Du 21 au 21 octobre, TEMEDT a organisé, au palais de la Culture Ahmadou Hampathé Ba, un atelier d’information et de sensibilisation à l’intention des organisations de la société civile et de défense des droits humains. La cérémonie était président par le président du TEMEDT, M. Ibrahim Ag Idbaltanat.
Après le mot de bienvenu du président, le coordinateur du projet, Mohamed Ag Akeratane, a présenté TEMEDT. Il a rappelé que l’association TEMEDT a vu le jour le 12 août 2006 à Ménaka, suite au forum de la communauté noire Kel Tamasheq. Elle s’est fixée comme objectif la consolidation de la paix, le développement, la promotion et la protection des droits humains. TEMEDT compte plus de 29 0000 adhérents.
Malgré la non reconnaissance de l’esclavage par nos autorités, les actions de TEMEDT sur le terrain prouvent toujours le contraire par la libération des esclaves ou en aidant ceux-ci à faire appel à la justice. Le cas Iddar Ag Ogazide que TEMEDT est le plus éloquent. Il a expliqué aux participants à l’atelier ses conditions de vie chez son maître. Il vit présentement en homme libre à Gao.
Nous vous proposons son témoignage sur sa vie d’esclavage et sa fuite.
«Je m’appelle Iddar Ag Ogazide né vers 1973 à Tinahamma, cercle d’Ansongo, région de Gao. Mon père et ma mère ont divorcé alors qu’on était assez jeunes, mes frères et moi au nombre de 7 (2 filles et 5 garçons).
Notre sœur qui est l’aînée a été vite mariée à un certain Alitny qui réside actuellement à Tigherissene, commune de Djebok. Notre famille, du moins moi et mes frères, sommes par la naissance esclaves de Monsieur Erzaghi Ag Baye, chef de la fraction Imididagane et chef du site de Intakabarte de la commune de Anchawaj. C’est notre mère qui a appartenu à Erzaghi, et de ce fait il nous a hérités après la mort de ma maman en 2000.
Aucun de nous n’est jamais allé à l’école et on nous disait que notre nombre était pris en compte chaque année dans le patrimoine des maîtres pour le paiement de la dîme ou taxe religieuse annuelle sur le revenu, comme pour les autres biens que possède le maître.
Nous avons toujours résidé au service de notre maître Erzaghi et de ses enfants et cela sans aucune forme de rémunération ; il n’en a jamais été question. Trois de nos frères ont réussi à s’échapper: Deux (2) sont partis à Famallé au Niger et le troisième est allé en Algérie.
Localement les personnes d’origine servile considèrent Famallé du Niger comme une localité libératrice et la majorité de ceux qui fuient les conditions serviles s’y retrouvent. C’est ainsi que mon père y réside depuis longtemps, ce qui a facilité l’intégration de mes deux frères.
Nous vivons tous dans les conditions d’esclavage, mes frères et moi mais aussi d’autres parents, toutefois m’occuper de mon cas est déjà très osé. Ma grande sœur qui se trouve à Djebok a été victime de l’enlèvement de sa petite fille âgée de 3 ans par un des fils de Erzaghi il y a à peine 5 mois. Sa famille reste impuissante à trouver une solution.
Pour revenir à mon cas, à partir de 1998, quand Erzaghi a constaté que je commence à grandir, et de plus en plus à multiplier les contestations par rapport à certains abus, violences physiques, le peu de soins ou d’attention à mon égard malgré ma qualité d’homme à tout faire (berger, garçon de maison, corvée d’eau, la soumission tout court).
Aussi, en grandissant, je me suis fait une copine du nom de Takawalate. Elle aussi, évidemment, était esclave d’un neveu à Erzaghi qui s’appelait Monsieur Attawaf Ag Assewetane. Erzaghi, mon maître, m’approcha un jour pour me dire de me trouver une épouse et qu’il est temps que je fonde un foyer. J’ai refusé d’accéder à sa proposition.
Deux (2) mois plus tard, on m’emmène Takawalate en tant qu’épouse sans jamais être associé ni de près ni de loin à une quelconque démarche de mariage religieuse ou pas. J’ai laissé faire car de toutes les façons il n’y a aucun choix possible pour moi vu mon statut. Mes frères ne sont jamais venus nous voir. Ils évitent même d’arriver à Ansongo, craignant de rencontrer Erzaghi, cela reste valable pour notre père.
Depuis quatre (4) ans, nos conditions d’existence deviennent de plus en plus insupportables car en plus de Erzaghi, ses deux fils Acheih et Zeynoudine ont chacun une famille et la charge repose sur moi et mes deux frères.
Un jour, Acheih, malgré son jeune âge par rapport à moi, se permet de me frapper prétextant que j’ai égaré ou détourné une partie du troupeau, et cela en présence de son père qui faisait semblant de s’interposer entre nous pour éviter que nous venions aux mains. Cette scène a duré à peu près une heure de temps.
Une deuxième fois, revenant des pâturages le soir, j’ai trouvé qu’il n’y avait pas d’eau à boire, or j’avais soif. J’ai réprimandé mes frères qui ne s’étaient pas rendus à la mare, comptant toujours sur ma femme. Cela se passait en présence des deux enfants de mon maître Erzaghi: Acheih et Zeynoudine, car nous résidons dans le même hameau de pâturages. Ils ont été offusqués par le fait que j’ai demandé à mes petits frères d’avoir un minimum de respect envers ma femme, en l’aidant à approvisionner la famille en eau.
