Depuis quelques temps, le marché malien est inondé par ces additifs alimentaires présentés sous forme de cubes. Ils sont devenus par la force des choses, le condiment le plus prisé par les ménagères aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Les marques foisonnent et les plus connues sur le marché sont sans nul doute : Maggi, Jumbo, Baramousso, Adja, Doli, pour ne citer que celles-là. Elles sont déclinées très souvent, selon un goût particulier qu’on leur attribue à grands coups d’opérations marketing : poulet, oignon, poisson, etc…
Sans protection sérieuse, le consommateur malien est laissé à la merci de n’importe quel produit nouveau qui arrive sur le marché. Les fabricants et les distributeurs, usant et abusant du marketing, parviennent à faire gober tout argument de vente, même des plus fallacieux parfois. Incapables de se faire une opinion exacte sur la composition de ces divers cubes, nos compatriotes, qui en raffolent désormais, ne savent rien des conséquences de ces produits sur leur santé.
Mais des voix s’élèvent de plus en plus pour fustiger nos habitudes alimentaires qui laissent une place prépondérante à la consommation de produits dangereux pour la santé. Et le sens commun de soutenir qu’avant l’avènement de la consommation exagérée d’additifs alimentaires dont ces bouillons de cuisine, la santé de la population s’en trouvait nettement meilleure.
« La génération des engrais et autres produits chimiques »
En effet, on se gausse « de la génération des engrais et autres produits chimiques » parce qu’auparavant, l’espoir de vie était meilleure et même à un âge assez avancé, on ne se plaignait pas de certains maux comme actuellement où rares sont les personnes qui ne souffrent pas d’hypertension, de diabète, et autres maladies dès la cinquantaine sonnée. Même la couche juvénile n’est pas épargnée dans ce lot de problèmes de santé. Chose plus grave, l’impuissance sexuelle, cause de nombreux divorces de jeunes couples, tend à devenir un problème de santé publique en ce sens qu’elle touche de plus en plus la frange juvenile de la population. Raison pour laquelle les médicaments aphrodisiaques, de la médecine moderne ou issus de la pharmacopée, s’arrachent comme de petits pains sur nos marchés.
Les produits consommés étant pointés du doigt comme l’une des causes de cette situation, notamment le recours excessif aux cubes, il urge de poser le débat pour que l’on sache où se situe réellement la vérité.
Le point de vue du cardiologue Moussa Dassé Mariko
Approché par nos soins pour en savoir davantage sur la composition de ces bouillons de cuisine et ses méfaits, Dr. Moussa Dassé Mariko, cardiologue à Hamdallaye, nous expliquera qu’il y a trois grandes variétés de composition de ces bouillons de cuisine : les bouillons à base de protéine animale, les bouillons à base de végétaux et des bouillons mixtes. Ces bouillons carrés présentés comme faits de légumes ou d’animaux, sont en réalité issus d’un processus industriel recherché et ils contiennent de nombreux ingrédients, parfois aberrants, comme une énorme quantité de sel ou de glutamate monosodique (additif alimentaire exhausteur de goût, composé de féculent et de sucre, favorisant l’obésité). D’ailleurs, la plupart de ces petits cubes contiennent plus de quinze ingrédients différents, et pas des plus sains : aromes artificiels, produit synthétique, additifs alimentaires, etc.
En ce qui concerne les bouillons solides cristallisés, Dr Moussa Mariko ajoutera qu’ils sont généralement constitués, de sel ou de glutomate associés à des épices d’origines diverses. Concernant les méfaits sur la santé, Dr. Mariko affirme que, biologiquement, le sel fait toujours un appel d’eau se traduisant par une élévation de la tension artérielle et pouvant occasionner des complications de maladie cardiaque, telles des insuffisances cardiaques avec de forts taux d’incapacité et de décès. «Personnellement, j’ai une préférence pour les sauces à base de produits naturels disponibles sur le marché. Une sauce dont la cuisson n’est pas trop portée. En un mot, une sauce cuite à point» nous a confié le cardiologue.
Des cubes utilisés pour castrer des animaux
Ousmane Sow, un éleveur rencontré au foirail (graal) de Lafiabougou, affirme qu’il utilise souvent ces cubes pour castrer les bœufs et les moutons et c’est en tout cas une pratique répandue dans les milieux de l’élevage. La castration des bœufs à l’aide de ces cubes se pratique dans les pays tel : Bénin, Mali , Sénégal. L’effet étant, dit-on, quasi immédiat. Si la rapidité de ce « traitement » peut être remise en cause, il est pourtant admis que ces cubes favorisent la stérilité des animaux. Pourquoi en serait-il différent pour les humains ? Là, gît toute la pertinence du débat.
