Vendues contre leur gré, des migrantes ont réussi à s’échapper des griffes des réseaux criminels de proxénétisme. Désormais libres, ces survivantes livrent des témoignages poignants de leur traversée du désert.
Le Bureau de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) au Mali a eu à traiter en 2017, 260 cas de jeunes filles victimes d’exploitation sexuelle dont 238 originaires du Nigéria. En 2018, l’Organisation a assisté 188 femmes victimes de traite. Une aide qui s’est élargie à plus de 500 femmes en 2019. L’intervention de l’OIM, explique un agent de son l’Unité de Protection, consiste à fournir à ces femmes et filles un abri, de la nourriture, des vêtements, des soins médicaux et psychosociaux sans oublier le retour dans leurs pays pour celles qui souhaitent.
De janvier à août 2020, les centres d’hébergement de l’Association Jeunesse et Développement du Mali (AJDM), une association très active dans le domaine de la Protection des enfants vulnérables (filles migrantes, vendeuses ambulantes et aides ménagères) ont accueilli 1.104 femmes victimes d’exploitation sexuelle. D’après Soumah Doumbia, responsable à l’AJDM, ces femmes viennent de la Centrafrique, de la Sierre Leone, du Libéria, du Cameroun, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée Conakry, de la Gambie et du Nigeria.
Face à ce fléau, l’association War Against Human Traffinking (WATH) s’active. Spécialisée dans la lutte contre le trafic des humains, elle intervient exclusivement lorsqu’il s’agit de migrantes victimes de trafic, notamment celles enrôlées par les réseaux de proxénétisme.
Le dernier départ organisé par WATH a eu lieu le 9 octobre dernier et concerne 3 jeunes filles nigérianes rapatriées par voie terrestre. «Le départ est volontaire» fait savoir le Président de WATH en reconnaissant un ralentissement dans les activités notamment le retour des victimes vers leurs pays du fait de la Covid 19. Le dénominateur commun de toutes ces jeunes filles est qu’elles ont tirées des griffes des individus qui les obligeaient à se vendre.
Tout comme les 64 migrantes victimes de traite et de trafic d’être humain secourues par le Bureau national de l’Interpol du Mali sur plusieurs sites miniers et des domiciles. C’était du 3 au 11 octobre 2019. Cette opération a été baptisée «Horonya» qui signifie en langue nationale (bambara, Ndlr) « Liberté ». Selon un communiqué de presse publié par le Siège de l’Interpol basé à Lyon, en France, « des femmes et des filles ont été délivrées de l’exploitation sexuelle et du travail forcé dans le secteur minier ».
Ayant participé à cette opération en qualité de chef de la recherche de la Brigade chargée de la protection de l’enfance et des mœurs, le commandant de police Souleymane Niampougui nous a raconté le cas d’un couple burkinabé proxénète, propriétaire d’un bar sur un site d’orpaillage dans le cercle de Kangaba vers la frontière guinéenne. Piégées par ce couple, trois filles burkinabés leur devait chacune la somme d’un million de FCFA. Au moment de l’opération d’arrestation des proxénètes, explique l’officier de police judiciaire, la première fille avait déjà payé 800. 000 FCFA, la deuxième 550. 000 FCFA et la troisième 625. 000 FCFA.
Vendues contre leur gré, les migrantes sont de plus en plus nombreuses à s’échapper des griffes des réseaux criminels de proxénétisme. Ces survivantes donnent des témoignages poignants sur leur traversée du désert.
La promesse de Precious d’obtenir un emploi bien rémunéré au Mali en quittant son Nigéria natal s’est transformée en exploitation sexuelle. Elle a été contrainte de se livrer aux hommes pendant un an, dans des hôtels. Arrêtée par une patrouille de la police malienne, elle appela en vain sa patronne qui refusa de venir à son secours. Après quelques heures de garde à vue, elle a été hébergée à l’AJDM dans le cadre d’un partenariat avec l’OIM qui a organisé son retour au pays.