Acheih m’administra aussitôt trois gifles, sans aucune réaction de ma part. Devant sa persistance à vouloir continuer à me frapper, je me suis levé et il m’a suivi. Là, je lui ai donné un coup de bâton sur la fesse. Son frère prit un pilon et me donna successivement trois coups que j’ai réussi à esquiver. Je lui ai dit en ce moment de douleur intense, d’une voix très sévère, que s’il ne cesse pas de m’agresser ainsi, je vais le tuer. C’est en ce moment qu’il déposa le pilon et cessèrent tous de s’attaquer à moi.
De mon «union» avec Takawalate naquirent quatre (4) garçons, le dernier est né le 27 février 2008 à Gao. Déjà, en 2007, mon fils aîné âgé à l’époque de 6 ans avait été donné à un autre membre de la famille de Erzaghi résidant ailleurs. Devant nos plaintes, ma femme et moi, Erzaghi a fini par nous le ramener.
En Décembre 2007, Erzaghi en compagnie de Zeynabou Walet Assewatane une nièce à lui, qui aussi la propriétaire de ma femme, étaient venus à notre hameau de pâturage et y passent la nuit.
Le matin, ils prirent Ahmed, mon fils, pour le mettre ainsi au service de sa maîtresse à Tigherissene. Notre opposition, ma femme et moi, n’a rien servi car à leurs yeux, ils n’ont rien fait de mal en emmenant leur petit esclave.
Devant l’impuissance, face à tant de violences et humiliations, j’ai pris pour la première fois la décision de m’éloigner à jamais de Erzaghi quelque soient les conséquences. Ainsi, ma femme et moi avons arrêté un plan de fuite : Trois jours avant le jour J, j’ai fait circulé l’information, en demandant l’assentiment de Acheih, mon voisin de hameau, que je dois faire voyager ma femme pour qu’elle rende visite à ses parents près de Bara (dans le cercle d’Ansongo).
Acheih s’est opposé, mais je l’ai rassuré et convaincu que mon absence ne sera que pour une journée. Il m’a demandé de ne pas partir avec mon fils aîné. Selon lui, «ses grands parents risquent de lui inculquer de mauvais comportements».
En définitive, il a cédé. Le jour de notre départ, à quelque chose malheur est bon, il était lui-même en bagarre avec sa femme à tel point qu’ils n’ont pas pu faire attention aux affaires qu’on prenait à l’occasion du faux congé de ma femme.
Arrivés chez mes beaux parents, ils m’ont prié de continuer et chercher refuge ailleurs par peur de représailles de la part de nos maîtres. Ils n’ont même pas accepté que leur fille qui était presque à terme (pour l’accouchement) reste avec eux, en attendant que je trouve un point de chute.
Ainsi, nous avons continué sur Ansongo où nous avons passé quatre nuits entrain de réfléchir sur la destination à prendre: Gao ou le Niger. Nous avons cherché des conseils auprès des gens avertis sur la meilleure décision à prendre pour échapper à notre maître. C’est là que j’ai entendu brièvement parler de Temedt et il m’a été conseillé aussi d’aller à Gao et me plaindre à la justice, et que, peut être ainsi une solution sera trouvée. J’ai alors envoyé ma femme, et les enfants, accompagnée de sa mère auprès d’un de ses cousins domicilié à Gao. J’ai vendu les deux ânes que nous possédions ensuite je les ai suivis.
Une fois à Gao, je me suis fait une carte d’identité nationale et ensuite j’ai adhéré à l’association Temedt. Mon maître, Erzaghi, nous a poursuivis en passant par le campement de mes beaux parents avant de venir me trouver à Gao. Là, il me menaça de me convoquer à la gendarmerie si je n’acceptais pas retourner avec lui. Il m’a aussi promis que si je retournais, il allait me rendre mon fils.
Quand il m’a quitté, j’ai été déclaré l’affaire à la gendarmerie qui me remit une convocation pour lui. Je n’ai pas pu le trouver car il est retourné en brousse et je ne pourrais jamais me permettre de le poursuivre avec une convocation jusqu’à Intakabarte.
J’ai attendu pendant deux semaines pour voir s’il ne reviendrait pas en ville. C’est après cela que je suis retourné à la gendarmerie pour leur dire que je n’ai pas trouvé Erzaghi. Ils m’ont verbalisé pour 2000 F CFA, à cause, selon eux, du fait que je ne suis pas vite revenu. Ils m’ont même dit qu’Erzaghi est passé les voir en compagnie du maire de Djebok dans le but de me convoquer à la justice et ils l’ont dissuadé.
Ensuite, ils m’ont invité à écrire une plainte en payant 5000 F CFA. J’ai dis que je n’ai même pas un rond. Ils m’ont répondu que c’est la condition. Ainsi, je demeure bloqué en ce moment par rapport à la recherche de mon fils Ahmed, peut être que Dieu m’aidera un jour».
Cette déclaration de Iddar Ag Ogazide a été déposée devant le procureur à Gao.