M. Boubacar Ould Messaoud, Président de SOS esclave de la Mauritanie : l’esclavage existe encore au 21è siècle""

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Tombouctou a abrité du 7 au 8 avril 2007 un forum sous-régional contre la pratique de l’esclavage en Mauritanie au Niger et au Mali. Cette rencontre était organisée par la communauté Tamacheck noire du Mali regroupée au sein de l’association Temedt. En marge des travaux, nous avons rencontré le président de l’association SOS esclavage de la Mauritanie M. Boubacar Ould Messaoud. Il nous parle ici du combat de son organisation contre cette pratique multiséculaire sur le plan national et sous-régional.

Le Républicain : Peut-on croire aujourd’hui en ce 21e siècle que l’esclavage existe encore dans nos sociétés ?
Boubacar Ould Messaoud : Oui, l’esclavage existe encore au 21e siècle. On le croit et on peut le voir. Chez nous en Mauritanie, on trouve des esclaves et je crois qu’on en trouve ailleurs. Si j’en crois l’association Temedt et ses militants, l’esclavage existe également au Mali. Il existe aussi au Niger au moins.

Depuis quand votre organisation existe alors ?

Notre organisation existe depuis 1995 en tant que organisation autonome, indépendante.

Quelles sont les formes et manifestations de l’esclavage de nos jours ?

L’esclavage existe dans les milieux ruraux comme dans les milieux urbains. C’est une main d’œuvre. C’est une personne qui est propriétaire d’une autre personne, qui en abuse et qui en dispose à sa guise. Il les (esclaves) fait travailler sans salaire, il a toute l’autorité sur eux. Ils ont besoin de son assentiment pour se marier. Qu’ils soient hommes ou femmes. Il peut les léguer à sa mort à ses enfants. Il peut les vendre, bien que la vente soit très rare. Parce qu’elle a été enrayée depuis très longtemps, depuis le temps colonial. Il était déjà très difficile au moment de l’indépendance. Mais il existe encore de nos jours.

Quels sont les fondements de ce phénomène ?

A l’origine, c’est la violence, les guerres tribales, les razzias et la misère. L’esclavage s’est surtout consolidé quand les maîtres d’esclaves ont développé une idéologie esclavagiste qui a réussi à enchaîner les esclaves à leurs maîtres. Ils ont réussi à leur faire croire que leur situation, que leur condition de vie sont voulues par Dieu. Et qu’il serait grave de leur part, voir inadmissible, de se rebeller contre leur maître. Et que leur admission au Paradis dépend entièrement de leur soumission à leur maître. Ce sont des fondements pseudo-religieux.

Car je pense que la religion musulmane ne justifie pas l’esclavage comme nous le connaissons aujourd’hui. L’esclavage a précédé la religion et l’islam a mis en place des principes et des règles qui auraient permis la disparition de l’esclavage dans le premier siècle de l’Hégire, si les gens avaient été honnêtes. Dans notre religion et notre tradition, il est dit qu’un musulman ne peut pas mettre en esclavage un autre musulman. Cependant dans nos pays, souvent ce sont des musulmans qui sont esclaves des musulmans. Et ceci, à notre avis, et de l’avis de tous les Ulémas que nous avons rencontrés, n’est pas acceptable et est tout à fait contraire à l’enseignement de l’islam.

Pouvez vous nous parler du parcours de votre organisation ?

SOS esclave a été créée à la suite de certains événements survenus en Mauritanie. Ces événements sont essentiellement dus au fait que la Mauritanie a aboli l’esclavage en 1981 et que, au cours d’une décennie, nous avons constaté que cette abolition n’a donné lieu à aucun effet. Le seul effet qui a été produit c’est que certains cadres Haratines qui avaient posé la revendication ont été promus à des postes importants de l’Etat. Ils sont devenus soit : Premier Ministre, secrétaire général de ministère, directeur général des sociétés d’Etat.

Mais l’esclavage continue et on s’est rendu compte qu’il fallait s’organiser et se mettre à la disposition des victimes pour pouvoir les aider et réussir à avoir leurs témoignages pour rendre visible la pratique de l’esclavage. Car, je vous dis que l’esclavage est invisible dans nos sociétés. Parfois il est esclave de blanc et lui il est généralement noir ou blanc, mais il peut être aussi esclave de noir. Et on peut être aussi un homme libre et noir.