Agée de 17 ans, Esther a mordu à l’hameçon d’un homme qui l’a convaincu d’abandonner son travail de coiffeuse au Nigéria pour un meilleur job à Bamako. Sur place, elle découvre la supercherie. La mineure doit se prostituer au compte d’un homme. Déterminée à retrouver sa dignité, elle parvient à s’échapper avec d’autres filles. «Je voudrais retourner à l’école et commencer de nouveaux projets au Nigeria», déclare-t-elle.
«N’essayez pas le voyage que j’ai effectué»
Patience a accepté les offres d’un recruteur qui se faisait appeler Joy. Elle va alors transiter par Cotonou, au Bénin, en compagnie de 6 autres filles avant de rejoindre Kokoyo, un site aurifère situé dans la région de Kayes, au nord-ouest du pays. Selon les explications du proxénète, les mineures, dont Patience, devaient aller à Dubaï pour un «emploi de rêve ». A leur arrivée, elles découvrent qu’elles vont devoir se prostituer.
Au bout de cinq (5) jours de travail, Patience parviendra à s’échapper en compagnie de trois autres filles, la peur au ventre. «Si Madame connaît notre plan d’évasion, elle nous tuera probablement» souligne-elle avant d’y parvenir. Dans leur fuite, ces jeunes migrantes ont reçu le précieux appui d’une association villageoise appelée «Tomboloma» qui assure la police sur des sites d’orpaillage.
Après avoir erré à Bamako, la capitale malienne, les quatre filles vont retrouver l’Ambassade du Nigéria où elles seront prises en charge par l’OIM. Très contente d’avoir aujourd’hui retrouver son honneur et sa dignité, Patience conseille ses sœurs qui veulent tenter l’aventure : «Mon conseil pour les filles est qu’il n’y a pas de meilleur endroit comme la maison. N’essayez pas le voyage que j’ai effectué. J’ai été exploitée par des gens. Ils m’ont forcée à faire des choses que je n’aime pas. Heureusement, je suis de retour à la maison en sécurité».
«Le plus important est que je sois toujours vivante»
Agée de 18 ans, Micha, étudiante dans une école de danse, a cru en une promesse d’un emploi rémunéré à 400. 000 FCFA par mois. Séduite par un tel salaire mensuel, cette orpheline de mère, abandonnée par son père, n’a pas hésité à quitter sa sœur et sa grand’mère. Elle a quitté Lagos pour transiter par Cotonou. Micha a croisé le chemin de Loveth, une de ses compatriotes. Les deux filles vont alors recevoir une forte somme d’argent destinée à faciliter leur voyage de la part de leur patronne.
Micha et Loveth continuent leur périple jusqu’à Kéniéba, une zone aurifère de la région de Kayes où elles seront remises à une femme, gérante de bar. Surprise ! Leur tutrice dévoile les dessous de leur voyage. En lieu et place d’un emploi bien rémunéré, elles doivent faire la prostitution pour payer la bagatelle de 2 millions FCFA à celle que tout le monde appelle ‘’Madame’’. Les jeunes filles refusent de céder. Elles sont alors enfermées pendant presque une semaine, subissant des brimades et autres privations, y compris de nourritures. Forcées ensuite de se prostituer avec une obligation de résultats, chacune doit faire une recette journalière d’au moins 20. 000 FCFA.
Dans ce cycle de prostitution, Loveth tombe enceinte. Sa patronne décide qu’elle avorte et fixe la date. Avant le jour J, Loveth et son amie s’échappent pour venir à Bamako et se cachent dans un endroit sûr dans la ville minière pour ne pas être rattrapées par les hommes de «Madame» lancés à leurs trousses. Après tant de difficultés, elles sont recueillies par le Consulat du Nigeria et prises en charge par l’OIM. Avec courage, elles racontent leurs histoires. «Je vis une vie libre depuis que l’ambassade du Nigéria m’a amenée dans ce centre. Je suis tellement reconnaissante aujourd’hui pour l’aide et l’assistance que j’ai reçues ! Le plus important est que je sois toujours vivante. J’espère rentrer très bientôt chez moi, et j’aimerais empêcher d’autres filles d’aller en aventure dans un pays inconnu, sans repère. Je veux retourner à l’école, mais je veux commencer par une entreprise», confie Micha aux agents de l’Unité de protection de l’OIM.
