Les derniers préparatifs de l’Aïd el Kébir ou fête de Tabaski occupent présentement tous les chefs de famille à Bamako, à quelques jours de la fête qui sera célébrée mercredi prochain. Dans cette dernière ligne droite vers la fête, c’est le mouton qui se retrouve au centre de tous les intérêts et des débats. Le bélier est actuellement l’objet de toutes les attentions, et le souci numéro un de nombreux chefs de famille. De petits points de vente improvisés de ces ruminants fleurissent à travers la ville. Tout le monde aimerait s’offrir un beau bélier.
A la grande satisfaction des femmes et des enfants qui en font une question de vie ou de mort (lire en page 7). De fait le mouton de la Tabaski est devenu un enjeu plus social que religieux. Or en plus du mouton, le chef de famille doit faire face à d’autres dépenses liées à la fête comme les habits pour les enfants et les épouses et les frais de condiments. A quelques jours de la fête comment se porte le marché du mouton ? Premier constat après un petit tour d’horizon dans les différents “Garbals” (marchés à bétail) de Bamako et dans des points de vente improvisés : l’offre de ruminants est abondante. Comme toujours, le problème reste les prix. Du « Garbal » de Niamanan à celui de Faladié en passant par ceux de Niamakoro, Kalabancoro, Torokorobougou, Sabalibougou, Lafiabougou Koda, Hippodrome, Sans Fil, Banconi, les moutons abondent.
Les clients sont au rendez-vous et les traditionnels marchandages sont très animés. À Niamana et Faladiè, des camions remorques sont stationnés de part et d’autre de la voie. Juste à côté, les chauffeurs et les apprentis de ces mastodontes sont couchés sur des lits de camp. Ils viennent de débarquer des centaines de têtes de bétail venues surtout des cercles de Bandiagara, Koro et Douentza, réputés pour être de grandes zones d’élevage. Dès son arrivée, le client est assailli par de jeunes intermédiaires qui le harcèlent pour le conduire auprès des troupeaux. Le courtier d’occasion sait qu’il aura sa part sur le prix du mouton si le marché est concluant entre l’acheteur et le vendeur.
DES PRIX ABORDABLES. Les marchés grouillent de monde, mais, les consommateurs se plaignent du niveau des prix qu’ils jugent trop élevé. De façon générale, les prix vont de 30.000 à 250.000 Fcfa. D.S., un fonctionnaire croisé au marché de Faladiè fait sa lecture de la situation. Selon lui, il y a trois catégories de moutons. « Les agneaux sont proposés entre 30.000 Fcfa et 50.000 Fcfa. Les vrais béliers sont vendus dans une fourchette comprise entre 70 000 à 150 000 Fcfa. Les béliers rois pèsent entre 150.000 et 250.000 Fcfa”, explique le fonctionnaire. Et de souligner le contexte difficile qui prévaut avec les différentes obligations de dépenses qui se sont succédé à un rythme infernal cette année : le mois de Ramadan et la fête qui le couronne, la rentrée scolaire et maintenant la fête de la Tabaski.
Les vendeurs de mouton se disent parfaitement au fait de la conjoncture difficile, mais assurent qu’ils n’ont pas le choix. Oumar Guindo est propriétaire de 400 bêtes qu’il a amenées de Bankass et Koro. Il justifie le niveau des prix pratiqués : « Nous n’avons pas le choix. Le transport des animaux grève considérablement les coûts. De 500 Fcfa par tête en temps ordinaire, le transport a plus que doublé avec l’approche de la fête. Nous sommes donc obligés de répercuter cette hausse sur les prix de vente dans le cas contraire nous vendrions à perte. Nous vivons tous cette conjoncture économique.
L’aliment bétail est cher, les vaccins et les déparasitages le sont autant. Il faut aussi payer l’aire de parcage, les taxes municipales. Tout cela rend le mouton cher”. Au marché de Sabalibougou, l’affluence des acheteurs est encore faible. “Je pense que le marché est bien approvisionné par rapport à l’année dernière. Et le mouton continue d’arriver. Notre problème c’est que les ventes sont lentes”, estiment Lamine Coulibaly et Lassine Traoré, deux marchands de bétail sur ce marché. Ici, les petits moutons sont cédés entre 35 000 et 45 000 F cfa, ceux considérés comme moyens entre 50 000 et 65 000 F cfa et les moutons de grande taille de 130 000 à 200 000 Fcfa. Un chef de famille rencontré dans les allées juge les prix abordables : “J’étais venu pour inspecter le marché. J’ai trouvé que les prix sont abordables. Je crois donc que je vais acheter mon bélier tout de suite pour éviter une surprise désagréable à la dernière minute ».
Au marché du quartier Sans Fil, c’est aussi la morosité qui inquiète les vendeurs. Et ceux-ci estiment que le marché est moins fourni que l’année dernière. “A mon avis le marché est peu approvisionné. Cependant l’acheminement des animaux se poursuit vers la capitale », explique Issa Bouaré, un vendeur originaire de Ségou.
DES MECANISMES DE SOLIDARITE. Au marché situé sur la route de Koulikoro, les clients arrivent au compte-goutte. Et beaucoup repartent en promettant de revenir, dans l’espoir les prix baisseront dans l’intervalle. “Je suis sûr que les prix vont baisser. Il y a beaucoup de moutons sur le marché. Pour le moment, les éleveurs n’en font encore qu’à leur tête, mais ils auront tort”, suppute un septuagénaire. Amadou Sissoko et Ben Diakité, deux vendeurs, pensent le contraire et excluent toute possibilité de baisse des prix. Ils jouent même les oiseaux de mauvais augure pour les retardataires.
“Nous pensons même que le bétail risque de manquer sur les marchés dans les prochains jours”, croient-ils savoir. La même ambiance prévaut au marché de la Zone industrielle et à Lafiabougou-Koda. A la différence que l’ordre et la discipline sont de mise sur ces deux sites. Là, les responsables des commerçants de bétail se sont organisés pour coordonner des prix et pour dissuader les petits délinquants qui écument le coin. A quelques jours donc de la fête, ce n’est toujours pas l’effervescence sur les marchés. Mais ce week-end sera décisif et risque d’être chaud. Face à la conjoncture difficile, nombre de fonctionnaires se sont tournés vers les institutions bancaires de la place pour contracter des prêts.
Heureusement que les banques rivalisent d’initiatives pour attirer des clients en proposant des prêts à des taux d’intérêts très attractifs. Alassane Traoré a retrouvé le sourire grâce à son banquier. “Je suis fonctionnaire et père de 5 enfants. J’ai obtenu un prêt de 200.000 Fcfa de ma banque dans le cadre de son opération Tabaski. C’est avec cet argent que j’ai acheté un bélier à 75.000 Fcfa, avant de remettre le reste de l’argent à Madame pour les achats des enfants », témoigne-t-il. À côté des opérations proposées par les banques, nos compatriotes organisent de véritables mécanismes de solidarité.
Des syndicats de travailleurs proposent des moutons à crédit à leurs militants, remboursables en plusieurs mensualités. Certains organisent des achats groupés. “Sans l’initiative des responsables syndicaux de notre service, cette fête de Tabaski s’annonçait très dure pour moi. J’ai souscrit pour un mouton de 100.000 Fcfa. Si j’avais dû le payer de ma poche, je n’aurais sans doute pas pu avoir un mouton de fête cette année », assure un jeune fonctionnaire.
vendredi 12 novembre 2010, par Baye Coulibaly