L’imam Mahmoud Dicko se lance à l’assaut du peuple, à la reconquête d’empathie populaire s’entend. C’est l’impression qu’il se dégage de sa toute dernière sortie sur le plateau de France 24, la deuxième du genre en l’espace d’une semaine comme s’il disputait les tribunes médiatiques à son disciple entré en rébellion. En effet, le célèbre leader, comme dans le manifeste ayant suscité l’entretien télévisé en question, se force tant bien d’enfiler le manteau du patriote, mais fort probablement dans le but d’incarner l’homme religieux dans la plénitude de ses vertus politiques. Le Mali n’a certes pas atteint le fond de l’abîme mais sa trajectoire actuelle (qu’il a contribué lui-même à dresser) ne mène à rien de rassurant et mérite d’être corrigé, soutient-il. Et, en soutien à cette perception, le tombeur d’IBK en veut pour preuve la déliquescence de l’Etat, l’absence de l’administration dans le pays et son corollaire d’inaccessibilité des services sociaux de base pour une écrasante majorité de ses enfants dans un territoire hors de contrôle. En fin stratège, l’imam politicien paraît désormais assez mature pour ne pas trop s’attarder cette fois sur les jugements embarrassants pour quelques potentiels alliés de son projet. D’autant qu’il a retenu comme remède, si ce n’est la panacée, le rassemblement, la convergence et la cohésion nationale, etc. Bref, la même recette ressassée à l’envi sur toutes les lèvres, mais qui se veut d’une portée différente en étant vendue par une figure aussi emblématique que l’ancienne autorité morale du M5-RFP. C’est la même chose qu’il rabâche à travers l’offre politique contenue dans son manifeste où il propose ses services de médiateur et de vecteur principal du sursaut national auquel les acteurs publics sont conviés.
Sauf que dans son message télévisé comme écrit, l’ancien président du Haut conseil islamique parle de tout sauf de sa responsabilité historique dans les dérives ayant conduit à la situation décrite et qui continuent de faire peser le péril sur le devenir de la nation. Y ont pourtant contribué, selon toute l’évidence, une grave fragilisation de l’autorité politique transformée en proie facile par d’habiles et malveillantes manipulations de l’opinion, au détour notamment d’un secours aux valeurs et préceptes islamiques soi-disant torpillés dans le Code des personnes et de la famille. Il n’en était rien des orientations subversives injustement associées à ce texte, mais le pouvoir politique de l’époque ne s’est jamais remis des tirs croisés cautionnés et entretenus par le HCIM sous la férule de M. Dicko jusqu’au coup de grâce asséné par l’armée en déroute face aux assauts rebelles et narco-djihadistes.
Le joug islamiste qui s’en est suivi n’a fait que mettre en lumière une grande complicité de milieux islamiques maliens que cachent mal leurs prouesses dans l’élargissement d’éléments de l’armée régulière détenus par les assaillants. Et pour cause : l’imam, qui en a souvent pris la paternité à tort ou à raison, sera pris en défaut pour apologie du terrorisme avec ses tentatives de justifier les atrocités et exactions des groupes terroristes par les comportements anti-islamiques de ses concitoyens. Ses écarts vis-à-vis des préceptes républicains n’affecteront pas pour autant ses amitiés et connivences au sein de la classe politique, pas plus que son statut de repère impartial ne l’a empêché d’y afficher ses préférences. Là où sa neutralité et son équidistance étaient de mise et légitimement attendues, le président du HCIM s’est illustré par un penchant peu scrupuleux pour un protagoniste du jeu électoral au détriment de concurrents peut-être plus aptes à l’exercice du pouvoir que le protégé pour qui il reconnaît avoir transformé les maisons de Dieu en QG de campagne. Il admet d’ailleurs en éprouver du regret et d’avoir été désillusionné par une prestation en deçà de ses attentes. Mahmoud Dicko, quoi qu’il en soit, porte la responsabilité d’avoir embarqué les Maliens dans une aventure incertaine, un péché qu’il pense absoudre à coups de simples excuses publiques en s’échappant du navire IBK en plein milieu du gué. Pas forcément pour adhésion à la majorité de concitoyens qui n’y trouvaient pas son compte, mais vraisemblablement parce que les filons personnels qui l’entretenaient ont été tour à tour bouchés. D’abord par le PM Soumeylou B Maïga plus tard limogé sous sa pression, ensuite par son successeur Boubou Cissé qui est apparu moins manipulable et peu enclin à tolérer les interférences du religieux dans les décisions régaliennes.
C’est dire, en tout état de cause, l’inexactitude d’une propension à mettre au compte de l’engagement patriotique des causes qui semblent plutôt tenir de la motivation purement personnelle. Et ce ne sont pas les acteurs du M5-RFP qui diront le contraire, eux qui ont payé au prix de l’infantilisation pour l’idéalisation excessive d’une autorité morale révélée plus tard sous les traits de Machiavel en personne. Il n’est donc pas étonnant si la main-tendue et l’offre politique de l’imam rencontrait moins de réceptivité que partout ailleurs dans les milieux l’ayant naguère hissé au firmament.
Ce n’est pourtant pas que sa thérapie et la recette proposée soient superflues ou inopportunes. Quelle qu’en soit la motivation ou l’usage qu’il mijote d’en faire, elles perdent en crédit et jouissent de peu de confiance en étant portée par un personnage dont la versatilité n’est plus à prouver, au parcours jalonné d’orientations déroutantes et qui traîne les présomptions d’une loyauté peu rassurante aux valeurs de la République.
A KEÏTA