Mamadou Togo, président du Ginna-Dogon : Lucide décryptage des conflits fratricides au Pays-Dogon

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Nous l’avons rencontré, le vendredi dernier à son domicile,  et à cœur ouvert, il nous a dit vrai. Tout ce qu’il sait et pense comme solutions quant à la résolution des conflits au Pays-Dogon. Suivez son regard !

 

Le Pays : Mr le Président, vous êtes le 1er responsable d’une association ‘’Ginna Dogon’’ qui a pour mission la préservation de la culture dogon. Pouvez-vous  nous parler de l’historique de cette association, de sa création à nos jours ? Y compris les missions  importantes qu’elle a menées.

Mamadou Togo : je remercie le Journal Le Pays et tous ses animateurs pour avoir pensé à l’Association malienne pour la protection et la préservation de la culture dogon, connue sous l’appellation « Ginna Dogon ». Je vous dis d’emblée que Ginna Dogon est une association ouverte à tous les peuplements  du pays dogon et à tous les maliens qui en respecteraient les statuts et règlement intérieur  et qui participeraient à ses différentes activités.

 

La création de Ginna Dogon est venue après l’organisation, par le ministère de la culture, les semaines  d’expressions culturelles dont la  première a été consacrée aux Dogon du 10 au 16 mars 1990. Les  cadres Dogon ayant pleinement participé à la semaine, se sont retrouvés pour  faire un bilan critique de la semaine. Ils ont fustigé les pas de danse, les parures, les costumes, les couleurs, les films etc. qui ne révélaient pas l’authenticité de la culture dogon. Alors, les cadres ont produit une brochure sur les insuffisances qu’ils ont remises aux autorités de l’époque.  Les cadres se sont dits  que si à chaque évènement il faudrait écrire on  en finirait jamais. Ils   ont orienté leur réflexion sur un mécanisme  de la production de la culture authentique  qui corrigerait les manquements. Ainsi, fut créée l’Association avec le concours des cadres du ministère de la Culture. Les documents pour le récépissé ont été déposés  en 1990, mais le récépissé n’a été obtenu qu’en 1991, après le 26 mars.  L’Association s’est tout de suite attelée à l’organisation de manifestations  culturelles ici à Bamako afin que la vraie culture dogon  soit connue de tous. Par la suite, nous  en sommes venus à l’organisation des journées culturelles tous les trois ans au Pays Dogon.

 

En termes de missions relatives aux règlements de conflits,  il serait très fastidieux  de citer ici  toutes les missions. Cependant,  je vais  vous citer les principales : Youdiou/ Bereli, dans le cercle de Koro ; Kassa dans le cercle de Koro ;  Dourou/ Koporopen  (Bandiagara/Koro), Sari cercle de Koro ; Ningari, cercle de Bandiagara  et une kyrielle de conflits  de moindre gravité.

 

 

Le Pays : Le Pays Dogon est envié par le monde  grâce à sa diversité culturelle. Cela est une bonne image. Mais une autre réalité se vit quotidiennement  au sein de cette communauté qui,  par son exacerbation, est au point de détruire le tissu social. Certains parlent de problèmes de terres, d’autres de ceux liés à des espaces publics. Des problèmes qui ont toujours fait des victimes.

 

 

Quelle analyse faites-vous  de ces situations ? Est-ce que votre association  s’est-elle intéressée  à la résolution de ces conflits ?

Mamoudou Togo : Les problèmes  essentiels du Pays-Dogon  sont ceux liés à la gestion des terres qui est en train de détruire le tissu social.

 

En effet, les familles emprunteuses de terres ont fini par s’approprier ces mêmes terres. Les familles prêteuses se sentent trahies, donc abusées.

