L’histoire de la petite Sokona … Une sourde-muette qui incarne l’immigration réussie en Italie

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Originaire de« Massonkolon », un village situé de la région de Kayes, victime de méningite, Sokona en tant qu’adolescente sourde-muette doit son salut à l’immigration clandestine. Laquelle a été une source de survie pour elle afin de rejoindre son père et pouvoir s’insérer dans une vie scolaire normale. Dans une contribution adressée à notre rédaction, l’humanitaire, Jacquy Prudor de l’ONG Tapama relate l’histoire réelle de cette jeune fille. Lisez plutôt.

Membre et quelque peu responsable d’une ONG humanitaire, je n’ai pas coutume d’élever la voix, et je ne suis pas un lanceur d’alerte. Mais j’en ai assez de lire,  voir  et  entendre tant de compatriotes délirer sur deux  sujets récurrents : la migration  et  la  vaccination.

Je connais un peu l’Afrique de l’Ouest, notamment le Mali. Depuis plus de 25 années, je contribue  tant bien que mal à aider et assister  des maliens villageois  plus que démunis.  Notre slogan est, et restera :« AIDEZ-NOUS  A  LES  AIDER … CHEZ EUX ». Ou bien on aide les maliens chez eux à vivre le moins mal possible ; ou bien on les accepte par vagues humaines à Ceuta au Nord du Maroc, ou à Lampédusa en Italie.

On peut  aussi  continuer  d’envoyer des milliards dans ces pays,  sans aucun contrôle sur place de l’usage qui est fait des fonds mis à leur disposition pour « le développement ».  Les éléphants blancs,  ainsi que les ponts sur des rivières qui n’existent pas : ça  existe .. !!..   Erik Orsenna,  célèbre  académicien connaissant bien le Mali, l’a écrit mieux que moi. On  ne peut plus agir ainsi. Il faut rémunérer des contrôleurs de budget de tous les projets conséquents.  La ligne 220 000 volts de Bamako à Ségou, soit 230 km, projet  particulièrement  indispensable,  long et onéreux,  a été piloté par un ingénieur français  dont la signature était obligatoire  pour que la Banque Mondiale paye chaque facture. C’est très simple comme procédure, très efficace, et, dès lors,  les  mots  « corruption »,  « détournement »  n’ont plus  cours.

La remise de milliards au Trésor Public des Etats  sans aucun contrôle de l’usage des fonds,  est une aberration et la meilleure façon  de  poursuivre  la corruption et le détournement  des  euros  payés par nos impôts, et ce à tous les étages .. car je n’oublie pas les liasses de billets retournés en France via certaines  « valises à menottes » pour dédommager ceux qui ont financé le projet, structures territoriales ou partis politiques … sans oublier que tout cela finit souvent par une « remise de dette »  .. et  alors : adieu  nos  euros .. !!..

Aujourd’hui, je voudrais montrer quelques conséquences  de ce que l’aide au développement  mal  utilisée ou carrément absente, peut provoquer, jusqu’à obliger des personnes à tenter la traversée du  désert, celle de la Méditerrannée, …etc .  Parmi  des dizaines  de  cas, j’en  ai choisi  un qui, je l’espère, retiendra  l’attention de mes concitoyens, qui, dès l’ors, comprendront mieux ce que  « AIDER  CHEZ  EUX »  signifie .. car traverser le Sahara et la Méditerrannée, cela peut constituer une solution ultime, mais vitale : la preuve…

L’ONG  Tapama aide plusieurs villages, dont son village fétiche  « Massonkolon », situé en zone Soninké, dans l’ouest du Mali, et ce depuis de très  nombreuses années, parce que mon gardien (je ferais mieux de parler de mon « ange-gardien »),  prénommé Fantamadi, est né dans ce village, « vers 1963 » . Les soninkés sont réputés très travailleurs, donc appréciés en Europe (notamment en France où ils sont très nombreux) quand ils y parviennent, et se voient souvent invités à faire venir frères et cousins par des patrons européens trop heureux de trouver des gens sérieux, honnêtes  et travailleurs.

