Les violences conjugales sont devenues un phénomène récurrent au Mali et, depuis quelques années, les meurtres de conjointes, appelés ici « féminicides » sont monnaie courante. La question que tout le monde se pose ensuite est : le déclic fatal était-il prévisible ?
Juste au bord du goudron, assis à l’ombre d’un arbre, des hommes sont regroupés autour d’une table. Ils jouent aux cartes. Tout proche, un monsieur au regard avenant discute avec ce qui semble des amis à lui. Il répond à nos salutations et nous entrons avec lui dans sa concession.
Ce chef de famille, c’est le père de Fanta Sékou Fofana, cette jeune standardiste à la Présidence de la République âgée de 27 ans qui est morte tuée par son mari, qui l’avait épousée religieusement, à la Base militaire de Bamako.
Dans la grande cour bien entretenue, sous une véranda, des femmes sont assises. Elles discutent, rient et échangent avec une vendeuse de pagnes, car la fête de fin du Ramadan est pour bientôt. Parmi ces femmes, il y a une qui attire vraiment notre regard. Les mêmes yeux, le même nez, le même teint, elle est juste un peu plus ronde que Fanta Sékou Fofana. Ce regard donne le frisson, car on a l’impression de se retrouver nez-à nez avec la jeune dame dont la photo a fait la Une des médias. Ce qui nous ramène à la raison de notre présence dans la famille Fofana.
Lorsque nous nous présentons, cela semble raviver la douleur, qui s’exprime sur tous les visages autour de nous. Puis on nous installe poliment pour aller informer la mère de Fanta, qui a parlé aux médias nationaux et internationaux les jours suivant le meurtre de sa fille pour réclamer justice et crier sa souffrance et son incompréhension.
Madame Fofana Fanta Souko, conseillère municipale, vient vers nous. Après les salutations d’usage et avec le sourire, elle s’excuse de ne plus vouloir intervenir dans un média. « Pour certaines raisons, j’ai décidé de ne plus intervenir au sujet de Fanta. J’ai donné des interviews sur des chaînes internationales et des proches m’ont appelée. Je reviens de la Mecque et je préfère désormais ne plus en parler ». Nous respecterons cette décision.
Le pire aurait-il pu être évité ? Fanta Sékou Fofana s’était-elle déjà plainte du comportement violent de son conjoint ? N’y avait-il pas eu de signaux d’alarme ?
Le pire n’est jamais envisagé
Selon des proches du couple, Namory Cissé et Fanta Sékou Fofana se sont connus sur leur lieu commun de travail, c’est-à-dire à la Présidence de la République. La dame est standardiste et l’homme travaille aux cuisines, où il occupe un poste de cadre. Quelques mois après, ils se marient selon la coutume musulmane.
Fanta, la victime, avait loué un appartement à Sébénikoro et, lorsqu’ils se sont mariés, Namory Cissé, qui a une première épouse, passe certaines nuits chez sa nouvelle femme. L’homme, âgé d’une quarantaine d’année, est décrit par nos sources comme « arrogant, imbu de sa personne et possessif ».
Le couple connaissaient des difficultés, les disputes violentes et les signes extérieurs d’un malaise était connus des proches de la victime. Cette dernière voulait d’ailleurs se séparer de son conjoint. « Il la fatiguait beaucoup, elle ne voulait plus de ce mariage », affirme un de ses proches de la victime. Selon un autre témoignage, elle était parfois l’ombre d’elle-même, car son conjoint, très jaloux, « lui mettait la pression ».
Pourquoi donc n’a-t-elle pas fui avant le soir fatidique où Namory Cissé l’a tuée dans une crise de jalousie ? Aux dires d’une proche de la victime, Fanta, surnommée Jolie, en a été dissuadée par certains de ses oncles, au prétexte qu’elle avait déjà vécu l’échec de premières fiançailles. Selon une autre source, « elle était dominée par lui à cause de leur grand écart d’âge ». La véritable raison ne sera jamais connue, et pour cause, Fanta Sékou n’ayant pu éviter que le pire ne se produise. Conclusion des proches : même face aux prémices d’un drame on pense toujours que le futur meurtrier n’ira pas jusque-là.
Un engrenage infernal C’est aussi probablement ce qu’avait cru Mariam Diallo, poignardée le 5 février 2015 par son époux, Soumaïla Dicko, à leur domicile. À la suite de ce meurtre, son frère, Cheick Tidiane Diallo, co-fondateur du Collectif « Halte à la violence conjugale », témoigne que sa sœur était depuis longtemps en proie à des actes de violence commis sur elle par son époux. Une violence qui a fini par lui coûter la vie.
Monsieur Diallo peint l’assassin de sa sœur comme un être instable, violent, grand consommateur d’excitants (alcool, drogue). Toujours selon lui, la victime s’était souvent plainte à sa famille du comportement de son mari, qu’elle avait même voulu un moment quitter. Mais elle aurait décidé de lui accorder une seconde chance pour l’aider à aller se faire soigner. Le sort en a décidé autrement L’époux de Mariam, dans un accès de folie, a tué sa femme. La victime continuait à avoir foi en celui qu’elle avait décidé d’aimer devant les hommes et devant Dieu, n’ayant jamais envisagé le pire elle non plus.
Pour Cheick Tidiane Diallo, « il n’y a pas de petite violence. Un coup, c’est déjà un coup de trop et il faut partir le plus tôt possible du cercle infernal. Celui qui bat une fois continuera à battre encore et encore ». Et l’entourage et la famille, très souvent au courant des déboires du couple, laissent le choix à la victime de prendre ou non la décision de quitter celui qui la fait souffrir, non sans l’exhorter à la patience et au pardon.
Quand la justice passe
Le destin de Maïmouna dit Kamissa Sissoko fut similaire à ceux de Fanta et de Mariam. Elle a été assassinée le 23 janvier 2016 par son époux Aboubacar Gueye Fall. Des coups de feu tirés à bout portant lors d’une dispute à propos de la gestion des domestiques du couple.
Mais si les deux autres conjoints accusés d’assassinat, Soumaila Dicko et Namory Cissé, croupissent en prison dans l’attente de leur jugement, dans le cas de Kamissa la justice est passée. En effet, la Cour d’Assises a condamné Aboubacar Gueye Fall à la réclusion criminelle à perpétuité pour assassinat et détention illégale d’arme à feu, conformément aux articles 199 et 200 du Code pénal.
Ce qui représente une grande victoire pour les organisations de défense des droits des femmes. Car face aux féminicides, la société civile malienne est fortement mobilisée, chaque organisation réclamant la justice et le renforcement de l’arsenal juridique pour mieux protéger les femmes contre les violences conjugales et les violences basées sur le genre en particulier.
Pour Mme Ly Fatoumata Coulibaly, parajuriste à la CAFO (Coordination des associations et ONG féminines du Mali), le dossier Kamissa est une première victoire que les organisations féminines et de défense des droits humains comptent bien citer en exemple et faire entrer dans la jurisprudence au Mali. C’est pour cela que dans les affaires Mariam Diallo et Fanta Sékou Fofana, elles restent vigilantes afin que justice soit faite.
Khadydiatou Sanogo/Maliweb.net,
Enquête réalisée avec l’appui de l’ Institut Panos
Que leurs âmes reposent en paix dans le paradis amen
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