Au Mali, les conséquences humanitaires du conflit continuent de peser lourd sur le quotidien des populations. Martin Schüepp, nouveau directeur des opérations du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et Sarah Epprecht, nouvelle directrice de la Protection et des Services Essentiels pour le CICR se sont rendu sur place en septembre pour prendre le pouls d’une situation humanitaire qui ne cesse de se dégrader.
A l’issue de votre visite sur le terrain, comment jugez-vous la situation humanitaire au Mali ?
Martin Schüepp : mon inquiétude quant à l’évolution de la situation humanitaire s’est renforcée. Les besoins de la population civile sont en augmentation, avec toujours plus de personnes déplacées et plus de personnes touchées par la violence. L’insécurité et les aléas climatiques poussent chaque jour de nouvelles personnes à trouver refuge dans des zones considérées comme plus sûres. Constamment en mouvement, il leur est impossible de s’établir dans un lieu fixe et de développer des activités économiques stables.
Le Mali traverse une situation de conflit très complexe impliquant une multitude d’acteurs. A cela s’ajoute une criminalité qui pose aussi des défis en matière de sécurité pour les acteurs humanitaires, y compris le CICR. Malgré tout, nous nous efforçons d’être au plus près des populations concernées, y compris dans les zones les plus reculées, pour comprendre au mieux leurs besoins et y répondre le plus efficacement possible.
En plus de la violence armée, le changement climatique vient aggraver le sort de la population. Qu’avez-vous pu constater concrètement ?
Sarah Epprecht : Nous avons pu échanger avec des personnes déplacées à cause du conflit. Il est clair que l’impact cumulé de la violence, des déplacements répétés et du changement climatique modifie profondément les modes de vie. Dans un tel environnement, comment les populations peuvent-elles assurer leur survie ? Comment accéder aux soins médicaux ou à l’éducation ? Comment trouver à manger ? Comment garder son bétail en vie ? Comment rester en vie ? Au bout du compte, tout devient un combat. Et quand les mécanismes de survie et la résilience s’épuisent, les vulnérabilités deviennent encore plus criantes.
L’accès à l’eau et aux terres arables est de plus en plus difficile dans de nombreuses régions, et parfois même impossible. L’insécurité alimentaire se généralise dans toute la bande sahélienne, tout comme dans la corne de l’Afrique. L’espoir est revenu récemment avec la pluie et on espère une meilleure récolte que l’année dernière. En même temps il faut ne pas se leurrer, les prix des intrants, des semences et des fertilisants explosent. Les besoins humanitaires demeureront immenses dans les prochains mois, voire dans les prochaines années.
Comment le CICR adapte sa réponse humanitaire au Mali ?
Martin Schüepp : Nous restons fidèles à nos principes d’action. Cela veut dire agir de manière strictement neutre, indépendante et impartiale, ce que nous considérons comme une nécessité absolue dans un contexte polarisé et en constante mutation. Nous essayons ainsi de maintenir un dialogue franc et transparent avec les autorités et tous les autres acteurs et de maintenir un accès privilégié aux personnes dans le besoin, même dans les zones les plus conflictuelles et les plus difficiles d’accès, afin d’être à leur écoute et répondre à leurs besoins, dans les limites de nos capacités.
La présence des volontaires de la Croix-Rouge malienne sur le terrain est un atout extraordinaire. Nous travaillons main dans la main pour répondre aux besoins humanitaires et notre ambition est de renforcer davantage ce partenariat avec la CRM mais aussi avec tous les autres partenaires du Mouvement de la Croix Rouge et du Croissant Rouge présents au Mali afin de maximiser la réponse aux besoins des populations.
Nous nous efforçons également de ne pas limiter nos interventions à des réponses d’urgence, telles que des distributions de nourriture, mais aussi d’aider les populations à renforcer leur résilience et à reprendre des activités économiques viables. Un bon équilibre entre réponse d’urgence et capacité à rebondir est important dans un contexte comme le Mali. Cela assure un impact humanitaire sur le plus long terme possible.
Il est également je pense important de rappeler aux donateurs, très focalisés en ce moment sur le conflit en Ukraine, que les besoins demeurent et se renforcent dans le Sahel : des millions de personnes restent très vulnérables dans le pays comme dans toute la bande sahélienne. Elles ne doivent pas être oubliées.
Enfin, comme dans chaque conflit, nous passons sans relâche le même message auprès des porteurs d’armes et de tous ceux qui ont le pouvoir de changer le cours des choses : le respect des lois de la guerre est essentiel. Les parties au conflit doivent prendre toutes les mesures pour épargner les civils et les infrastructures nécessaires à leur survie.