L’humain au-dessus de tout

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Le monde est devenu un village, les nouvelles circulent à la vitesse de la connexion internet. Lire, regarder ou écouter les informations aujourd’hui, c’est en être submergé. Des marches pour réclamer plus de justice sociale aux printemps révolutionnaires, des conflits armés aux inondations meurtrières, des prises d’otages aux viols massifs, des camps de réfugiés aux migrants qui perdent la vie en chemin vers un avenir qu’ils croyaient meilleur, nous savons. Nous avons l’impression de tout savoir. Même les enfants sont informés. Ils savent qu’une grande partie des êtres humains est en proie aux souffrances les plus abominables. Ils peuvent citer le nom des pays embrasés par la violence, sans toujours être capables de les situer, bien sûr. Nous-mêmes, adultes, ignorons souvent tout des populations qui, du jour au lendemain, subissent le pire.

 

 

La terre entière a les yeux rivés sur la partie du monde où un désastre naturel vient d’anéantir une région, où un fou vient de faire sauter les explosifs qui lui servaient de ceinture, où un groupe, armé jusqu’aux dents, tue dans un centre commercial. Nous suivons cela heure par heure, c’est normal, l’actualité est brûlante. Les médias en font leur «une» avec envoyés spéciaux, images et interviews. Dans quelques jours, les reporters nous emmèneront vers autre chose. Les victimes tombent petit à petit dans notre oubli collectif. Ces populations, qui subissent le pire, pensent être abandonnées à leurs bourreaux, dans l’indifférence quasi planétaire, malgré toutes les rencontres internationales, à l’Onu ou ailleurs, et cela  ajoute de la souffrance à leurs souffrances. Elles ne comprennent pas qu’on déclare certains monuments du patrimoine de l’humanité en danger, alors que, elles qui sont en danger depuis longtemps, elles, qui sont l’humanité, semblent moins émouvoir.

 

Depuis des mois en Centrafrique, depuis des années en RD Congo et ailleurs, les villages sont pillés, les femmes outragées, les enfants utilisés comme boucliers humains, et les hommes exécutés, dans un silence devenu assourdissant. De temps en temps, on nous montre des images tournées dans un camp de réfugiés, on entend les volontaires de la Croix Rouge, du HCR, des Droits de l’Homme ou de Human Rights Watch, pousser des cris d’alarme. Nous, ici, en Occident, alors que bien souvent, à l’heure où nous entendons ces informations, nous sommes à table, nous voyons ces femmes et ces enfants, harassés par la faim, la chaleur et la peur, comme autant de désastres humains contre lesquels nous ne pouvons pas grand-chose. Seuls ceux, parents et amis, qui ont un lien direct avec les contrées et les populations touchées, s’y intéressent encore et toujours, et tentent d’agir, même s’ils sont loin.

 

 

Parfois, ce qui se passe dans certaines régions dure depuis longtemps, si longtemps, que, lorsque nous en réentendons parler, nous nous surprenons à penser qu’on avait presque oublié. Le temps file vite pour ceux qui ne sont pas concernés, alors que les victimes et leurs parents comptent les jours, les semaines, les mois, les années, dans l’attente d’une solution, d’un retour, et d’une réparation. Lorsqu’enfin la paix revient, les survivants sont bien obligés de reprendre le cours de leur vie, mais il faut qu’ils se réparent. Un enfant à qui la guerre a volé son enfance, un enfant qui a été enrôlé par un groupe armé, ou un enfant né parce que sa mère a subi la violence, est un enfant qui a besoin d’être réparé, reconstruit. Une femme abusée comme un vulgaire butin de guerre a besoin d’être soutenue et réparée. Après un conflit, après un génocide, après les violences inouïes que l’Homme peut faire subir à l’Homme, les seules solutions sont la réparation et la réconciliation.

 

 

Il faut pouvoir revivre ensemble, afin de pouvoir vivre, tout simplement. Les processus de réparation et de réconciliation passent par la vérité, par la justice, par la reconnaissance des crimes commis, et de ce fait, par la reconnaissance des victimes. Sinon, l’impunité, et la rancœur qu’elle nourrit, sont des bombes à retardement qui exploseront un jour. Justice coutumière, justice nationale, justice internationale sont autant de solutions aux maux que subit une partie de l’humanité. Néanmoins, n’oublions pas la sagesse ancestrale. L’adage dit qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Alors, que nous soyons simple citoyen, responsable économique, ou décideur politique, essayons, ensemble, d’adopter une même ligne de conduite universelle, oublions les profits, les intérêts personnels, et mettons, enfin, l’humain au-dessus de tout.

 

 

Françoise WASSERVOGEL

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