Le quotidien crédible le soir de Bamako dans sa parution du mardi 9 juin 2020, affirme que dans l’après-midi du dimanche 7 juin 2020, la nouvelle de la destitution de l’Imam ‘’ratib’’ de Bamako, Koké Kallé, a commencé à se répandre comme une trainée de poudre et tout naturellement, comme on pouvait s’y attendre, les réseaux sociaux s’en ont fait l’écho, défrayant ainsi la chronique. Pour l’instant, la vox populi n’est pas formellement édifiée sur les causes et les circonstances qui ont prévalu à cette destitution sauf que, parmi les internautes, d’aucuns ont évoqué que : « la raison de sa destitution n’est guère flatteuse puisque d’ordre sexuel…Avec circonstance aggravante. L’Imam aurait été surpris dans son bureau à la grande mosquée avec une dame ».
Koké Kallé a-t-il fait honneur à son défunt père, ami du général Moussa Traoré et à sa famille par cet acte ignoble ?
Pour la petite histoire, en 1908, les musulmans de Bamako décident de construire une mosquée à l’est, entre le village et le bois sacré. Les ouvriers ouolofs font établir le plan d’un édifice en brique crues de 20m de long, 10m de large et 4m de haut à l’intérieur. L’avant-corps est encadré par deux tours couvertes, de forme carré. En avril 1909, le rapport politique du commandant de cercle précise que la nouvelle mosquée de Bamako est presque entièrement terminée. Cette mosquée est la mosquée actuelle de Bozola, dite « ancienne mosquée du vendredi ».
Son premier imam est Massiré Koromakan qui, auparavant, était imam de la mosquée du Dabanani. Il est alors, jusqu’à sa mort en 1912, gardien de l’imamat de ces deux anciennes mosquées, Dabanani et Bozola. La famille Kallé lui succèdera. En 1951, l’imamat de la nouvelle grande mosquée, située à côté de l’Assemblée Nationale, sera confié à la famille Kallé et celui des deux anciennes mosquées reviendra à la famille Koromakan en la personne de Gaoussoou Koromakan, fils de Massiré.
La succession de la mosquée de Bozola depuis 1908
BakariKallé de 1912 à 1922
Koro Zoumana Kallé, jeune frère de Bakari Kallé de 1922 à 1928
Oumar Kallé, fils de Koro ZoumanaKallé
Amadou Kallé, fils de BakariKallé
Gaoussou Koromakan, fils de Mahamadou Massiré Koromakan
Almamy Koromakan, jeune frère de Gaoussou Koromakan
Labass Koromakan, fils de Gaoussou Koromakan
Bréhima Koromakan, fils de Almamy Koromakan
Al Moustapha Koromakan, fils de Labass Koromakan
Bréhima Koromakan, fils de Al Moustapha Koromakan
Ensuite l’Imam est passé à la famille Kallé venue de Sinsani. Aucun de ses hommes de foi, n’a été critiqué à plus forte raison les déposséder de l’imamat. Il aura perdu tous les avantages liés à ce poste.
Notons que l’histoire nous enseigne que Tali Mahamane (ou Talmahamane) est le fondateur du clan Touré de Bamako. Il était Maure (ou Souraka), marchant de sel et grand marabout, venu de la région du Touat, dans l’actuelle Algérie, pour islamiser les populations rencontrées. Il avait pour compagnon Barka Diarra. Au cours de son voyage, un maître coranique lui dit : « Va, déplace-toi de village en village, là où tu trouveras que le chef est plus grand que tous ses sujets, installe-toi, tu y trouveras la paix ». Après un long voyage via Tombouctou, Sekoro et Niamana, le Maure arrive dans la plaine de Bamako et y découvre Diamoussadian, qui était plus grand que tous les sujets de son clan. Il y voit les signes prédits par le maître et décide de s’y installer.
Sur la demande de Bamba Sanogo, désireux de voir prospérer la localité qu’il a fondée, le Maure enterre à chaque point cardinal de l’endroit délimité par Bamba un verset tiré du Coran. Dès lors, le village devient un véritable lieu saint attirant les musulmans des alentours.
L’installation de Tali Mahamane à Bamako marque le début de l’islamisation de la ville, les Niaré étant animistes. Le marabout fait construire la première mosquée de Bamako et en devient le premier imam.
