Lutte contre le criquet pèlerin : L’expertise avérée de la CLCPRO

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La Commission de lutte contre le criquet pèlerin en région occidentale (CLCPRO) a tenu, la semaine dernière à Bamako, la 9è session ordinaire et la 12è réunion de son Comité exécutif. Ces rencontres ont regroupé les experts des 10 pays membres, à savoir l’Algérie, le Burkina Faso, la Libye, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Tchad et la Tunisie. A cette occasion, nous avons rencontré le secrétaire exécutif de la CLCPRO, le Mauritanien Mohamed Lemine Hamouny, qui est en même temps, le coordinateur du Programme Système de prévention et de réponse rapide contre les ravageurs et les maladies transfrontières des animaux et des plantes (dont le sigle anglais est EMPRES) en région occidentale.

L’Essor : Pouvez-vous nous expliquer le rôle et les missions de l’organisation que vous dirigez ?

Mohamed Lemine Hamouny : La CLCPRO est une organisation qui regroupe des pays de l’Afrique de l’ouest et du nord. Elle a été créée en 2002 et a pour mission de promouvoir, sur le plan national, régional et international, la stratégie de lutte préventive contre l’un des principaux ravageurs des cultures dans notre région qui est le criquet pèlerin. Cette commission, dont le siège se trouve à Alger (Algérie), assure depuis sa création la mise en œuvre de cette stratégie à travers notamment la mise en œuvre du Programme EMPRES, programme de prévention de la FAO financé par les partenaires au développement en plus des financements propres des pays membres.
La réunion des ministres en charge de la lutte contre le criquet pèlerin tenue en 2009 à Bamako a jeté les bases de la durabilité de la lutte préventive à travers l’augmentation substantielle des contributions des Etats membres au Fonds fiduciaire. Ce Fonds est dédié uniquement aux 4 pays dits de la ligne de front que sont le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Ils abritent les principaux foyers de grégarisation du criquet pèlerin et sont généralement à l’origine des invasions acridiennes. Tout l’effort de la Commission est concentré sur ces 4 pays de la ligne de front. Bien évidemment, le reste des Etats membres bénéficient de l’appui de la Commission en termes de renforcement des capacités, de gouvernance, de suivi-évaluation etc. La réunion de Bamako marque la deuxième étape de l’évolution de la Commission. La rencontre d’Alger, en 2016, a validé le Fonds régional de gestion du risque acridien (FRGA) à hauteur de 6 millions de dollars US (3 milliards Fcfa). La Commission est confrontée à des contraintes hors de contrôle de la lutte préventive contre le criquet pèlerin comme la sécurité et les effets des changements climatiques. Ce Fonds doit gérer ces risques et permettre de faire face à des invasions dans les zones non contrôlées du fait de l’insécurité. La réunion de Bamako a statué sur la répartition des contributions à ce Fonds. Elle a validé les amendements apportés à l’Accord portant création de la Commission qui vise à lui donner plus d’autonomie et à répartir les quotas de contributions des pays à ce Fonds fiduciaire.

L’Essor : Quel est l’état des lieux en ce début d’hivernage pour certains pays membres de l’organisation, autrement dit quelle la situation du criquet pèlerin dans l’espace commun ?

M. L. H : Cette année, les spécialistes prédisent un hivernage très exceptionnel, donc des pluies précoces et des prévisions pluviométriques supérieures à la normale. Il faut s’attendre à des quantités de pluies supérieures à la normale des pluies dans notre région. Le facteur pluie étant une condition favorable pour le développement du criquet, cette conditionnalité ne sera plus un handicap pour sa reproduction. D’où, la nécessité pour nos pays de prendre des dispositions pour assurer une veille permanente dans les foyers de grégarisation.
C’est un thème qui a été abordé lors de la session de Bamako. Les plans de surveillance des pays de la ligne de front ont été validés. Pour les pays qui vont commencer la campagne, si le besoin se fait sentir, la Commission les viendra en appui pour être sûre que les dispositifs de surveillance, d’alerte précoce et d’intervention rapide seront opérationnels en temps opportun.
L’Essor : Le criquet pèlerin représente une menace permanente pour les pays membres de la CLCPRO et pas seulement. D’autres régions abritent des zones grégarigènes de l’insecte. Y-a-t-il une coopération et de quel genre entre ces zones et la CLCPRO ?

M. L. H : Le criquet s’étend sur plus de 30 pays du monde. Il est présent de l’Asie du sud ouest à l’Afrique du nord, du centre et de l’ouest. Il représente un espace vaste de 16 millions de km2 en période d’invasion. Au regard de l’immensité spatiale de la présence du criquet pèlerin, la communauté internationale a confié la coordination à la FAO. Cette dernière a créé des commissions régionales, dont une se trouve en Asie du sud ouest, qui regroupe l’Inde, le Pakistan, l’Iran et l’Afghanistan.
La région centrale regroupe tous les pays du pourtour de la mer rouge et la région occidentale qui regroupe les pays de l’Afrique de l’ouest, du nord-ouest, est la zone qui nous concerne. Entre ces trois régions, il y a toujours un échange de populations d’insectes. Autrement dit si la lutte préventive n’est pas correctement réalisée dans une région, l’autre pourra être affectée. D’où, la nécessité d’une collaboration étroite entre les régions d’infestation. D’ailleurs, le Secrétaire exécutif de la région centrale est présent à la réunion de Bamako en vue de consolider davantage la collaboration entre les zones.