 

Cela est lié à deux choses : premièrement, les rites liés à l’emprunt et au prêt  de terre ne sont plus appliqués ; deuxièmement ceux-là qui n’avaient rien sont devenus riches par la grâce de Dieu. Ils veulent vaille que vaille garder les terres qu’ils avaient empruntées hier et cela à coup de corruption. Les sages des villages sont corrompus et ils induisent en erreur la justice et l’administration.  Les protagonistes  refusent de se plier aux pratiques coutumières  de révélation de la vérité (l’instinct de survie   oblige, car ces jugements  sont sans appel). Voilà ce qui caractérise  les conflits  de terres.

 

Ginna Dogon  s’est impliquée dans la résolution  de tous les conflits du Pays Dogon avec d’échecs  que de  succès, car nous Dogon nous sommes devenus difficiles.

 

 

Le Pays : parmi ces conflits, celui qui a le plus attiré notre attention s’est manifesté à Ségué-Iré entre les Yalcouyé et les Kansaye.

 Pouvez-vous nous dire comment la situation a pris une telle ampleur  et quel a été l’apport du Ginna Dogon pour sa résolution ?

Mamadou Togo : Le conflit entre Kansaye et Yalcouyé  de Ningari (Commune de Ségué-Iré, cercle de Bandiagara) est parti des paroles d’un enfant qui aurait dit que les Kansaye auraient dominé les Yalcouyé.  Les Yalcouyé qui ont accueilli et installé les Kansaye n’ont pu digérer  cette infamie. Les Yalcouyé ont alors procédé au retrait des champs qu’ils avaient donnés aux Kansaye dans le cadre du bon voisinage.  L’administration informée, le gouverneur a mené une mission  sur le terrain où il a été séquestré et humilié par les Yalcouyé qui ont pensé qu’il prenait partie pour les Kansaye. Ginna Dogon informée a dépêché  l’antenne de Bandiagara qui n’a pas été beaucoup écoutée par les Yalcouyé à qui les Kansaye auraient déjà demandé pardon pour la bourde de jeunesse.  Les Yalcouyé disent que les Kansaye ne leur ont pas présenté d’excuses et exigent que les excuses se fassent en public. Ce à quoi les Kansaye n’ont pas voulu se plier estimant qu’ils ont déjà demandé pardon. Par la suite, le ministre a dépêché  une délégation conduite par son secrétaire général, Boubacar Sow, accompagné de plusieurs cadres du département. Le président du Ginna Dogon a participé à cette mission qui a été infructueuse.  Par la suite, Ginna Dogon a réuni trois personnes par antenne du Pays Dogon et Mopti. Ce qui fait 15 personnes auxquelles sont venues  s’ajouter des membres du bureau national et les personnes de ressources pour porter le nombre à 24.

 

Pendant toute une nuit, nos parents Yalcouyé ont exigé que les  Kansaye  viennent reconnaitre leur tort et demander pardon.  Ce qui n’a pas eu lieu. On est retourné bredouille malgré les énormes stratégies déployées pour obtenir un résultat positif.

 

Après compte rendu au ministre, celui-ci a décidé d’aller en personne sur les lieux. Un secrétaire général et moi-même étions de la partie. Peine perdue, le ministre a été entendu et compris par les Kansaye qui ont signé le document présenté  par celui-ci mettant fin à la crise. Mais les Yalcouyé ont refusé  de le signer.

Le ministre a alors instruit le Gouverneur de Mopti et le Préfet de Bandiagara de prendre une décision sur les règles coutumières.

 

La décision du gouverneur est venue à la Cour Suprême pour interprétation. La section administrative de la Cour Suprême a confirmé la décision basée sur les règles coutumières. Par la suite, les Kansaye  ont attaqué la décision et eu gain de cause, ai-je appris à défaut d’avoir posé les yeux sur l’un ou l’autre document.

 

A Ginna Dogon dès l’instant où la justice est saisie d’un problème, place est faite à la justice pour qu’elle dise le droit. Ceci explique notre silence actuel en dehors du fait que nous avons demandé au ministre de la Justice, Garde des Sceaux de faire diligenter le jugement des personnes détenues à Sévaré auxquelles Ginna Dogon  a fait un geste de solidarité en leur envoyant une modique somme d’argent pour les soutenir. Voilà dans les grandes lignes ce que Ginna Dogon sait de l’épineux problème de cohabitation des Yalcouyé et des Kansaye.