Diamoussadian fera par la suite appel à lui pour venir à bout de Bassi Diakité, comme nous l’avons déjà vu et l’action du marabout permet à Bamako de prospérer. Tali Mahamane Touré est arrivé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle à Bamako. La date de 1780, donnée par Henry Graves, paraît trop tardive, incompatible avec la généalogie des chefs. La tradition veut que Diamoussadian ai donné une de ses filles en mariage à Tali Mahamane, scellant ainsi un lien de parenté entre les deux premières familles fondatrices. Le fondateur du clan Touré pourrait être mort dans les dernières années du XVIIIe siècle, ou au tout début du XIXe.
Après sa disparition, son fils aîné Bamou (ou Ba Hamou, le préfixe « Ba » désignant le père) issu de son mariage avec une « cousine » maure demande le partage de l’héritage paternel, selon la tradition arabe. Il doit logiquement prendre sa succession, mais le reste de la famille lui refusant ce partage, il renonce à la charge qui lui est proposée, préférant s’adonner à la prière et au culte de Tali Mahamane. Son frère Baladji est alors nommé chef du clan Touré.
D’après Bourama Blé Touré, ce fils nommé Baladji et ancêtre de la famille régnante de Bagadadji, était issu du mariage de Tali Mahamane avec la fille de Diamoussadian Niaré. Son ascendance bambara qui veut que la totalité de l’héritage paternel soit remis au plus âgé du clan. Mais la décision de Bamou ne sera pas sans conséquences : la famille décide qu’en renonçant au poste qui lui revient de droit, Bamou privera à jamais ses descendants du pouvoir. Jusqu’à nos jours sa lignée vit à Bagadadji, au sein du clan Touré, mais aucun fils de cette branche ne deviendra jamais chef.
Par contre, un parent de Tali Mahamane vient quelque temps plus tard le rejoindre à Bamako, depuis sa région natale du Touat. Cet homme se nomme Habib Dian ou Abidian et selon Al Moustapha Koromagan, il était soit le frère, soit un cousin du premier Maure. Quoi qu’il en soit, les relations entre les deux hommes devaient être fortes car les chefs Touré sont depuis le XVIIIe siècle choisis parmi les descendants de Tali Mahamane et d’Abidian, en la personne du plus vieil homme de la plus vieille génération.
D’après une source écrite qui nous a été transmise par la famille Koromagan, l’imamat de la mosquée du Dabanani s’est transmis au sein de la branche de Bamou, jusqu’à l’arrivée de leur ancêtre Maciré. Arrivé de Sansanding au début des années 1860, Maciré remplaça vers 1883 le dernier imam Touré.
Après la mort de leur père, Bamou et Baladji font creuser un puits non loin de la mosquée. Ce puits existe toujours. Le fondateur de la seconde famille maure arrive, selon Henry Graves, deux ans après Tali Mahamane. L’étude de la généalogie du clan montre qu’il aurait pu arriver à Bamako vers 1780. Grand maître coranique (ou karamoko), il se nomme El Hadji Diaguina et épouse à son tour une parente de Tali Mahamane.
L’étude des généalogies Touré et Dravé montre qu’il y avait une génération de différence entre les deux hommes. Diaguina est aujourd’hui connu sous le surnom de Halka Djalé. Il était originaire de la région du Draa ou Daraw, dans l’actuel Maroc, et prend le surnom de Dravé.
Mamby Sidibé écrit en 1964 qu’à l’arrivée à Bamako de Diaguina, Diamoussadian Niaré était déjà mort…, ce qui semble étonnant. A son décès, le fondateur du clan Dravé de Bamako est inhumé dans la mosquée dite du « Dabanani » (en référence aux « quatre grandes portes » du tata) construite par Tali Mahamane, au côté de ce dernier et de Barka Diarra. Aujourd’hui, les trois hommes y reposent toujours et leur tombeau fait l’objet d’un culte à chaque fête musulmane.
D’après nos sources orales et l’étude des généalogies, nous pensons que le premier Dravé était né vers 1750 et qu’il est mort dans la première moitié du XIXe siècle.
C’est pour cette raison que les familles Touré ont la surveillance des rites des deux mosquées de Bozola. Elles sont dès lors dans leur rôle de gardien des deux lieux saints de Bozola.
Badou S. Koba