L’Essor : De quels moyens techniques et financiers dispose la CLCPRO pour faire face à une invasion majeure de l’insecte dans l’espace commun ?

M. L. H : Nous disposons de ce Fonds régional de gestion du risque acridien que nous venons de créer et qui est alimenté par les contributions propres des Etats à hauteur de 1,3 million de dollars US. Et nous souhaitons que ce financement soit complété encore par d’autres contributions des Etats membres au cours de cette année. Ce Fonds représente un mécanisme important pour éviter le développement d’une invasion généralisée. Pour rappel, ce Fonds ne peut servir qu’à traiter 300.000 hectares. Or, une invasion peut s’étendre sur des millions d’hectares.
Je rappelle que l’invasion acridienne de 2003-2005 a coûté 570 millions Fcfa en deux ans. Si, on est confronté à une invasion que nous ne maîtrisons pas, ce fonds peut être mis rapidement en place, en attendant que les partenaires ne viennent s’associer à notre effort pour nous aider, comme ils l’ont fait par le passé.

L’Essor : Lors de la rencontre de Bamako, le ministre de l’Elevage et de la Pêche, Mme Ly Taher Dravé a remis des attestations de reconnaissance aux anciens dirigeants de l’organisation. Est-ce à dire que la reconnaissance du mérite sera-t-elle une pratique qui concernera les échelons inférieurs d’intervention ? Autrement dit, est-ce que les agents de terrain seront-ils récompensés pour leurs efforts ?

M. L. H : Nous venons juste de récompenser le premier échelon de mérite. Nous avons estimé au niveau du Secrétariat exécutif que les gens qui ont contribué largement à ce qu’est devenue la Commission, à travers cet exemple qui est cité comme un modèle de réussite, un « success story », doivent être récompensés. Ce sont des gens qui ont contribué et qui nous ont quitté pour une raison ou une autre. A ceux-ci, on a fait le premier pas, en attribuant ici à Bamako, ce certificat de reconnaissance comme une reconnaissance des pays membres à ces personnes qui ont contribué à la création de la Commission, à faire d’elle un modèle de réussite, d’intégration régionale et de coopération sud-sud.
La deuxième étape concernera tous les autres agents comme les cadres, les techniciens, les prospecteurs à qui aussi la Commission leur témoignera sa reconnaissance lors de la prochaine réunion qui se tiendra en juillet prochain à N’Djamena, au Tchad.

L’Essor : En quoi a consisté la modification de l’Accord portant création de la Commission et qu’apporte-t-elle ?

M. L. H : L’Accord portant modification de la Commission a donné plus d’autonomie de gestion à l’organisation. La modification a aussi permis d’éclaircir le mandat de la Commission. En effet, depuis sa création en 2002, beaucoup d’axes de développement ont été développés, en termes de plan de gestion de risque, de cahier de charge environnementale et de gouvernance. Nous avons commencé à instaurer des réunions de haut niveau des ministres des Etats membres par exemple. Pour institutionnaliser tous ces acquis, il fallait les intégrer dans l’Accord.
La deuxième modification était relative à la clarification des fonctions du président et du Secrétaire exécutif de la Commission. Il était question de savoir comment donner plus d’autonomie de gestion à la Commission. Ces changements ont été intégrés et validés par la réunion extraordinaire de Bamako.

L’Essor : Avez-vous des axes stratégiques vous permettant de mieux lutter contre le criquet pèlerin ?

M. L. H : Nos connaissances sur la bio-écologie du criquet pèlerin sont bien avancées avec les biotechnologies et avec les outils disponibles. Nous disposons actuellement des images satellitaires qui nous permettent de connaître l’état de la végétation dans le désert ou le Sahel, des bases de données performantes qui nous renseignent sur l’évolution historique de la présence du criquet dans tel pays ou dans telle zone. Nous disposons également d’une base de données issues des prospections régulières réalisées depuis les dix dernières années dans les pays. Nous avons des structures pérennes qui nous permettent d’identifier les zones d’alerte précoce et de pullulation des criquets et comment les combattre.
Il y a lieu aussi de souligner qu’en plus des connaissances sur la biologie du criquet, de ses zones de reproduction, les pays ont considérablement évolué sur l’utilisation des pesticides. Nous avons commencé à utiliser des bio-pesticides et des champignons en vue d’éviter les pesticides chimiques qui sont néfastes pour l’environnement. Toutes ces mesures sont des axes que nous avons développés depuis les dix dernières années et qui vont permettre de révolutionner davantage ce qu’on fait en termes de prévention et de lutte contre le criquet pèlerin.

L’Essor : Quelles sont vos perspectives ?

M. L. H : Le défi majeur de la Commission, c’est de continuer sur la même lancée et de pérenniser les acquis. Les bases de cette révolution sont mises en place à travers l’implication de haut niveau. A chaque étape importante, les ministres en charge de la lutte acridienne se réunissaient pour statuer sur les nouvelles orientations de la Commission et les unités nationales de lutte antiacridienne des pays membres étaient impliquées. Notre perspective est de travailler sur l’insécurité qui devient un problème récurrent. La Commission doit trouver des mesures palliatives pour agir dans les zones et prendre les dispositions qui s’imposent.
Le deuxième défi est le changement climatique qui impacte nos interventions. La Commission étudie l’impact du changement climatique sur la connaissance et la dynamique du criquet pèlerin et s’adapte à ce phénomène.

Propos recueillis par 
Moriba COULIBALY

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