Il est difficile de connaître la quantité de sel de chaque cube, car cette information n’apparaît ni sur les emballages ni sur les compositions de ces produits (aberrant dans une société où le sel est quasiment prohibé et où les industries sont sensées respecter une certaine transparence). Pourtant, sur des fiches recettes destinées aux professionnels, des curieux ont pu trouver pour plusieurs marques « 67,8 g de sel pour 100 g de cube », soit 5,4 g de sel pour 8 g de cubes (équivalent des 2 cubes quotidiens). Or, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) conseille fortement de ne pas dépasser les 5 g de sel par jour, l’excès de sel étant le principal facteur des maladies cardio-vasculaires, d’hypertension, d’AVC (accidents vasculaires cérébraux) et même de certains cancers.
Le cube Maggi utilisé comme suppositoire pour arrondir le postérieur des femmes
En RDC, des femmes utilisent le concentré d’aromates comme suppositoire pour arrondir leur postérieur. Certaines femmes de la République Démocratique du Congo se servent du cube Maggi par voie anale pour arrondir leur croupe, que les hommes préfèrent dodue. La pratique n’est pas sans risque pour la santé. Certaines introduisent en effet ce concentré d’aromates par voie anale pour avoir le postérieur généreux dont une majorité de Congolais raffolent. Elles l’utilisent dans sa forme brute comme suppositoire ou le liquéfient afin de l’introduire plus facilement par le biais d’une seringue.
Devant la menace sanitaire, des campagnes de sensibilisation ont été menées. Les dangers sont de plus en plus clairs, surtout dans l’esprit des filles scolarisées. Mais la tentation subsiste chez les plus minces, même instruites. Elles savent que leur silhouette frêle n’est pas un gage de beauté et que, pire, elle peut les faire passer pour des séropositives.
«Les bouillons contiennent tout ce qui est contre indiqué pour les maladies cardiovasculaires »
Au Sénégal, comme l’a publié le site Senenews le 14 juillet 2013, Dr Aliou Ba affirme que « les bouillons commercialisés au Sénégal contiennent tout ce qui est contre indiqué pour les maladies cardiovasculaires ». Cette déclaration contredit celle du directeur du Commerce intérieur du Sénégal, Ousmane Mbaye, qui dans un entretien accordé à un journal, affirmait que «les bouillons commercialisés au Sénégal ne présentaient aucun danger ». «Faux », rétorque Dr Aliou Ba qui enfonce le clou en arguant que «ces bouillons alimentaires sont fabriqués dans les pays comme le Maroc et la Tunisie, mais ils ne sont pas commercialisés chez eux ».
Selon le spécialiste en santé, «le potassium bloque le cœur. Un produit qui a le glutamate de potassium ne peut pas être commercialisé. Ces bouillons sont en train de détruire la population parce qu’ils contiennent tout ce qui est contre indiqué pour les maladies cardiovasculaires».
Et l’Anssa dans tout cela ?
A l’Agence nationale de la sécurité sanitaire des aliments du Mali (Anssa), le directeur adjoint qui assure l’intérim étant en mission, Dr. Sékouba Keïta trouvé sur place nous a fait l’honneur de nous briefer sur cette question. N’ayant pas été au cœur des études consacrées par l’Anssa aux cubes commercialisés au Mali, Dr. Keïta s’est contenté de nous faire savoir que sa structure n’a pas étudié tous les aspects de ces produits. Toutefois, a-t-il précisé, deux études sur la question ont été réalisées par l’Anssa et consacrées exclusivement aux méfaits des cubes Maggi, Jumbo et autres sur la libido des animaux. Sans entrer en profondeur dans les conclusions, il dira que la première étude concernait les petits ruminants, c’est-à-dire les moutons et autres. Et la deuxième est relative aux grands ruminants, à savoir les bœufs, etc.
Pour en savoir plus, il nous a indiqué de prendre attache avec Dr. Salimata Diawara qui a participé aux travaux. Malheureusement, cette dernière était également en mission au moment où nous mettions sous presse.
Mais en consultant les archives, on a pu récupérer un article publié par Les Echos du 11 octobre 2011 sur la question sous la plume de Abdourahmane Dicko. Nous vous en livrons des extraits: «A l’Anssa, toutes ces informations sont prises avec des pincettes et qualifiées de rumeurs sans fondement. Selon Dr. Adama Sangaré, chercheur dans la structure, qui assure la police sanitaire des aliments, leur service a été saisi en 2008 par le ministre de la Santé Mme Maïga, Zéinab Mint Youba. La saisine était relative à une information d’un groupe d’éleveurs qui disaient utiliser le cube Maggi pour castrer leurs animaux».
