Mali : La mauvaise interprétation de l’état d’urgence tue la culture

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Adopté en janvier dernier, le décret qui instaure l’état d’urgence au Mali a plongé le secteur des arts et de la culture dans un malaise profond. La mauvaise interprétation a été sévère pour les artistes qui doivent faire face à la déchéance sociale. Or, le texte, tel que adopté par l’Assemblée nationale, n’interdit point les manifestations artistiques et culturelles. Explications.

 

“Depuis cinq mois, nous avons l’impression que le ciel nous tombe sur la tête. Un artiste qui ne joue pas est un homme qui ne mange pas”. Ce cri de détresse d’un responsable de la Fédération des artistes du Mali (Fédama) dans la presse, il y a quelques jours, en dit long sur les effets néfastes de l’état d’urgence sur le bien-être des artistes maliens.

 

 

Ils sont aujourd’hui des centaines d’artistes privés d’exercice de leur profession sous le prétexte fallacieux d’un texte mal compris par ses auteurs, mal expliqué aux populations et mal mis en application.

 

Décrété en janvier 2013 par les autorités de la transition, au début des opérations de reconquête du Nord, l’état d’urgence fait l’objet d’une mauvaise interprétation. Ils ont poussé l’ignorance des dispositions du texte jusqu’à interdire les manifestations artistiques et culturelles. Lundi dernier, le gouvernement a procédé à la rallonge de trop que l’Assemblée nationale a laissé passer comme lettre à la poste.

 

A la Commission lois du Parlement, le document qui nous a été présenté est, on ne peut plus clair : il n’interdit en aucun cas les manifestations artistiques et culturelles.

 

Le décret, qui s’inspire de la loi 1987, permet aux autorités, dans un contexte comme celui que nous vivons, de restreindre les libertés individuelles. Et les dispositions sont tellement claires qu’elles précisent que le texte permet aux autorités administratives de vérifier les courriers ou de mettre (par exemple) sur écoute un individu suspecté d’activités qui menacent la sécurité nationale.

Aussi, le texte, comme adopté par les députés, permet aux autorités administratives de procéder à des perquisitions chez une personne dont les activités sont douteuses. Il s’agit aussi d’interdire les marches et manifestations de mécontentements populaires pouvant être objet de récupération pour des objectifs de déstabilisation de régime.

 

Bref, le texte dans ses dispositions d’adoption de janvier, n’interdit nullement aux artistes de se produire en spectacle ou aux opérateurs culturels d’organiser les festivals ou rencontres culturelles.

C’est vrai qu’en janvier le contexte était tellement fragile que tout le monde avait le devoir d’arrêter tout projet et de soutenir l’armée et ses alliés. Mais la culture d’un pays ne peut s’arrêter parce qu’il est en guerre. Dans un contexte comme celui du Mali, la culture est un atout qu’il faut exploiter à fond pour surmonter la crise que nous traversons.

 

L’erreur est de se fendre d’arguments pour dire que les festivals ne sont que folkloriques. C’est méconnaitre le contenu des manifestations artistiques et culturelles de grande envergure. Un festival comme celui sur le Niger à Ségou, celui de Sélingué ou encore la Biennale artistique et culturelle, etc. constituent un véritable facteur de développement socio-économique pour les localités qui les abritent.

Cette ignorance des dispositions de l’état d’urgence profite aux hommes politiques qui, au pouvoir, gouvernent comme ils veulent, sans être inquiétés par les marches ou autres manifestations de protestations bien légitimes face à des décisions honteuses, comme celle de négocier avec les groupes armés du MNLA ou encore l’absence de l’armée à Kidal.

 

Pis, ces hommes politiques réunissent régulièrement pour les assises de leurs partis, des milliers de personnes. Ils ne connaissent pas l’”état d’urgence”. Mais lorsqu’il s’agit, pour des opérateurs culturels (dont l’apport au développement du pays est inestimable) de promouvoir leurs initiatives, le prétexte fallacieux de l’état d’urgence est brandi. Il n’y a donc pas de doute, la politique de deux poids deux mesures a de beaux jours devant elle.

Issa Fakaba Sissoko

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1 commentaire

  1. Merci tout est dit. Artistes produisez-vous ! Les spectateurs ne sont credules pour assister à tout, et se faire la peau ou se faire arnaquer sur le chemin du retour. Même le programme de la chaine nationale a pris un serieux coup.

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