Donc ce n’est pas toujours la couleur de la peau qui détermine qu’on est esclave ou pas. Ce qui détermine qu’on est esclave, c’est les rapports réels de travail qu’on a avec les personnes, les rapports réels de la vie qu’on a avec les autres. Et ceci, on ne peut les reconnaître que s’ils sont reconnus par ceux qui les subissent comme tels. Si l’esclave ne reconnaît pas qu’il est esclave et ne le dit pas, vous ne pouvez pas l’affirmer au risque de passer pour un affabulateur.

Et on va toujours chercher à vous présenter comme un menteur si vous ne prenez pas les précautions nécessaires. On a donc créé SOS esclavage sachant que nous sommes d’abord intéressés par la défense des droits de l’homme. Si vous vous souvenez, dans les années 1989, à la suite d’un incident entre la Mauritanie et le Sénégal, en Mauritanie il y a eu beaucoup d’exactions contre les noirs Wolof, Pouhlard, et Soninké.

Dans ces exactions, les Haratines ont été les principaux acteurs utilisés par les Maures qui les ont dressés contre les autres noirs. Et ce conflit a fait beaucoup de pertes en vies humaines. Il y a eu des déportations. C’est dans la dénonciation de ce drame qu’il y a eu la création de plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme en Mauritanie. Il y a l’association mauritanienne des droits de l’homme, qu’on appelle AMDH comme chez vous ; il y a le GRDS, qui est un groupement d’étude et de recherche pour la démocratie et le développement économique et social. Il y a aussi le comité de solidarité avec les victimes de la répression.

A l’époque, on a inventé plusieurs coups d’Etat, plusieurs tentatives de coup d’Etat pour éliminer les noirs, les réduire en Mauritanie. Dans la mouvance de la création de ces associations, les Haratines comme moi ont décidé de créer cette organisation de défense des droits de l’homme qui a au centre de son action, le problème de l’esclavage.

Quelles sont vos activités ?

Nous somme une organisation de défense des droits de l’Homme qui s’occupe des victimes d’arrestations arbitraires, d’emprisonnement, de détention, de procès inéquitables. Nous luttons également contre l’impunité des juges et la torture des policiers. Dans ce contexte, nous avons choisi d’appeler notre organisation SOS esclave parce que nous voulons frapper l’imagination de tout un chacun, du monde entier.

Quand on dit SOS esclave, nous mettons l’accent sur l’esclavage, nous le dénonçons immédiatement. Nous nous considérons comme des gens qui sont venus assister des esclaves en détresse.

Nous avons souvent des individus qui viennent nous demander de les assister et nous les assistons. Qui a son enfant qui a été retenu par son maître comme esclave domestique, sa fille qui a été mariée sans son avis ou donnée comme domestique à la fille du maître. Qui, à la mort de son père, se voit dans l’incapacité d’hériter de ce dernier. Car le plus souvent, c’est le maître qui vient prendre les biens et ainsi de suite.

Donc, toutes ces formes de pratiques esclavagistes font très rarement l’objet de réclamation. Ce sont des cas isolés qui nous permettent de mettre en visibilité l’esclavage. Parce que nous accompagnons nous-mêmes la victime chez l’autorité qui est obligée de reconnaître qu’il y a un cas de pratique d’esclavage. Et nous l’obligeons à assister l’individu. Malheureusement, jusqu’à présent, ce que nous constatons c’est que l’autorité aide l’individu à récupérer ses biens ou son enfant mais ne fait aucune démarche, aucune action pour punir les esclavagistes. Et ça, c’est une forme de connivence, de complicité que nous combattons. Nous ne sommes pas encore parvenus à résoudre ce problème parce que nous manquons de cadre juridique. Le code pénal mauritanien ne permet pas de poursuivre ou de punir les esclavagistes sous prétexte qu’il n’y a pas de loi criminalisant l’esclavage.