Dans ce village, une petite fille, Sokona, est née vers 2005. Fut-elle vaccinée ? Probablement pas.  Les carnets de vaccination n’existent pas … Son papa a  réussi  à quitter le Mali, pour traverser le Sahara avec des passeurs dont on connait la réputation, puis gagner la Lybie,  traverser la Méditerranée, puis l’Italie, où il vit, comme d’habitude très apprécié par ses patrons. La maman de Sokona  n’avait  qu’une fille,  et vivait banalement au village, comme les  centaines de femmes de Massonkolon. Mais,  pour une malienne, vivre avec un mari à 6 000 km n’est pas un souci.

A cette époque, en 2012,  j’habite Bamako, avec ma famille, épouse et enfant, mais surtout avec Fantamadi, mon « ange-gardien », qui est à mes côtés depuis fin 1991 : complicité éternelle et inconditionnelle.  Il habite la maison annexe  dans ma cour, avec son épouse et ses 4 enfants ; les 2 ainés sont scolarisés (je  paye les frais, sinon ils n’iraient pas à l’école).  Mais Fantamadi est aussi,  selon les règles traditionnelles de l’accueil et hospitalité malienne,  une sorte d’auberge : il accueille tous les villageois de Massonkolon – ou des environs  – qui ont grand besoin d’un séjour à Bamako pour des soins à l’hôpital ou des formalités diverses. Je vois donc défiler dans ma cour beaucoup de villageois, que je connais le plus souvent. On discute, on prend le thé. Ils savent que je les accueille au mieux avec  Fantamadi, et que je fais tout pour les aider, même pour faciliter leur départ vers le « Nord du Mali ».  Expression qui  implique  « le grand voyage » :  traversée du Sahara  malien puis algérien, pour arriver en Lybie, puis traverser la Méditerranée et  débarquer en Italie.  De la France, on a une certaine idée de ce périple ; mais vu du Mali, c’est tout autre chose.  Je ne détaillerai pas : ce n’est pas l’objet.

Que peut-on y faire .. ? sauf exception, je ne les aide pas financièrement, je les conseille pour que tout se passe au mieux. Si ce n’est pas moi qui le fais, d’autres le feront à ma place, pire, en s’enrichissant  sur leur dos. Car ces « voyages » sont très onéreux,  notamment en frais de passage, et très pénibles. On y meurt trop  souvent de soif  ou d’abandon  en plein désert, ou en pleine mer. Mais ça, tout le monde le sait sans en connaitre réellement les détails. L’ami  Serge DANIEL,  journaliste et correspondant de RFI à Bamako, en a tiré un livre qui vous en dira davantage.

Sokona  a  été victime d’une  méningite très grave à l’âge de 4 ans. On l’a soignée au village, comme on a pu, bourrée  d’antibiotiques. Soit, adieu la méningite, mais Sokona  en  est  devenue sourde et muette.

Evidemment non scolarisée … (il n’y a pas encore d’école au village) et donc destinée à trainer dans le village, jamais mariée, voire écartée car pouvant porter malheur !

Pour l’heure, elle suit sa maman partout.

En 2013, elle a  8 ans,  et  accompagne sa maman venue à Bamako pour des soins dans un hôpital  de la capitale. Sokona et sa maman habitent chez un oncle, un frère de Fantamadi. Mais Sokona se blesse gravement le pied, nécessitant des soins conséquents. Elle claudique un peu-beaucoup.  Fantamadi décide alors de rapatrier Sokona et sa maman chez lui, certain alors de lui prodiguer des soins convenables  et bi-quotidiens sous notre contrôle,  avec les médicaments que je trouve à la pharmacie du coin, genre Bétadine et  acolytes.

Je découvre cette enfant, très mignonne, qui me sidère : elle découpe en 3 coups de ciseaux, dans un journal, une robe pour habiller ce qui reste d’une poupée.  Je veux la féliciter !  impossible : elle est muette. J’arrive à échanger un peu, et là … surprise : cet enfant est très intelligente, prompte, intuitive.  Je m’en dors  en me disant qu’il « faut sauver le soldat Sokona ».

Le lendemain, je la prends dans mon véhicule avec sa maman,  et l’emmène visiter quelques uns de  mes amis médecins maliens, civils et militaires, pour tous examens possibles. On fait le tour des services  ORL de Bamako, tout  y passe … mais les appareils  restent  muets  eux aussi.  Le verdict  est  sans appel :   «  Salim , c’est incurable, c’est trop tard … ».

