Manifestation pour la refondation du Mali : L’Imam Dicko en a-t-il marre du jeu des militaires ?

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Après s’être muré dans un long silence volontaire, suite aux événements du 18 août dernier, ayant conduit à la chute du régime d’IBK, et l’avènement des militaires sur la scène politique, l’imam Mahmoud Dicko a brutalement occupé les devants de l’actualité dominante, ce vendredi 5 février, en se faisant écho d’un manifeste pour la refondation du Mali. Une déclaration de foi à sens fortement politique de l’homme qui le met face à lui-même et face à l’Histoire. Décryptage d’un message politique d’un religieux qui se dessine à coup sûr un destin national à assumer.

« Mon esprit est tourmenté par le sort du Mali et de mes concitoyens. Les sources d’inquiétude s’amoncellent, mon âme affectée finit par déchirer mon cœur. Je ressens une tristesse infinie à la lumière de l’Islam, religion de paix, de tolérance et expression d’une existence hors de modèles imposés par autrui ». C’est en ces mots que le religieux, l’imam Dicko, énonce la trame de son manifeste pour la refondation du Mali, rendu public ce vendredi 5 février, à la surprise générale.

Point de doute, le religieux, qui s’est jusqu’ici muré dans un lourd silence, après les événements du 18 août 2020, ayant renversé le régime du président IBK, a trouvé une réelle opportunité de marquer le coup médiatique, comme il s’est le faire, en frappant, depuis toujours, la fibre sensible des citoyens Maliens, englués dans des difficultés existentielles de toutes sortes.

Pourquoi justement en ces moments précis le religieux sort de son silence volontaire pour s’adresser à son public ? Que vise-t-il par un tel message à grande sensation politique ?

Manque de largeur idéologique

De prime abord, l’imam Dicko, à part une brève et sibylline allusion à la religion, pour donner le ton de son discours politique, ne fait en réalité un lien direct et profond avec la religion du Prophète Mohamed pour expliquer la ligne directrice d’un message qui reste profondément politique et qui, en l’espèce, a complètement manqué de largeur idéologique, en occultant de saluer la mémoire des martyrs, ces morts de la contestation populaire, ensevelis et mis sous terre avec la bienveillance d’un imam plus que jamais déterminé à prendre l’initiative politique.

Si l’imam a justement visé ce moment, pour faire une telle déclaration fracassante, où il est connu d’être un allié stratégique avec les autorités de la transition, où de surcroit on lui prête d’avoir réussi à placer tous ses hommes clefs aux postes clefs des organes de la transition, ce n’est certainement pas un fait du hasard.

On le voit, cela découle d’un jeu subtil de la part d’un homme qui en a l’habitude : par bien de fois, dans le passé, l’imam soutient publiquement des hommes publics dans leurs actions, et très souvent arrive même à donner sa caution morale pour leur nomination à des postes stratégiques des rouages de l’Etat, avant de se rétracter habilement et de les bannir proprement.

Souvenons-nous du cas de l’ancien Premier ministre, Boubou Cissé, avec l’imam Dicko. Après avoir soutenu le choix de cet homme, considéré à l’époque comme « son fils », l’imam a fini par vouer à cet homme une inimitié sans borne, jusqu’à demander publiquement son départ.

Dans son manifeste pour la refondation du Mali, il le dit lui-même, en espérant en tirer quelques profits politiques auprès de ses compatriotes, en estimant s’être trompé de certains de ses choix d’hommes, au parcours de l’histoire du pays.Ce ne sera donc pas nouveau pour lui de se détourner de l’alliance des nouvelles autorités de la transition pour des choix stratégiques politiques à venir.

C’est bien pourquoi il trouve un détour plus délicat dans cette nouvelle sortie publique en s’exprimant ainsi : « C’est aussi avec gravité que j’observe les risques d’échec du combat de ce noble peuple épris de paix et de justice pour une gouvernance vertueuse ».Les mots utilisés pour faire la démarcation avec le contexte actuel du pays sont subtils, et même très pesés, mais portent la marque d’un imam, toujours à l’offensive politique.

Démarcation subtile

« La situation est périlleuse et j’ai conscience que convaincre nos concitoyens demeure aujourd’hui une exigence forte dans un Mali gangrené par la faiblesse de l’éducation, l’absence de perspective pour notre jeunesse, l’incivisme, la corruption endémique, les actes obscurantistes et les vendeurs d’illusions. Le tout sur fond de mal gouvernance ». En parlant ainsi dans son manifeste, l’imam se place, comme à ses habitudes, dans la démarcation subtile avec les alliés du jour pour réclamer son combat en faveur de l’épanouissement humain dans son pays. Un combat politique ouvert, mais dont les desseins ne sont toujours pas dévoilés.

Il n’est donc pas surprenant qu’il ne trouve pas la pirouette, avec les maux actuels auxquels le pays est dangereusement confronté, pour marquer le coup avec les autorités de la transition ; jusqu’y compris les militaires, avec lesquelles il a eu pourtant une parfaite entente. Un tel reniement des militaires de la transition, chez l’imam, ne sera ni surprenant ni dramatique d’autant qu’il relève d’une tactique bien rodée du religieux qui a toujours ébranlé ses anciens alliés, largués au gré des circonstances, ponctuées par des rhétoriques politiques.

Rupture du pacte

De la mosquée, où il avait promis désormais de rester après le grand coup du 18 août, entrainant le renversement d’un régime démocratique, l’imam, après quelque quatre à cinq mois seulement, sort de ce silence, rompt ce nouveau pacte qu’il avait noué avec ses compatriotes, pour se voir une nouvelle posture publique, celle de « porter ici la voix d’un nouvel élan d’émancipation, d’une urgence à agir, à penser haut et vrai, devant l’histoire pour de nouveaux horizons, avec l’espoir que le génie malien entendra l’écho de cette voix et élèvera à mes côtés, en pèlerin, notre destinée ».

L’imam a tranché, comme à ses habitudes, il aborde une nouvelle étape de son combat politique. Il le dit en ces termes crus : «J’ai inlassablement écouté et observé, mais la situation me paraît trop grave pour que je garde silence. Si nous ne réagissons pas maintenant, activement et collectivement, l’État qui nous gouverne n’a plus de sens. Il faut sauver le pays ».

Si le choix est fait, comme il le laisse entendre, il lui reste maintenant à clarifier le sens politique de son engagement en faveur de l’émancipation de son peuple.

Et çà, tout le monde le sait, ce sera la prochaine étape du combat politique de l’imam, dont il ne mettra pas du temps certainement à dévoiler au grand jour.

Oumar KONATE 

 

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