIB). Ce dynamisme a été soutenu par une politique ambitieuse de promotion qui a vu la relecture du Code minier pour mieux adapter le texte au contexte économique mondial, l’instauration des Journées minières et pétrolières, la participation de notre pays à des rencontres internationales en Afrique du sud, en Australie ou en Allemagne pour mieux vendre le sous-sol malien.
Selon le Dr Boubou Cissé, les gouvernements successifs ont œuvré pour rendre le secteur attractif. Leurs efforts ont été récompensés par l’ouverture d’une dizaine d’unités industrielles d’envergure mondiale dont les plus importantes sont Morila, Yatela, Yaléa, Somilo, Gounkoto, Sadiola, Syama, Kalana. A côté des gros consortiums étrangers, se développent des initiatives dites « nationales », dont la plus importante est la mine d’or de Kodiéran, exploitée par Wassoul’or, une société à capitaux maliens. Sur le plan de la recherche minière, se distinguent des entreprises juniors comme New Gold, African Gold Group, Accord-SA, Robex, Gold Field, et Mahina Mine. Toutes ces sociétés minières détiennent des permis de recherche ou d’exploration.
GRACE AUX ACTIVITES INFORMELLES CONNEXES – Pour le Dr Boubou Cissé, il n’y aura pas de remise en cause systématique de ce qui a convenu jusque là entre l’Etat et ses partenaires miniers nationaux ou internationaux. Selon lui, les propos qu’il a récemment tenus sur les accords miniers passés avec l’Etat du Mali et rapportés par certains médias de la place ont été sortis de leur contexte. Mais il n’en demeure pas moins que le changement qu’incarne le nouveau gouvernement est fondé sur la volonté du président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, d’imprimer une nouvelle dynamique au développement socioéconomique dans notre pays.
Il faut savoir que notre pays produit annuellement environ 50 tonnes d’or. Le secteur, à lui seul, injecte dans l’économie nationale près de 1000 milliards de Fcfa par an sous forme de dividendes, de taxes, d’impôts et de masses salariales. S’y ajoutent les actions en faveur du développement communautaire à travers la construction de salles de classe, de cliniques et de dispensaires, d’ouvrages hydrauliques, d’infrastructures de communication et autres activités sociales.
Par ailleurs, l’exploitation artisanale n’est pas à négliger. Avec une production de plus de 5 tonnes par an, l’orpaillage offre d’importantes opportunités d’emploi aux populations riveraines des placers où, selon les statistiques, plus de 4 millions d’individus travailleraient dans ces zones minières. L’argent rapporté par cette activité artisanale avoisinerait plusieurs milliards de Fcfa grâce l’achat et à la vente des produits d’extraction, mais aussi et surtout grâce aux activités informelles connexes qui se créent autour des placers.
Outre le métal jaune le sous-sol malien renferme de la bauxite, du manganèse, du kaolin, du fer, du titane, du tantale, du zinc, de l’étain, du cuivre, du diamant. Ces minerais font l’objet d’intenses recherches tout comme le pétrole et le gaz. Cette politique de diversification de l’exploitation des ressources minières constitue l’un des axes majeurs de la nouvelle politique minière du pays. Il s’agira aussi d’ouvrir davantage ce secteur à un plus grand nombre d’intervenants intéressés en rendant plus accessibles et plus transparentes les informations minières.
Le manque d’information et de transparence du secteur avait fini par agacer nos compatriotes pour qui « l’or malien ne brillerait pas pour les Maliens ». Le ministre sans partager cette analyse dit pouvoir comprendre la formule. Non pas parce que les retombées de l’industrie extractive n’atteignent pas nos compatriotes. Mais parce que les gens mesurent mal le degré d’implication des nationaux dans le circuit de production. De fait, notre pays manque encore de ressources humaines qualifiées. Dans la nouvelle politique minière l’accent sera mis sur la formation. Le projet de l’Ecole des mines qui est en cours devrait ce qui constitue une importante lacune.
Il s’agira concrètement de recenser tout ce qui a été fait durant les cinq dernières années en termes de production aurifère, et de commercialisation de l’or.
Toutes les statistiques sur les entreprises minières, les travaux de recherche et d’exploitation effectués aussi bien dans le secteur minier que pétrolier, seront passés au crible. La mise en œuvre de cette politique permettra de gagner la confiance des partenaires, mais aussi et surtout celle des opérateurs et autres investisseurs miniers qui sont les premiers à se plaindre de leur faible visibilité, a indiqué le ministre. Selon le Dr Boubou Cissé, la nouvelle vision du gouvernement pour le secteur minier sera fondée sur un partenariat légal et règlementaire avec les investisseurs.
Par ailleurs, le ministre pense qu’il faut aller vers une transformation des ressources minières sur place. Il reconnaît toutefois que cette évolution n’est pas simple à réaliser. Un autre des objectifs du gouvernement est de renforcer le mécanisme de transparence. L’un des outils de cette politique est l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) à laquelle s’ajoute la mise en œuvre du processus d’adhésion de notre pays au Processus de Kimberly. Un bureau d’expertise, d’évaluation et de certification de diamant brut (BECDB) a été créé pour permettre au Mali de faire son entrée dans le gotha des pays producteurs et exportateurs de pierres précieuses.
Autre point important, si l’on veut capter le maximum de valeurs ajoutées et faire profiter au maximum nos compatriotes des revenus du sous-sol, il faut s’intéresser aux activités connexes et voir dans quelle mesure on peut créer les industries de sous-traitance avec les compétences locales, a expliqué le Dr Cissé. Comme on le voit donc, les défis sont nombreux. Mais pas pressants au point que l’on se laisse aller à une sorte de fétichisme de temps, a insisté le ministre, pour qui le changement dont nous avons besoin ne se produira pas immédiatement. Il faut l’imaginer plutôt sur le long terme, si on le veut décisif.
L. DIARRA