«Je ne suis pas prête à exercer ce métier»
Ogome Bella a été sollicitée par un jeune homme du nom de N’Galama pour un travail au Mali. Elle effectue le voyage avec sa copine du nom de Junior. Le nommé N’Galama confie alors les deux filles à une autre personne Omo Yoroba qui les conduit à Diboli, une ville malienne frontalière avec le Sénégal. «Après les salutations et présentations, Omo Yoroba a remis nos documents de voyage à notre logeuse. Au cours de nos échanges, la dame Fina nous a fait savoir que nous sommes venues dans le cadre de la prostitution et que nous devrons chacune payer la somme d’un million cinq cent milles francs (1 500 000 FCFA) », raconte la pauvre Ogome. Elle ajoute : «Ne pouvant rien faire, j’ai accepté et j’ai commencé à travailler le même jour».
Après trois mois à Diboli, elle est transférée à Kayes pour être confiée à Sofia. «Trois mois après, Fina suite au décès de sa mère, en partant au Nigéria, m’a amenée à Kayes chez Sofia à qui, je devrais continuer à verser régulièrement son argent jusqu’à épuisement du montant. Dès lors, je suis logée chez Sofia et chaque soir, je vais à l’auberge Tounka pour mener mes activités comme les autres filles nigérianes. Mes documents de voyage se trouvent avec la patronne Fina qui est actuellement au Nigéria. Je veux seulement mes documents de voyage et mon transport pour retourner au Nigéria car je ne suis pas prête à exercer ce métier », confie Ogome au Commissariat de Police du 1er arrondissement de Kayes.
De toutes celles-ci, le cas de Mimido est le plus préoccupant. Elle a été vendue à une dame par un homme du nom d’Akimi sans autre précision de sa part. Pendant un an, elle s’est prostituée sur un site d’orpaillage à Farako au sud du Mali et reversait l’argent à sa patronne. Laquelle n’hésitera pas à l’abandonner quand elle tomba malade. Complètement défigurée aujourd’hui, Mimido suit un traitement grâce à l’association WATH qui a, par ailleurs, lancé une procédure de recherche pour parvenir à l’arrestation de son ancienne patronne. Quand elle manipule son téléphone pour nous montrer quelques photos avant son voyage au Mali, la jeune dame, ravagée par la tristesse et la déception, ne peut s’empêcher de verser des larmes.
«Nous récupérons les filles dans un état mental lamentable», explique Amara Cissé. Le responsable de WATH déplore également les cas de grossesses non désirées : «Au cours de cette année, quatre filles ont accouché dans notre centre…. elles tombent enceinte sans se rendre compte. On a des bébés qui grandissent ici ».
Ancien responsable de la Communication et de Plaidoyer d’Aracem (Association des refoulés d’Afrique centrale au Mali), Pierre Yossa est actuellement consultant en migration et Président du Groupe de recherche et d’actions sur les migrations (GRAM, Ndlr).
Sur 10 filles victimes d’exploitation sexuelle, neuf (9) présentent des signes de traumatisme, selon Pierre Yossa. «Même s’ils ne sont pas visibles, ces signes peuvent se révéler dans quelques années», indique-t-il. Les enfants constituent des victimes collatérales, a fait savoir le consultant en migration. A l’en croire, ces filles n’ont qu’un seul souhait : retrouver une vie normale.
Chiaka Doumbia
Source : Le Challenger
Encadré : la miraculée Morgan
Morgan S. est une miraculée qui a réussi à s’échapper des griffes des proxénètes qui voulaient la contraindre à la prostitution au Mali. Elle a été prise en charge par l’OIM-Mali à travers son Unité de Protection.
