Marché des moutons : La guerre d’usure a commencé

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En attendant que le marché s’emballe vraiment, vendeurs et acheteurs se testent réciproquement en espérant que l’autre craquera le premier.

L’Aïd el Kébir « la Grande fête », communément appelée chez nous la fête de la Tabaski ou encore la fête des moutons, se rapproche à grands pas. L’annonce de cette fête est source de préoccupations et d’angoisse pour pas mal de chefs de famille. Une préoccupation qui tourne facilement à l’obsession dès que le compte à rebours s’accélère. Le sacrifice d’Abraham dépasse désormais le cadre religieux dans certaines familles. Pressés par les femmes et surtout les enfants, les chefs de famille sont prêts à tout pour rapporter à la maison le plus beau des béliers. Ainsi, depuis deux semaines, la fièvre du mouton s’est installée à Bamako, montant progressivement, au fur et à mesure que s’approche le jour J. Un tour des différents « garbals » (points de vente des animaux) de la capitale, nous a permis de prendre la température du marché de moutons. De Niamana à Faladiè en passant par Niamakoro, Kalabancoura, Kalabancoro, Quartier-Mali, Badalabougou jusqu’à Lafiabougou Koda, Badialan, N’Tomikorobougou, Hippodrome, Sans fil et Boulkassoumbougou, trois constats s’imposent : le marché se ravitaille progressivement, la grande frénésie tant attendue par les vendeurs n’a pas encore gagné les marchés et les prix sont jugés élevés par les chefs de famille par rapport à l’année passée.

Le prix du mouton subit actuellement une augmentation tendancielle. Comme si tous les vendeurs s’étaient passés le mot, les prix semblent identiques dans tous les « garbals » du district. Partout, la fourchette des prix est fixée entre 25.000 Fcfa pour les moutons « nains » et 200.000 Fcfa pour les gros béliers. Les plus petits moutons se négocient entre 25.000 et 35.000 Fcfa. Malheureusement, ces gabarits ne sont pas légion. Pire, les bêtes vendues dans cette fourchette basse ne sont pas conformes aux critères édictés par l’Islam, jugent des candidats acheteurs. Les bons béliers moyens auxquels s’intéresse le Bamakois lambda, se marchandent autour de 75.000 et 100.000 Fcfa. Inutile de décrire le marchandage auquel se livrent vendeurs et acheteurs autour de ces bêtes. Les amateurs des beaux et gros béliers blancs, appelés communément (Souraka saga) doivent débourser entre 150.000 et 200.000 Fcfa. Dans les « garbals », l’heure est donc aux interminables marchandages.

L’affluence n’étant pas encore forte, on a le temps. Et les clients refusent d’accepter le diktat des vendeurs. Certains ont tout simplement décidé d’attendre le dernier moment pour acquérir leur bélier. Vendeurs et acheteurs se livrent ainsi à une sorte de guerre d’usure où chacun joue au plus malin pour dribbler l’autre. Ousmane Sidibé, un chef de famille en quête de mouton, s’est lassé de ce jeu et a fini par rebrousser chemin faute de disposer de suffisamment d’argent pour s’offrir la bête de son choix. « Les moutons qu’on m’a proposés sont trop chers. Ces gens-là se moquent de acheteurs, ils veulent tirer 60.000 à 75.000 Fcfa pour des petits moutons qui valent à peine 20.000 ou 30.000 Fcfa. C’est vraiment malhonnête », se plaint ce chef de famille très remonté. « Il est temps que les autorités réagissent pour réguler ce secteur, chaque année à la même période, c’est le même problème. Cela ne peut pas continuer éternellement », lance t-il, la mort dans l’âme. Pour Baki Coulibaly, vendeur de moutons au « garbal » de l’Hippodrome, la situation des ventes est loin d’être reluisante pour le moment. Les prix, juge-t-il, ont subi une petite hausse par rapport à l’année passée mais les animaux ont un très bon embonpoint. « Cette année, les moutons venus du Sahel sont vraiment bien en chair, malgré la mauvaise pluviométrie. Mais pour le moment, les clients sont rares. Et les marchandages n’aboutissent pas car les « coxeurs » ont déjà pris l’assaut les « garbals ». Pour un mouton de 30.000 Fcfa, ils rajoutent 10.000 Fcfa », constate-t-il avant de conseiller aux clients de traiter directement avec les propriétaires d’animaux.

LA RUEE VERS LA CÔTE D’IVOIRE. Boubacar Kané dit Ladji, un vendeur connu du « garbal » du Quartier Sans Fil, se montre alarmiste sur la question. La cherté du mouton cette année, soutient-il, s’explique par les réalités du terrain. « Les foires qui approvisionnement Bamako sont essentiellement Fatinè, Yolon, Niono, Douentza, Léré, Nara, San, Koin, Kimparana, Fagasso, Nara et les foires du Sahel occidental. Depuis deux semaines, les acheteurs étrangers ont envahi ces marchés. Ils viennent de Guinée Conakry, du Liberia, de Sierra Lionne, de Côte d’Ivoire, du Sénégal, etc. La demande étant très forte, les bergers ont augmenté le prix des moutons. Pire, depuis une semaine, la Côte d’Ivoire a ouvert ses frontières et renoncé à toute taxe sur les ovins pour les vendeurs maliens. Depuis, des dizaines de camions chargés se dirigent chaque jour vers cette destination », souligne le spécialiste en avertissant que si des dispositions ne sont pas prises tous les convois à destination de Bamako risquent de changer de chemin.

Les statistiques de la douane confirment la grande affluence vers la Côte d’Ivoire. Le chef du bureau frontalier de la douane de Zégoua, Baye Ag Assony, relève ainsi que depuis le mois d’août les exportations de bétail se sont accrues. Déjà en août, son bureau a enregistré la sortie de 8516 bovins, 9739 ovins et caprins. En septembre, les chiffres ont progressé : 9882 bovins et 10700 ovins et caprins. Bien que les statistiques d’octobre ne soient encore disponibles, le bureau remarque une sortie massive de bétail. Et encore, les statistiques ne concernent que le bétail transporté par les camions. Quand on sait que le bétail convoyé à pied par les bergers, est plus nombreux, on peut se faire une idée de l’importance des exportations. Notre voisin du Sud où la crise s’estompe, a déployé cette année les grands moyens pour assurer l’approvisionnement correct du pays en bovins, ovins et caprins pour les besoins de la Tabaski. Depuis quelques jours, les négociants commerciaux font le tour des « garbals » et des foires hebdomadaires pour annoncer la bonne nouvelle. « La Côte d’Ivoire ouvre ses frontières aux vendeurs de moutons, plus de tracasseries, plus de taxes à payer. Mieux, les camions des commerçants de bétail seront sécurisés de la frontière jusqu’à Abidjan. Comme une trainée de poudre, la nouvelle a fait le tour les marchés de bétail de l’intérieur », assure Samba Diallo, un commerçant de bétail très connu au « garbal » de Niamana. Il met cependant en garde ces vendeurs qui se ruent vers ces destinations au détriment du marché national. En 2009, tous les commerçants de moutons s’étaient dirigés vers le Sénégal. L’offre a tellement dépassé la demande que certains sont retournés sans presque rien vendre. Ils ont été, par la suite, obligés de proposer leurs moutons à vil prix. J’ai peur que ce ne soit le même cas cette année en Côte d’Ivoire », s’inquiète-t-il.

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