Sokona  est condamnée.

Yèèèèèèèèè.. !!!.. Comme on dit à Bamako quand on est hyper-déçu …

Il y a bien des établissements pour sourds et muets au Mali. J’en connais 2 : un sur Bamako, l’autre près de Kita. J’ai failli en financer un sur mes fonds perso, mais j’ai finalement  renoncé : pas de perspective de vraie réussite … C’est loin d’être de bon niveau, comparé à ce que l’on trouve en France.

L’avenir de Sokona est donc très compromis. Elle trainera  dans son village, probablement sans mari, donc à l’écart de la vie  sociale du village.  Une vraie SDF dans son propre village … !!

Que faire … on ne va pas capituler comme ça …

Le papa de Sokona  est  en Italie. Alors OK pour l’Italie … Mais il faut donc  faire subir le même parcours à Sokona et à sa maman .. !. le désert du Sahara . !. les passeurs.. !  la faim, la soif .. la Méditerrannée ..c’est odieux .. !..

La famille économise tout ce qu’elle peut, et, une fois encore, ma maison va servir d’hébergement  le temps de préparer les papiers nécessaires à cette  « balade infernale ». J’aide comme je peux, convaincu que  l’avenir  de Sokona  est  assurément  en Europe, pour qu’elle trouve ce que son intelligence mérite, autant que ses talent, intelligence  et son courage, via un établissement spécialisé pour sourds et muets.

Sokona et sa maman arrivent en Italie. Elles rejoignent le papa.

Merci de m’autoriser à ne rien décrire des horreurs  qu’elles  vécurent durant le voyage.

Une institution italienne  prend en charge Sokona … qui progresse à vue d’œil …

Puis Sokona  a  un petit frère qu’elle adore et dont elle s’occupe à merveille …

Puis …

Au début  du confinement, au printemps 2020, je crée un compte sur Facebook, et, par pur hasard, j’y  fais la rencontre d’une femme,  italienne, qui  veut des infos sur le Mali et les activités que Tapama  y mène : une italienne veut s’instruire sur  Tapama  et le Mali . !.. parfait ..  nous échangeons chaque jour un peu plus  …

Cette femme est aussi  poétesse … et éducatrice  spécialisée …

Elle me raconte l’histoire d’une petite fille .. malienne .. dans son institution pour sourds et muets  dont elle est  la « professeure principale » …  « enfant qui est très brillante », au point qu’elle lui a consacré un des  ses poèmes  dans  son livre dont la parution en français serait imminente …. Elle se nomme  Sokona … !!..

–           « mais je connais Sokona .. !!.. ».. dis-je ahuri …

J’ai mouillé  mes yeux :  Sokona  a  gagné .. !!.. ouiiii …

Sokona  a aujourd’hui  15 ans, elle nage dans un bonheur de  sourde et muette  complètement alphabétisée  et instruite  au milieu d’une famille adorable  …  le bac en point de mire …

J’ai régulièrement  des nouvelles  de  Sokona ;  elle  va  très  bien,  très  épanouie …

Que deviendra  Sokona . ?. nul ne le sait.

Souhaitons-lui  tout le bonheur du monde.

Si vous trouvez un jour  un  vêtement de la marque  « Sokona », vous saurez qui a dessiné  et coupé  ça .. !..

Ceci  est un exemple réussi  de  traversée  du Sahara  et  de  la Méditerranée … On  en parle trop peu … voire  jamais …

A moins qu’on ne finance de vrais instituts pour sourds et muets  au Mali , chez eux. A moins qu’on nous aide dans des programmes de vaccination, et contrôles  sanitaires  villageois …

A  moins  que … et vous,  que  faites-vous .. ?  … tout va bien .. ?  oui .. ?..  tant mieux.

Alors  comme  le  dit  notre  slogan :  « aidez-nous  à les  aider .. chez eux .. !!.. »..

Aurons-nous le courage de Sokona  pour  son   « grand voyage » .. ?

A  voir …

Salut Sokona, On est là … on t’adore .. Bonne  chance ma grande .. !!..

Bisous-bisous.

Jacquy  PRUDOR

Président de l’ONG Tapama

 

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