En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants au Mali, c’est le parfait désamour entre la Direction générale des douanes et l’Office central des stupéfiants. Si les douaniers se prévalent d’une certaine autonomie dans ce domaine et organisent leur propre cérémonie de destruction des drogues saisies, en dehors de celle organisée annuellement par l’Ocs à chaque mois de novembre, ce n’est pas l’avis de l’Ocs dont le directeur général a lancé solennellement un message à la Douane pour coopérer avec l’Ocs qui assure, selon la Loi, les missions de coordination et de supervision de la lutte contre le trafic de stupéfiants au Mali.
L’Office central des stupéfiants (Ocs) a procédé, le mardi 30 novembre dernier, à l’incinération de plus de 17 tonnes de produits illicites, notamment des drogues de différentes variétés et des faux médicaments. Ce stock représente les saisies opérées au cours de l’année par différents services, sauf ceux de la Direction générale des douanes. La raison est bien simple : la Direction générale des douanes organise sa propre cérémonie officielle de destruction des stocks saisis par ses services, sans aucune implication de l’Office central des stupéfiants.
Pour mettre à cette mésentente qui se répercute même parfois sur la conduite de certaines opérations sur le terrain, l’actuel directeur de l’Ocs, le colonel Fousseyni Keïta, en répondant aux questions des journalistes qui l’interrogeaient sur les détails de l’opération d’incinération et notamment sur les différents services qui ont participé à la constitution dudit stock par leurs opérations contre le trafic de stupéfiants, a noté l’absence du stock de saisies opérées par les douaniers. Il en a profité pour appeler la Direction générale des douanes à rejoindre désormais l’Ocs pour rende la lutte contre les stupéfiants plus efficace.
Il faut rappeler que l’article 35 de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, ratifiée par le Mali, impose aux Etats membres d’assurer sur le plan national la coordination de l’action préventive et répressive contre le trafic illicite des drogues à travers la création d’un service approprié chargé de cette coordination. C’est dans le cadre de l’internalisation de cette convention des Nations Unies que le Mali a pris un certain nombre de mesures législatives et institutionnelles, parmi lesquelles la loi n°01-078/AN-RM du 18 juillet 2001 portant sur le contrôle des drogues et des précurseurs, modifiée par l’Ordonnance n°2013-012/P.RM du 02 septembre 2013 qui crée l’Office central des stupéfiants (Ocs)
C’est un service central du ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, composé d’agents de tous les services impliqués dans la lutte contre le trafic illicite de drogues (la Police, la Gendarmerie, la Douane, la Justice, la Santé ou tout autre service d’apport nécessaire). C’est l’Office central des stupéfiants, composé d’une direction basée à Bamako et d’antennes dans chaque capitale régionale du pays. Toutes ces antennes sont opérationnelles, excepté celle de Kidal qui s’est repliée à Bamako en 2012, suite à l’occupation des régions du nord du pays.
Dans le district de Bamako, il dispose de trois antennes, dont l’une sur la rive droite, une autre sur la rive gauche et une troisième à l’aéroport international de Bamako-Sénou abritant la Cellule Aéroportuaire Anti-Trafic/Antenne de l’Office central des stupéfiants (CAAT/A.OCS) qui travaille en parfaite intelligence avec tous les services aéroportuaires pour produire ensemble de très bons résultats.
Des missions de coordination opérationnelle des actions au plan national
Mais en dehors de ses missions opérationnelles légales, l’Ocs, de par la Loi, est chargé d’assurer la coordination opérationnelle des actions de lutte contre le trafic illicite des drogues menées par les autres services de répression. A ce titre, il doit être prévenu, informé ou associé de toutes les opérations menées ou à mener par les autres services qui concourent à la lutte contre le trafic illicite des drogues. Le rapport d’exécution de ces opérations lui est transmis sans délai (art. 27 du décret n°2015-0400 du 04 juin 2015).
La coordination nationale de la lutte contre la drogue étant une exigence de la convention des Nations-unies de 1961, de ce fait, les autres structures (Police, Gendarmerie et Douane) sont tenues de transmettre à l’Ocs toutes les informations relatives à leurs saisies des drogues. Ces informations permettent à l’Ocs d’élaborer un rapport annuel et une statistique sur l’usage et le trafic illicite des drogues au Mali et de les transmettre au Gouvernement et à l’Organe international de contrôle des stupéfiants (Oics).
Pour bien mener ses missions et opérations, l’Office central des stupéfiants dispose d’un privilège de compétence en matière de trafic international des drogues. C’est ainsi que, sur réquisition du Procureur du Pôle judiciaire spécialisé, le Procureur territorialement compétent fait dessaisir toute unité de répression d’une affaire de trafic international des drogues au profit de l’Ocs (art. 142 nouveau de l’ordonnance n°2013-012 du 02 septembre 2013).
Privilège de compétence
Le privilège de compétence en matière de trafic international des drogues se justifie par le fait que l’Ocs peut communiquer avec les offices centraux et services correspondants étrangers en vue d’approfondir les investigations au-delà des frontières nationales (art. 31 du décret n°2015-0400 du 04 juin 2015).
Au regard de la législation nationale, il ne saurait donc y avoir confusion des rôles entre les douaniers et les limiers de l’Ocs et pourtant la mésentente existe, favorisée par le fait que les deux services soient de tutelles différentes : la Direction générale des douanes relève du ministère de l’Economie et des finances, alors que l’Office central des stupéfiants est sous la tutelle du ministère de la Sécurité.
Effectivement, la question de tutelle est un argument brandi une fois par les douaniers qui avaient refusé de se soumettre à un arrêté pris par le ministre de la Sécurité et de la protection civile rappelant que la destruction des drogues saisies doit se faire par une commission nationale coordonnée par l’Ocs.
Cependant, la Loi a institué un pont pour permettre à tous les services de traverser ces divergences éventuelles, liées à la tutelle. C’est la création d’une Mission interministérielle chargée de la lutte contre le trafic de stupéfiants, avec un Secrétariat permanent animé par l’Ocs, en tant que coordinateur légal de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Cette Mission a une importance capitale dans le dispositif national antidrogue et ne devait, par conséquent, se faire désirer dans sa mise en place.
Si les autorités de la Transition veulent bien mettre fin à la mésentente entre la Direction générale des douanes et l’Ocs, il suffit tout simplement de hâter l’effectivité de cette Mission interministérielle et de la doter des moyens nécessaires à son fonctionnement. N’oublions pas que d’autres départements ministériels sont aussi impliqués dans les opérations anti-stupéfiants et rechignent à jouer pleinement leur rôle, en l’absence d’une structure fédératrice comme la Mission interministérielle, laquelle permettra de fédérer les efforts et les énergies, créant ainsi une synergie efficace d’action.
Amadou Bamba NIANG