Agée de 30 ans, elle est de nationalité nigériane. Morgan S était à la recherche d’une meilleure condition de vie quand elle est approchée par une dame qui accepte de financer son voyage sur Bamako pour travailler dans un salon de beauté avec un salaire mensuel variant entre 300 000 et 400 000 FCFA.
A sa grande surprise, elle ne s’arrête pas à Bamako. Car, dans la capitale, elles prennent la direction de Kayes en compagnie de 3 autres filles et d’un homme. Déboussolée, elle pose la question à son accompagnateur : « Pourquoi on ne reste pas à Bamako ? » L’homme lui répond : « ma mission est de vous escorter à Kayes».
A ce moment précis, la déception apparut sur le visage de celle qui rêvait de bosser dans un salon de beauté dans la ville des trois caïmans. Cette déception sera encore plus grande lorsqu’elle sera déposée dans un petit bâtiment isolé sur un site d’orpaillage artisanal. Là se trouvaient d’autres jeunes filles. Elle donne des détails : «Une dame nous a accueillies et nous a expliqué à chacune qu’on devait se prostituer pour rembourser les frais de voyage (1. 200. 000 FCFA) qu’elle avait déboursés pour nous transporter au Mali. J’ai immédiatement décliné l’offre et 3 personnes m’ont frappée à coups de fouet. Les autres filles avaient trop peur et ont accepté la proposition de la dame. J’ai répondu que j’avais ma dignité à respecter. Elle a alors confisqué mon passeport et ne me donnait ni à boire ni à manger. Quelques filles m’aidaient à me nourrir. Grâce à cette solidarité, j’ai pu reprendre des forces et j’ai décidé de quitter les lieux».
Morgan S a bravé les menaces de la proxénète en prenant la fuite. Dans sa fuite, elle a été recueillie par un cultivateur qui accepta de l’héberger. Elle y passa un mois à aider les femmes dans leurs travaux ménagers avant de rejoindre la capitale malienne. Très attachée à la religion, elle souligne : « Je suis une femme et c’est au plus profond de mon désespoir et de ma peine que j’ai pu trouver la force pour m’extirper de cette situation et dire non à la prostitution. Je n’accepterai jamais en tant que femme que mon corps soit exploité au profit d’autrui et à des fins commerciales».
Ses conseils aux parents et aux jeunes filles : «Chères mères et sœurs, ne laissez pas vos enfants sortir ou fréquenter des inconnus. Pensez à mettre l’accent sur leur éducation. Ne soyez pas tentés de donner vos enfants à des employeurs mal intentionnés sous le prétexte de la pauvreté, elles seront exposées à plusieurs types de dangers. Gardez vos enfants auprès de vous et protégez-les, mettez tout en œuvre pour garantir leur croissance dans un environnement sain et sécurisé».
C D
Note de la rédaction
Cet article est la deuxième partie d’une vaste enquête sur les réseaux de prostitution de femmes migrantes au Mali, réalisée dans le cadre du projet «Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication ». Mis en œuvre par l’UNESCO dans huit pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée-Conakry, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Sénégal), ce projet est financé par le ministère italien des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale (MAECI) et l’Agence italienne pour la coopération au développement (AICS). Il vise à donner aux jeunes garçons et filles les moyens de prendre des décisions éclairées sur les questions migratoires grâce à un meilleur accès à une information de qualité. En conséquence, le projet contribue à renforcer la capacité des professionnels des médias de la sous-région à rendre compte de la migration tout en promouvant des normes et bonnes pratiques en matière de droits de l’homme et des approches sexospécifiques et inclusives en matière de couverture de la migration dans les pays ciblés.
L’enquête est l’aboutissement d’un parcours de formation sur les techniques de journalisme d’investigation en lien avec la migration, qui a bénéficié à plus d’une centaine de journalistes, et d’un appui au travail de terrain. Cette initiative rentre par ailleurs dans le cadre du «Plan d’Action des Nations-Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité », mis en œuvre par l’UNESCO.