Et le journal de poursuivre : «L’Anssa a mis en place une équipe de chercheurs composée d’Adama Sangaré, Ibrahima Kassambara, Coulibaly Salimata, Jean-Baptiste Kéita, Ousmane Touré, Mahamadou Sacko, et Cissé Oumou Traoré. L’étude publiée en 2009 est intitulée : « l’utilisation des cubes alimentaires dans l’embouche des bovins et des petits ruminants dans le district de Bamako. Evaluation des effets potentiels sur la libido des animaux ». Les résultats sont publiés dans la revue « Mali médical cube Maggi » tome XXIII a duré trois mois et a concerné pour la première phase, les ovins (petits ruminants) ».
Seul « Vedan »
Selon toujours notre confrère : « L’étude a été réalisée dans les 11 marchés à bétail du district de Bamako. Le test d’observation a porté sur 20 béliers maures âgés de 2 à 3 ans répartis en 4 lots de 5 têtes chacun ; 15 brebis maures âgées de 2 à 3 ans synchronisées régulièrement et mises en chaleur pour les mesures de la libido. Les moutons ont été alimentés avec un régime composé de farine de niébé et tourteau de coton, avec respectivement 0 cube Jumbo le premier lot (témoins), 2 cubes pour le 2e lot et 4 cubes pour les 3 e et 6 cubes pour le 4 e lot ».
Selon les révélations de notre confrère citant l’Anssa : «L’enquête a prouvé que la principale ration utilisée par les emboucheurs était la combinaison paille de rousse et aliment bétail Huicoma (ABH) 98,70 %. Au lieu d’être considéré comme un vecteur d’impuissance sexuelle chez les animaux, l’étude a prouvé que 0,5 % des éleveurs de Bamako utilisent le cube (Jumbo Maggi poulet) pour engraisser leurs ovins. La raison est qu’il augmente l’appétit alimentaire et sexuel de ces petits ruminants.
Mieux, les chercheurs, aux dires de Dr. Sangaré, ont constaté que les animaux qui ont fait l’objet d’expérience avaient une libido plus élevée. Le mâle attaché à côté de la femelle avait un fort besoin d’accouplement. La conclusion des chercheurs est que ce produit n’a pas d’effets néfastes sur les organes génitaux des animaux mâles.
Le chercheur de l’Anssa fait savoir que cela n’est que la première partie d’une étude. Une autre est diligentée sur les bovins et se trouve au stade de rédaction des rapports. Il se garde de nous divulguer les résultats, qui au regard de leur déontologie sont du ressort du comité scientifique. Les conclusions dudit comité sont attendues en novembre prochain (2011).
Dr. Sangaré bat en brèche les arguments selon lesquels la composition du cube Maggi n’est pas connue. A ses dires, il est fait à base de glutamate de potassium qui caractérise son bon goût dans la consommation. Selon lui, c’est la variété de bouillon appelé « Vedan » qui est d’une composition méconnue jusque-là par l’Anssa».
Pourtant, toujours au Mali, vers la fin de l’année 2010, un atelier s’est tenu au CICB. Il regroupait tous les départements, directions et structurées spécialisées (ministères de la santé, de l’élevage, Agences en charge de la sécurité des aliments, laboratoires de santé, vétérinaires, chercheurs et universitaires…). L’ordre du jour portait sur les dangers liés aux additifs alimentaires, entendez les exhausteurs de goût, tous abusivement appelés au Mali «cubes » et/ou «arome».
Trois jours durant, les participants ont livré les résultats de leurs recherches et fait des témoignages très poignants sur le sujet. Il ressort de la synthèse du rapport que l’élément chimique à la base de la plupart des additifs alimentaires dont les exhausteurs de goût, s’appelle le Glutamate mono sodique ou GMS (E 621). Appelé aussi «potentialisateur de saveur», il s’agit d’une poudre blanche ayant l’apparence du sucre et avec la particularité de renforcer le goût des ingrédients auxquels il est mélangé. Il s’avère aujourd’hui, l’un des produits les plus contestés au même titre que la nicotine contenu dans les cigarettes.
Les risques mis en évidence par cet atelier national portant sur les dangers liés à la consommation des aromes et autres exhausteurs de goût, disons encore les bouillons culinaires, sont : faiblesse sexuelle chez l’homme, saignements vaginaux, troubles uro-génitaux, troubles cardiaques, hypo ou hypertension, gastrite, troubles du comportement chez l’enfant, gonflement de la prostate, maladies de Parkinson, d’Alzheimer …
Alors, qui faut-il croire ? C’est là où repose toute l’importance du débat que nous tenons à poser pour une bonne information des consommateurs, mais surtout pour y voir plus clair concernant les effets de ces cubes sur la santé des populations. Nous y reviendrons car le débat reste ouvert.
Boubacar SIDIBE