 

 

Le Pays : pour cerner tous les angles de ce problème, notre journal a fait un déplacement à Ségué-Iré pour s’enquérir  de la version des deux parties. Mais, il s’avère que l’exacerbation serait due à l’irresponsabilité de l’Etat, surtout la Cour Suprême, et l’intervention d’une unité de l’armée composée de la MINUSMA et des DAMI.

 

 

Qu’en pensez-vous ?

Mamadou Togo :

A mon humble avis, traiter l’Etat  d’irresponsable tout comme la Cour Suprême, relève d’une position  que je qualifie de subjectivité car quand deux parties sont en conflit, il faut nécessairement que chaque partie accepte de faire quelques concessions.  Mais dès lors que chaque groupe campe sur une position, il est très difficile pour une administration   ou une justice  de trancher un problème aussi délicat que celui des Kansaye et des Yalcouyé surtout que chaque camp est soutenu par des villages voisins qui ne disent pas la vérité ni à un camp ni à l’autre.

 

Quant à la force d’interposition, elle est là pour éviter que  les deux camps ne s’affrontent. Elle est dissuasive.  Que chaque camp fasse appel au bon sens et considère les relations  de bons voisinages et des liens séculaires de mariage pour reprendre à vivre ensemble surtout que les deux chefs des deux camps sont aujourd’hui dans l’autre monde.

 

 

Le Pays : Aujourd’hui, certains sont enfermés et l’affaire est au niveau du tribunal de Mopti.

 

 

Avez-vous fait des démarches pour la libération de ces détenus et aussi dit aux autorités ce que vous vous pensez pour  la résolution de la crise ?

Mamadou Togo :

J’ai déjà répondu à cette question avant même qu’elle ne me soit posée. Quand on s’implique dans une crise on doit forcément avoir une idée sur comment la résoudre. Mais  il faut que les parties acceptent  obligatoirement de se faire violence pour parvenir à une réconciliation totale et irréversible dans le cas qui nous concerne, celui de la commune rurale de Ségué-Iré.

 

Le Pays : Quel message lancez-vous aux deux parties de ce conflit pour une résolution définitive du problème et le retour  de la paix d’antan?

Mamadou Togo : Je dis aux Yalcouyé et aux Kansaye que vivre ensemble signifie se supporter mutuellement et que tout malentendu est appelé à disparaitre quand les protagonistes sont de bonne foi. Vous voyez, à tort ou à raison, les relations entre les deux communautés  sont ternies. Les amis  et alliés d’hier ne se fréquentent plus et la perte est des deux côtés. Quand des hommes se battent, ce sont des hommes qui les réconcilient. Je demande aux parents intellectuels des deux camps de faire le maximum pour raisonner leurs parents respectifs afin  entendent raison.

Au moment où le Mali tout entier chemine vers la paix  et la réconciliation  pour vivre ensemble ; au moment où le pays Dogon doit se consacrer à son développement à travers des actions d’ensemble, il ne semble pas indiqué que mes parents de Ningari continuent à brandir la hache de guerre car mieux fait douceur que violence.

C’est ma petite contribution à vos  questions. Je demande pardon aux anciens pour les propos tenus.

Boubacar Yalkoué

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1 commentaire

  1. Il y a une autre version qui dit que les Yalkouyé ont dit aux Kansaye qu’ils sont faibles…Donc, pour prouver à ces connards qui se croient plus forts qu’ils ne valent rien, les Kansaye ont été dans l’obligation de montrer leurs muscles.

    😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆

    Il faut simplement leur dire qu’ils sont tous les deux FORTS et ils mettront, du coup, fin à la guerre.

    😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆

    Sans quoi, ils se bâteront jusqu’au dernier et même les POULES entreront dans la guerre.

    😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆

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