Dans le code pénal, rien de relatif à l’esclavage n’est prévu. Ça fait partie de notre revendication au stade actuel bien que nous savons aussi qu’il peut il y avoir une loi, mais que les gens peuvent ne pas l’appliquer. C’est ce qui se passe aujourd’hui au Niger. Mais avoir la loi est nécessaire. Nous continuons à exiger cela. Tout dernièrement, nous avons obtenu des derniers candidats qui étaient passés au deuxième tour de l’élection présidentielle qu’ils nous promettent qu’après leur élection, ils vont faire voter une loi définissant l’esclavage, le criminalisant dans le code pénal. Ils ont accepté et d’ailleurs nous pensons que dans les premiers mois qui suivent, nous allons présenter un projet de loi aux autorités pour avoir cette loi.

Quelles sont les réactions des autres communautés face aux actions de votre organisation ?

La communauté des classes supérieures qui sont les maîtres d’esclaves nous regarde avec un air de mépris et de dérision. Ils considèrent que l’esclavage n’existe pas et que nous sommes en train d’en faire un fonds de commerce à l’extérieur parce que nous n’avons rien. Que nous vivons sur la misère des gens alors qu’il n’y a pas d’esclavage. Les esclaves eux-mêmes ne sont pas toujours convaincus de la rigueur de notre combat parce les rapports de domination qu’ils ont subis et qu’ils continuent de subir sont tels qu’ils ne croient pas encore à ce que nous faisons. Les autorités, elles, sont en général influencées par les classes dominantes qui sont complices des pratiques esclavagistes, car ils en tirent souvent profit.

Est-il possible, selon vous, d’éradiquer le phénomène ?

Bien sûr qu’il est possible. Nous travaillons à cela. Toute ma vie, je la consacre à la lutte contre ce phénomène. J’ai personnellement créé cette organisation avec des amis pour ça. Tout le long de notre parcours, nous avons exigé que nous soyons pris comme des interlocuteurs de cette communauté.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Nous n’avons pas de moyens économiques. On parle de leur libération, de leur émancipation. Mais leur émancipation est fonction de leur autonomie sur le plan économique. Alors que dans nos pays, notamment en Mauritanie, la terre appartient encore aux tribus. Et ce sont les maîtres qui en ont encore le privilège. Et les esclaves ne sont que les exploitants. Ils peuvent rester exploitants tout le temps que les maîtres sont encore contents d’eux. Et aujourd’hui quand ils refusent de voter du côté des maîtres, ils sont renvoyés des terres. Leur attachement à la tribu est dû à des raisons d’ordre économique, à la tradition et à l’habitude etc. Même dans les garages et les ateliers, ce sont les mêmes maîtres qu’on retrouve là-bas. Car c’est eux qui ont bénéficié des prêts et subventions de l’Etat depuis une quarantaine d’années.

Aujourd’hui, il ne suffit pas d’avoir des lois qui interdisent l’esclavage ou des lois le criminalisant. Il faudrait que l’esclave lui-même puisse avoir les moyens de survivre indépendamment de son ancien maître. Il faut faire des projets économiques ciblés. Faire de la discrimination positive en faveur des anciens esclaves est incontournable. Il y a également le problème de changement des mentalités des uns et des autres pour éradiquer le phénomène.
Nous sommes au 21e siècle, déjà les gens ne sont plus enchaînés, ils ne sont pas frappés nécessairement ou enfermés, mais ils sont aliénés par leur éducation, par leur tradition, leurs parents, et tout leur environnement. Les conditions de vie et surtout l’enseignement traditionnel religieux participent à leur soumission.

 Il faut une sensibilisation volontariste faite par les autorités, la société civile pour parfaire leur émancipation. Il faut que dans des prêches les Imams parlent de l’esclavage et qu’on "déconstruise" son fondement pseudo-religieux. Et en ce moment, nous pensons qu’on rentrera dans une situation normale. Cette situation normale veut également qu’on enseigne les droits de l’Homme à l’école, à l’université. Et que les Haratines ainsi que les autres communautés noires qui ont subi l’esclavage soient réhabilités. Qu’ils puissent être partout. Qu’on en trouve des magistrats. Car chez nous, 90% des magistrats sont des maures blancs, et 75 % des préfets appartiennent également à cette communauté. Il en est de même dans l’armée et la douane.

Propos recueillis par Abdoulaye Ouattara

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